Epiphanie - Une homélie de JP Duplantier



Je ne sais pas bien qui étaient ces mages venus d’orient. Des savants sans doute, des astronomes, des chercheurs d’étoiles. Pour partir si loin de chez eux à cause d’une étoile, ils devaient être passionnés. Je pense qu’ils cherchaient beaucoup plus qu’une étoile. Sans le savoir. Ils cherchaient dans le ciel la lumière qui vient d’en-haut. Et sur la terre, ils attendaient un roi qui organiserait une société, où la vie des hommes serait paisible et belle. Ils cherchaient la lumière d’en-haut et la paix sur la terre.
Ils avaient entendu dire que les juifs, eux aussi,  attendaient un roi, fort et juste. Ils ont pensé que l’étoile leur parlait de ce Roi mystérieux. Et quand des hommes se mettent à désirer très fort, çà commence à bruler en eux, et ils se mettent en marche. 
Souvenez-vous de la chanson de Jacques Brel, dans « l’homme de la Mancha » : 
« Rêver un impossible rêve. Porter le chagrin des départs.
Brûler d’une impossible fièvre. Partir où personne ne part.
Aimer jusqu’à la déchirure. Aimer, même trop, même mal,
Tenter, sans force et sans armure, d’atteindre l’inaccessible étoile.
Telle est ma quête : Suivre l’étoile. »
 
            Les mages ont donc  suivi l’étoile. Et comme  cette étoile parlait du roi des juifs, ils ont mis le cap sur Jérusalem. Arrivés dans cette ville, ils ont demandé où étaient le roi des juifs qui venait de naître. A Jérusalem, ils devaient surement être au courant…
            De fait, à Jérusalem, ils savaient ces choses. Mais ce n’était pas dans le ciel, à cause d’une étoile, qu’ils connaissaient la venue d’un roi merveilleux. C’était écrit dans leurs livres, la Bible, comme une Bonne Nouvelle qui allait finir par arriver un jour.
Cependant, dans cette ville, chez le roi comme dans la population, on n’était pas pressés de voir arriver ce Roi extraordinaire. Cela risquait de changer beaucoup de choses, beaucoup d’habitudes. Surtout pour les riches, et pour ceux qui tenait un morceau de pouvoir ; et même, plus simplement, pour ceux qui s’étaient installés dans un petit coin tranquille, et qui ne souhaitaient pas qu’on les dérange.
           
            Il faut dire que l’étoile parle, aux petits et aux grands, d’une myriade de belles choses, qui bousculent l’ordinaire. Elle peut parler d’une toupie quand on est un enfant, du dernier Ipod, d’un beau manteau, d’un voyage à l’île de la Réunion, d’un garçon aux yeux bleus ou d’une fille aux cheveux longs. L’étoile peut parler aussi aux chômeurs d’un travail enfin retrouvé, aux malades d’une guérison prochaine, à ceux qui sont seuls d’une visite inattendue. Elle peut parler encore d’aller aider un copain qui ne s’en sort pas bien en français ; ou quand on est plus grand de participer à une action humanitaire. L’étoile  peut même parler d’une lumière venue d’en-haut, ou de la visite d’un ange, et allumer dans le cœur d’un homme le feu de connaître Jésus-Christ et de le suivre.
            Sur le chemin des hommes, cette étoile porte le même nom depuis des millénaires. Elle s’appelle le « désir ». Celui qui n’en finit pas de s’allumer dans la chambre secrète de notre château du dedans.
Très souvent nous ne voyons pas ce qu’il y a dans cette partie mystérieuse de nous. Mais Dieu voit dans ce secret. Et c’est Lui qui maintient allumée la petite flamme inquiète qu’il y a semée.
            Le désir est un long chemin. Souvent on pense que nous sommes arrivés et qu’on tient ce qu’on a espéré. Mais le matin suivant, on découvre que notre cœur n’est pas encore comblé. A croire que Dieu a installé en nous un jardin si grand et si beau, qu’il nous est impossible de tout tenir, de tout compter. Le désir, çà n’en finit pas. Et si par malheur, le désir en nous devenait fatigué, nous n’aurions plus aucun souffle et la lumière du dedans s’éteindrait
 
            A Jérusalem, les mages ont découvert une étrange chose : Le roi et les habitants de la ville savaient qu’un nouveau roi était né, et personne n’a bougé.
En fait ils étaient occupés à autre chose. Cette autre chose a, elle aussi, mille visages. Elle ressemble souvent au désir. Mais c’est une contrefaçon. Elle n’est pas créée par Dieu pour nous, elle est fabriquée par nous et pour nous. Son nom est « l’envie ». Elle ressemble à une pieuvre. Quand elle nous tient, elle ne nous lâche pas. Elle a trois capitaines : Mme Jalousie, Mr Mensonge, et Mme Méchanceté. Ils sont tous les trois très intelligents et nous font aimer n’importe quoi. Ils nous baladent, puis nous laissent tomber, quand ils ont assez joué avec nous. La tristesse prend la place qu’ils ont laissée vide…
            La joie est revenue comme une cascade de rires, lorsque les mages sont sortis de Jérusalem : l’étoile était là ! Elle ne parlait plus. Elle marchait devant, et leur désir s’était réveillé. Ils ont suivi leur étoile jusqu’à une maison, au-dessus de laquelle elle s’est arrêtée. C’est là que les mages ont trouvé l’enfant et sa mère.
Soudain, toute la lumière de leur étoile s’est posée sur l’enfant et sa mère. Devant eux, ils sont tombés. Leur monde a basculé. Ils avaient quitté leur pays pour une étoile, et pour la naissance d’un roi, qui avait de la famille chez les étoiles. Maintenant ils touchent terre, leurs rêves s’envolent, avec leur poésie de savant, leur étoile, leur quête. Leur rencontre est charnelle : l’enfant et sa mère et leur propre chair de pèlerins de l’impossible.
La réalité des liens qu’ils ont avec leur pays, leur ville, leur organisation politique, économique et culturelle, le chaud et le froid, la faim et la soif qu’ils ont connu sur la route, toute cela touche terre. Il faut mettre, dit-on, l’homme au milieu de toute construction de la société. Mais quel homme ?  C’est Dieu qui leur montre maintenant.
Les mages ne le savent pas encore clairement. Mais cet enfant n’est pas seulement, né d’une femme et sujet de la Loi, c’est-à-dire avec la mort au bout du voyage et les limites que la vie ensemble et la nature lui imposent. Les anges sont venus l’annoncer, la Bible en parlait depuis des siècles, le peuple d’Israël l’attendait. Il est le fils unique de Dieu, engendré dans l’aventure humaine, Jésus-Christ, la Parole de Dieu faite chair.
Alors, les mages se prosternent. De son coffret le premier sort de l'or. Ce n'est plus seulement un métal précieux, un cadeau de riche, un hommage inaltérable et souverain qui vient ajouter quelque chose à cet enfant. C'est la propre dignité royale de ce mage qui se dévoile devant cet enfant, sa dignité d'héritier du Royaume de Dieu, notre Père, sa dignité reçue et il l’offre.
Le second présente l'encens. Mais ce n'est plus seulement des grains qu'on fait brûler pour honorer quelqu'un, la figure de l’homme reconnu, encensé. C’est lui-même qui s’offre enfin, et qui brûle enfin pour Celui dont la Parole a éveillé sa chair, et qui découvre que le parfum qui s'exhale de lui est le désir de voir Dieu, notre Père.
Le troisième offre de la myrrhe; mais ce n'est plus seulement des extraits de plantes, le geste ultime d'embaumement de celui ou de celle auquel notre vie a été liée, la figure de l’homme éternel maître du temps qui passe, c'est sa propre vie qui s'exhale, qui se dépouille de tout ce qui le retenait éloigné de Celui qui est son origine et son terme, Notre Père qui est aux cieux. Les mages ont trouvé leur royaume, celui du Christ.
 
         Ils sont partis par un autre chemin.
Jean-Pierre DUPLANTIER