Homélie de la nuit de Noël 2012 / Luc 2 1-14 / Une homélie de JP Duplantier


L’histoire que nous venons d’entendre circule ce soir sur toute la planète pour des millions de personnes. 
Je suis heureux d’en partager avec vous un détail, qui s’est un peu endormi dans nos mémoires et dans notre cœur. C’est à propos de l’enfant : quand il est né, Marie, sa mère l’a emmailloté et couché dans une mangeoire.
                        Pour les bergers, dans les champs où ils gardaient leurs troupeaux, c’est ce signe que les anges leur ont donné : un enfant emmailloté et couché dans une mangeoire. Les bergers ne sont ni meilleurs, ni pires que ceux qui, ce soir-là, à Bethléem, mangeaient et dormaient à l’auberge ou dans leurs maisons. Ils étaient seulement devenus capables de voir et d’entendre certaines choses dans le ciel, quand la lumière d’en-haut venait les visiter. Nous sommes un peu comme ces bergers, simplement parce que nous sommes ici, pour chanter et prier la naissance de Jésus le Christ, quelque soit l’état de notre chemin. Il suffit d’une foi toute petite pour être berger. Regardez : ce sont des bergers qui sont autour de vous, et il n’y a pas que les enfants qui ont des visages étonnés.
            Cet enfant est donc un signe, un signe qui nous emmène un peu plus loin que nos horizons ordinaires. Il est emmailloté et couché dans une mangeoire.
Un enfant emmailloté, nous savons ce que c’est. Comme tous les enfants du monde nous sommes, dès le départ assez limité, dans nos mouvements, mais c’est pour nous protéger, par amour, parce que nous sommes fragiles,  dépendants.
Et cette dépendance  dure. Tout au long de notre vie, nous sommes souvent ficelés. Au début cela nous plait assez, nous sommes en sécurité dans la famille. A l’école aussi il nous faut apprendre ce que les autres savaient avant nous, lire, écrire, compter, penser, et encore les bonnes actions et les mauvaise telles que notre société les fixe. Et puis il y a les rouages de notre système économique et social. De plus, ce n’est pas seulement au-dehors que nous sommes ficelés, au-dedans de nous, il y a des forces qui nous poussent : des choses, des images, des mots, auxquelles nous ne savons pas résister. Des passions, des blessures, des maladies et des injustices qui commandent de l’intérieur, à notre insu.  
En même temps, dans notre monde il y a aussi tellement d’histoires d’amour, de gestes de générosité, de plaisirs aussi, d’inventions heureuses, que nous aimons ce monde, et nous n’avons pas envie que les choses changent trop.
C’est là que le signe de l’enfant de Noël se complique : cet enfant, emmailloté, est couché dans une mangeoire. Ce détail, cette chose étrange, s’approche dangereusement pour nous d’une sorte de zone interdite. Littéralement, en effet, c’est un enfant nourriture. Il est dans une mangeoire. Sans trop savoir pourquoi, nous avons l’habitude de passer outre et de l’expliquer par des motifs de confort pour l’enfant : sa mère le met sur la paille, pour qu’il est chaud, c’es tout. Mais ce détail insiste à travers les générations : cet enfant est né d’une femme et envoyé par Dieu pour nous nourrir.
Il vient au milieu de nous pour être une voix qui n’est pas la nôtre, ni celle de notre entourage. Il va parler, nous parler, nous questionner. A travers la Bible, il va nous montrer plein de scénarios selon lesquels Dieu s’y ait pris avec les hommes. Il nous fait entendre des choses que nous n’avions jamais entendues. A travers nos rencontres, il va nous apprendre à découvrir chez les autres, même chez nos adversaires, des surprises que nous n’aurions pas imaginées, des violences qui cachent des blessures secrètes, comme chez nous, des sourires inattendus qui nous conduisent sur des rivages où nous pouvons presque toucher le ciel, le mystère des hommes, la tendresse de Dieu à l’œuvre dans notre histoire.
A la messe, c’est encore lui qui est à l’œuvre. Avec le pain de chez nous, il nous nourrit de son corps ; avec le vin de chez nous, il réjouit notre cœur de fils adoptifs de Dieu. Ce n’est pas nous qui fabriquons des liens à la messe, c’est Lui qui en fait pousser de nouveaux avec lui et entre nous, des liens inattendus, solides, magnifiques. Parfois ou souvent, çà nous fait peur, mais il insiste, et il sait profiter des occasions, parce que c’est le désir de Notre Père qui est aux cieux qu’il devienne notre chemin, notre paix.
Et si nous y consentons, cet enfant grandit avec nous. Il finit par marcher devant nous et nous conduire par la main, au point que nous lâchons des choses, des peurs, des jouissances dont nous pensions ne jamais pouvoir nous passer. Au point qu'avec Lui, même les souffrances et les injustices, deviennent des passages vers l’au-delà de nos prisons, de nos vengeances, de nos jalousies. Au point que par Lui nous découvrons que les autres changent aussi, qu’ils sont en chemin, qu’ils bougent, qu’ils boitent mais qu’ils marchent, et que cela nous réjouit.
Il nous arrive alors de Lui, par Lui, avec Lui, une vie, qui n’est pas la notre, mais qui devient la notre. Ce n’est plus ce que nous pensons de nous, des autres ou de lui qui compte, ni même ce que nous faisons pour lui ou pour les autres, mais ce qu’Il fait pour nous, avec nous, en nous.
Que sa présence, que sa vie passe par chez nous ce soir. Cet enfant est capable de changer notre misère en miséricorde.

Jean-Pierre Duplantier
Is 9,1-6 / Ps 95 / Tt 2,11-14 / Lc 2, 1-14

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