Diacre : un an après l'ordination / Diaconat / Sylvain

Il y a dans notre paroisse, des prêtres qui fêtent cette année un demi-siècle de sacerdoce, et c'est à moi que l'on demande un témoignage, pour mon unique année de diaconat !?
Comment rendre-compte de ces quelques mois quand tout est encore en devenir, en recherche, en attente ?

L'ordination vient nous saisir tout entier, dans notre vie en Eglise, mais aussi notre vie sociale et notre vie intime. Comme tout sacrement, elle vient marquer au plus profond.  Elle imprègne notre esprit et notre corps, et son travail en nous, pour l'essentiel nous échappe.
Difficile alors de mettre des mots dessus.
Il y a ce qui se voit : une place nouvelle en Eglise, une présence nouvelle en liturgie, des fonctions nouvelles dans le service des sacrements, des missions diocésaines qu'il faut tenter d'assurer...
Et il y a ce qui ne se voit pas : une manière différente de porter les prières des autres, une présence particulière à certaines souffrances qui nous sont confiées, des agacements plus douloureux devant certains visages d'Eglise...
Tout cela mêlé, tissé de la conscience toujours plus vive de notre impuissance et de nos petitesses.

Un an, ça suffit pour éprouver de grandes joies : par exemple celle d'ouvrir les écritures avec de jeunes fiancés et voir leur surprise, celle de redécouvrir sous un autre angle l'incroyable grandeur des liturgies de la semaine sainte, celle de se sentir profondément « ajusté », bien que profondément douloureux, en accompagnant les obsèques d'un jeune homme...
Et aussi de grandes tristesses : souffrir d'une Eglise souffrante et maladroite, mesurer sa propre inefficacité, sa propre incapacité à rejoindre les gens, à faire goûter la joie de l'Evangile,  perdre un frère d'ordination et s'apercevoir qu'on ne se connaissait pas...

Être Ordonné, ce n'est pas une question de fonction, c'est une question « d'être sacramentel », ne l'oublions jamais à l'heure où la question des ministères est soulevée dans l’Eglise. Ne nous trompons pas. Depuis un an, ce qui a changé, ce n'est pas que je puisse proclamer l'Evangile à l'ambon, c'est que je dois servir l'Evangile dans ma chair ! Ce n'est pas que je puisse baptiser des enfants, c'est que je suis signe du Christ pour ces enfants ! Ce n'est pas que je puisse soulever la coupe à l'autel, c'est qu'en la soulevant, je  manifeste la multitude des absents pour qui le sang est versé...

Rendez-vous dans quarante-neuf ans, nous verrons si le diacre que je suis aura enfin su se mettre au service « en vérité ». Au service du pauvre, au service de la Parole et de l’Eglise en prière... Tout reste à faire ! Il n'est pas interdit de prier pour les diacres !!
Sylvain

Qu'est-ce que l'Homme ? / Sainte Trinité 2016 /Une homélie

 Qu'est-ce que l'homme pour que tu penses à lui ?

Un fils d'homme que tu en prennes soucis ?

Il n'y a pas d'homme condamné,
Qu'est-ce que l'homme ?
Cette question, dans le psaume soulève le lien de Dieu avec nous.
Ce qui pourrait nous sembler une évidence : il est normal après tout que Dieu ait le souci de l'homme, devient une question centrale pour nos vies : Qui suis-je pour être aimé de Dieu ?
Pourquoi faudrait-il qu'il ait souci de l'homme ?
Aucune des vagues réponses que l'on pourrait donner ne tient debout, parce que son regard n'est pas le notre.
La question est : qu'est-ce que l'homme dans le regard de Dieu ?
(...)
Tu l'as voulu un peu moindre qu'un dieu
le couronnant de gloire et d'honneur

Comment ? L'homme serait un peu moindre qu'un dieu ? Couronné de gloire et d'honneur ?
L'homme malade, perclus de douleurs dans son lit d’hôpital, le corps humilié par la maladie,

un peu moindre qu'un Dieu ?
L'homme seul dans la démence de sa vieillesse, l'homme ruiné par ses addictions, tiraillé par ses perversions,

couronné de gloire ?
L'homme broyé par un système économique qui retire toute dignité au précaire et au laissé pour compte,

couronné d'honneur ?
L'homme sur les chemins de l'exil qu'on entasse dans des camps indignes, soupçonné et rejeté partout

un peu moindre qu'un Dieu ?
L'homme qui si puissant qu'il soit, trafique avec le bien commun, bricole avec la justice, s'arrange avec la morale,

Couronné d'honneur ?
L'homme aveuglé de bêtise ou de haine qui se fait exploser à la terrasse d'un café,

un peu moindre qu'un Dieu ?
Celui qui détruit la nature
celui qui défigure l'enfance
celui qui souille l’Eglise...

Et bien, OUI.
Il nous faut l'entendre.
Et même si c'est inaudible à nos oreilles.
L'amour de Dieu pour l'homme va jusque là.
Il ne fait pas de tri dans les hommes, et son regard n'est pas le nôtre.
C'est peut-être ça la fameuse « miséricorde » dont on parle tant cette année, vous percevez que c'est bien au-delà du pardon ou de la pitié....
Nous sommes, chacun de nous, dans nos misères et nos défaillances, inscrits à la plus haute place dans le désir de Dieu.
Et si c'est vrai pour nous, c'est vrai pour tout homme !
Même ceux qui nous scandalisent, même ceux que nous sommes trop rapides à qualifier de monstres.
Il n'existe pas de monstres, tout homme est fils d'homme, tout homme est couronné de gloire et d'honneur. Soyons-y attentifs, nous qui avons une Maison d'Arrêt dans notre paroisse.

Dieu ne fait pas de tri entre les hommes, il fait du tri en l'homme.
Il vient trancher en l'homme, faire tomber la part du péché et sauver la part du fils.
Le Christ s'est fait homme pour ça,
Si il s'offre encore à nous dans un instant, c'est pour ça.
(...)
Amen
Sylvain, Diacre

Dimanche 8 mai 2016 / Une homélie de JP Duplantier

 Dans toutes les religions du monde, il y a un virus. Celui de penser et d’agir comme si la puissance de notre Dieu était un acquis. Un acquis à protéger, à défendre. Comme si notre seule responsabilité était de ne rien changer dans nos convictions, nos certitudes ou simplement nos habitudes. Or ce que nous venons d’entendre, dans le récit de la mort d’Etienne, dans les derniers mots du livre de l’apocalypse de Jean, et dans ceux de Jésus lui-même, c’est un cri, une prière, un désir : « viens Seigneur Jésus ! », et sur les lèvres de Jésus : « qu’ils soient un, comme Toi, Père, tu es en moi et moi en toi. » 
 
Les apôtres, et depuis eux, tous les disciples du Christ, n’en finissent pas de passer des seuils, de franchir des barrières, dans leur relation avec Dieu. Chacun d’eux a connu la surprise de la première rencontre avec Jésus, de la force qui venait de lui, de ses paroles de feu et de la lumière qu’il réveillait chez les gens. Chacun d’eux ont ensuite expérimenté les forces hostiles à ce qu’il faisait et disait. Chacun d’eux ont très mal vécu sa mort. Puis leur est venu l’étrange présence du ressuscité et la trouée qu’il faisait dans l’avenir du monde, et, quelques jours après, son ascension, comme nous disons. Jésus a beau nous avoir dit qu’il ne nous laisserait pas orphelins, ce n’est pas toujours facile de le vivre. Enfin il y eut l’irruption de l’Esprit, celui qui plane sur les eaux depuis le commencement, comme un aigle qui protège sa couvée.
 
Chaque année, tous les chrétiens passent et repassent par les hauts et les bas, les tours et les détours de cette aventure à sa suite, sur son chemin : la joie de sa naissance à Noël, sa façon de soigner, de guérir, de pardonner, sur les chemins de Palestine, puis le carême et la semaine sainte, et dans une semaine, la fête de la Pentecôte. Qu’est-ce qui nous fait tenir ? Qu’est-ce qui nourrit notre foi en Lui ? Qu’est-ce qui nous aide à continuer de nous aimer les uns les autres, comme il nous a aimés ? Quoiqu’il arrive…
 
On nous a enseigné, de génération en génération, que notre force, c’est l’Esprit saint. Pas ma force, mais sa force à Lui, en moi. Qu’elle parle maintenant, en moi, en vous.
Cette force c’est quand une parole, un regard, un geste vient se substituer à mes sentiments, mes projets, mes peurs, mes souffrances et installe dans mon corps de la lumière, de la paix ; une sorte de réconfort qui prend sa place chez moi, sans que j’ai été le chercher, comme une surprise heureuse. Cette force vient de l’extérieur ; elle vient de n’importe qui. Dans la Bible, comme dans la vie, ce sont des détails, qui tissent des fils inattendus, dans la trame de notre journée ; des fils d’argent ou d’or qui tirent de l’oubli des liens immémoriaux enfouis dans notre chair vive. Comme un discret souffle de vie qui réenchante ce quotidien que nous croyions déjà écrit, ordonné, programmé, inéluctable. Comme le retour d’une danse enfantine où un visage, un regard, une odeur émerveille notre âme jusqu’au bord de nos lèvres et de nos yeux. Elle vient d’un proche ou d’un étranger. Elle vient d’en-haut. Chacun de nous est équipé depuis toujours pour lui accorder l’hospitalité. Pour que nous reconnaissions qu’elle nous est envoyée, comme dit Jésus ; que nous sommes bâtis pour ce genre de visite. 
 
Nous chantons parfois ici un refrain qui en parle très bien : « L’amour jamais ne passera, l’amour demeurera. L’amour, l’amour seul, la charité jamais ne passera. Car Dieu est amour ». Cet amour-là n’est pas une conviction, un effort pour l’entretenir ; il est une expérience ; trop rare peut-être ; trop passagère le plus souvent ; mais personne ne peut dire qu’il ne l’a jamais senti passer, même si depuis trop de choses l’ont enfoui. Car cet amour-là n’habite pas seulement les églises. Il suffit, à l’hôpital, d’une visite pour que la douleur cesse d’être un diable qui dévore ce qui vous reste de force. Il suffit d’un moment d’attention pour un jeune devenu trop solitaire, pour que se réveille en lui le gout de vivre en plein vent que Dieu a semé en lui. Il suffit d’un sourire qui désobéit à la grisaille du temps, pour que revienne sur un visage sa lumière intérieure.
 
Nous nous souvenons aujourd’hui du 8 mai 1945. Le retour de ceux qui revenaient de la guerre ou des camps. La joie et l’incertitude de ceux qui étaient restés. En quatre années, nous changeons les uns et les autres. Mon père et ma mère s’aimaient encore, mais sans savoir c que l’autre avait vécu et ce qu’ils étaient devenus. C’est auprès d’eux que j’ai appris ce que la part d’amour qui leur venait de Dieu et de leur foi était capable de reconstruire. C’est tellement difficile et hasardeux de s’aimer à nouveau après une si longue absence. C’est fou et tellement heureux, lorsque les réalités d’en-haut se substituent aux réalités d’en-bas, celles de l’amour d’avant qui n’étaient plus comme avant. Je n’ai rien compris à cette époque. Mais c’est auprès d’eux que j’ai fait connaissance avec la force d’en-haut, celle qui réanime les liens qui avaient été malmenés. J’ai appris par la suite à quel point cette force était capable de restaurer des relations enfuies. Et ce n’était pas seulement dans les familles, mais en ville aussi et au travail. Et ce n’est pas seulement une histoire du passé. Elle a gardé toute sa force aujourd’hui, pour ceux qui s’y risquent.
 
Ceci est la technologie de l’Esprit saint. Elle passe de lui à nous, par nous, entre nous. Elle est entièrement disponible. Et l’énergie qu’elle dispense est la puissance même de la tendresse de Dieu pour nous. A nous de participer à son travail d’enfantement. 
 
Voilà ce que je lis dans la prière de Jésus : « Qu’ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en Toi. Pour que le monde croie que tu m’as envoyé, et que tu les as aimé comme tu m’as aimé. Je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi. »
Jean-Pierre Duplantier