L’histoire
que nous venons d’entendre circule ce soir sur toute la planète pour des
millions de personnes.
Je suis heureux d’en partager avec vous un détail, qui
s’est un peu endormi dans nos mémoires et dans notre cœur. C’est à propos de l’enfant :
quand il est né, Marie, sa mère l’a emmailloté et couché dans une mangeoire.
Pour les bergers, dans
les champs où ils gardaient leurs troupeaux, c’est ce signe que les anges leur
ont donné : un enfant emmailloté et couché dans une mangeoire. Les bergers
ne sont ni meilleurs, ni pires que ceux qui, ce soir-là, à Bethléem, mangeaient
et dormaient à l’auberge ou dans leurs maisons. Ils étaient seulement devenus
capables de voir et d’entendre certaines choses dans le ciel, quand la lumière
d’en-haut venait les visiter. Nous sommes un peu comme ces bergers, simplement
parce que nous sommes ici, pour chanter et prier la naissance de Jésus le
Christ, quelque soit l’état de notre chemin. Il suffit d’une foi toute petite
pour être berger. Regardez : ce sont des bergers qui sont autour de vous,
et il n’y a pas que les enfants qui ont des visages étonnés.
Cet enfant est donc un signe, un
signe qui nous emmène un peu plus loin que nos horizons ordinaires. Il est emmailloté
et couché dans une mangeoire.
Un enfant
emmailloté, nous savons ce que c’est. Comme tous les enfants du monde nous
sommes, dès le départ assez limité, dans nos mouvements, mais c’est pour nous protéger,
par amour, parce que nous sommes fragiles, dépendants.
Et cette
dépendance dure. Tout au long de notre
vie, nous sommes souvent ficelés. Au début cela nous plait assez, nous sommes
en sécurité dans la famille. A l’école aussi il nous faut apprendre ce que les
autres savaient avant nous, lire, écrire, compter, penser, et encore les bonnes
actions et les mauvaise telles que notre société les fixe. Et puis il y a les
rouages de notre système économique et social. De plus, ce n’est pas seulement
au-dehors que nous sommes ficelés, au-dedans de nous, il y a des forces qui
nous poussent : des choses, des images, des mots, auxquelles nous ne
savons pas résister. Des passions, des blessures, des maladies et des
injustices qui commandent de l’intérieur, à notre insu.
En même
temps, dans notre monde il y a aussi tellement d’histoires d’amour, de gestes
de générosité, de plaisirs aussi, d’inventions heureuses, que nous aimons ce
monde, et nous n’avons pas envie que les choses changent trop.
C’est là que
le signe de l’enfant de Noël se complique : cet enfant, emmailloté, est
couché dans une mangeoire. Ce détail, cette chose étrange, s’approche
dangereusement pour nous d’une sorte de zone interdite. Littéralement, en
effet, c’est un enfant nourriture. Il est dans une mangeoire. Sans trop savoir
pourquoi, nous avons l’habitude de passer outre et de l’expliquer par des
motifs de confort pour l’enfant : sa mère le met sur la paille, pour qu’il
est chaud, c’es tout. Mais ce détail insiste à travers les générations : cet
enfant est né d’une femme et envoyé par Dieu pour nous nourrir.
Il vient au
milieu de nous pour être une voix qui n’est pas la nôtre, ni celle de notre
entourage. Il va parler, nous parler, nous questionner. A travers la Bible, il
va nous montrer plein de scénarios selon lesquels Dieu s’y ait pris avec les
hommes. Il nous fait entendre des choses que nous n’avions jamais entendues. A
travers nos rencontres, il va nous apprendre à découvrir chez les autres, même
chez nos adversaires, des surprises que nous n’aurions pas imaginées, des
violences qui cachent des blessures secrètes, comme chez nous, des sourires
inattendus qui nous conduisent sur des rivages où nous pouvons presque toucher
le ciel, le mystère des hommes, la tendresse de Dieu à l’œuvre dans notre
histoire.
A la messe,
c’est encore lui qui est à l’œuvre. Avec le pain de chez nous, il nous nourrit
de son corps ; avec le vin de chez nous, il réjouit notre cœur de fils
adoptifs de Dieu. Ce n’est pas nous qui fabriquons des liens à la messe, c’est
Lui qui en fait pousser de nouveaux avec lui et entre nous, des liens
inattendus, solides, magnifiques. Parfois ou souvent, çà nous fait peur, mais
il insiste, et il sait profiter des occasions, parce que c’est le désir de
Notre Père qui est aux cieux qu’il devienne notre chemin, notre paix.
Et si nous y
consentons, cet enfant grandit avec nous. Il finit par marcher devant nous et
nous conduire par la main, au point que nous lâchons des choses, des peurs, des
jouissances dont nous pensions ne jamais pouvoir nous passer. Au point qu'avec
Lui, même les souffrances et les injustices, deviennent des passages vers
l’au-delà de nos prisons, de nos vengeances, de nos jalousies. Au point que par
Lui nous découvrons que les autres changent aussi, qu’ils sont en chemin,
qu’ils bougent, qu’ils boitent mais qu’ils marchent, et que cela nous réjouit.
Il nous arrive
alors de Lui, par Lui, avec Lui, une vie, qui n’est pas la notre, mais qui
devient la notre. Ce n’est plus ce que nous pensons de nous, des autres ou de lui
qui compte, ni même ce que nous faisons pour lui ou pour les autres, mais ce
qu’Il fait pour nous, avec nous, en nous.
Que sa
présence, que sa vie passe par chez nous ce soir. Cet enfant est capable de
changer notre misère en miséricorde.
Jean-Pierre Duplantier
Is 9,1-6 / Ps 95 / Tt 2,11-14 / Lc 2, 1-14
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