Marc 1 / Guerrison dans la Synagogue / Homélie

L'enseignement de Jésus

Dans le récit évangélique, l’enseignement de Jésus commence par la scène dans la synagogue de Capharnaüm. L’assistance est frappée de son autorité ; il fait la différence avec les scribes, qui répètent les contraintes de la Loi à longueur de sermons, pour dire ce qu’il faut faire et ce qu’il faut penser. Et, tout à coup, une sorte de forcené se met à crier : « que nous veux-tu ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es… ». Jésus fait sortir ce démon qui trainait dans l’assemblée, incognito.
Là commence l’enseignement de Jésus. Il faut qu’il fasse d’abord sortir le démon qui rode chez nous, pour que sa parole puisse nous atteindre.
Quel est ce démon ? Son nom est légion. Il peut prendre le commandement de nos pensées, mais aussi de tout ce qui bouge dans notre peau, dans notre corps, dans notre chair. C’est pour cette raison que la parole de Dieu est devenue chair. C’est là que Jésus plante sa tente.
Dans cette scène, le démon est appelé l’esprit impur. C’est une façon de dire qu’il existe chez nous une vie spirituelle qui peut être animée par un esprit impur. Autrement dit, il existe une vie spirituelle impure. Sa caractéristique première est une méfiance à l’égard de Jésus : que nous veut-il ? Est-il venu pour nous perdre ?
Pour perdre quoi ? Pour nous perdre sur quel terrain ? Là chacun de nous fait son cinéma. Cela touche d’abord ce que nous appelons nos propres intérêts. Eux aussi sont légion. C’est la défense de nos biens matériels et immatériels, comme les appelle l’UNESCO. La maison, la voiture, le compte en banque, nos diplômes, nos savoir-faire, notre famille, et jusqu’à nos valeurs, républicaines ou religieuses. Personne n’a le droit d’y toucher, et Jésus non plus. Nos intérêts sont aussi nos droits au plaisir, celui de la jouissance avec nos corps, avec l’argent, avec les jeux de toutes sortes, y compris celui de se moquer, d’exercer un pouvoir, d’étaler son savoir, celui de se battre aussi. Personne n’a le droit d’y toucher et Jésus non plus.
Or, dans la synagogue de Capharnaüm, Jésus y touche. Faisons bien attention. Jésus ne dit pas c’est mal, c’est un péché, c’est contraire à la Loi. Il dit : sors de cet homme.
Cet homme avait donc bien raison de se méfier de Jésus. Le premier effet de cette intervention de Jésus chez lui, se traduit par des convulsions. Cà secoue le corps. La parole de Jésus ne nous fait pas la leçon. Elle frappe. Elle ne frappe pas nos idées, notre conscience, nos sentiments. Elle frappe d’abord nos comportements, nos relations avec les autres, nos actes et nos paroles. Pas seulement ce qu’on pense ou ce qu’on ressent, ce qu’il faudrait faire ou penser, mais ce que nous faisons et disons concrètement, notre vie telle qu’elle est.
La vie spirituelle en Christ, c’est quand l’Esprit exécute sa parole dans notre chair. C’est à ce prix que ces rencontres inattendus produisent des joies ou des larmes, la venue d’une paix réelle et le commencement d’une liberté véritable.
            Ceci dit nous ne manquons pas de parades à cette frappe de la parole de Dieu. L’une d’elles est fréquente chez les croyants pratiquants. Il s’agit d’un certain sentiment de supériorité. Nous, les chrétiens, nous savons qui est Jésus, le Saint de Dieu. Les autres, ce n’est pas de leur faute, ils sont ignorants. Bien des juifs, de musulmans, mais aussi de ceux qui rendent un culte à la laïcité, pensent, parlent et agissent de la même façon.
Ce savoir supérieur sur la valeur absolue est la forme la plus discrète et la plus ravageuse de ce qu’on appelle le fanatisme. Elle produit notamment cette terrible maladie sociale qui nous fait sélectionner ceux qu’on peut fréquenter et ceux dont il ne faut pas s’approcher, ni nous ni nos enfants. Elle nous divise entre fréquentables et intouchables.
Elle s’insinue aussi jusqu’au plus intime. J’ai vu, chez moi et beaucoup d’autres, bien des situations où nous pleurons sur nos fautes parce qu’elles ternissent notre image de bons chrétiens ou de bons citoyens et non pas parce qu’elles offensent le Seigneur. Ce n’est pas sur le silence de l’amour premier que Dieu nous porte, que nous gémissons, mais sur les limites de notre propre force d’aimer.
Juste un mot sur le passage de la lettre de Paul que nous venons d’entendre. Si vous prenez le temps de lire ce chapitre 7 dans son entier, vous verrez qu’il n’est nullement question d’abaisser la grandeur de la vie de couple. Il s’agit de regarder en face que le couple ou la famille n’est pas le coffre-fort des valeurs chrétiennes. Consentir, pas seulement au mariage, mais au sacrement de mariage, c’est voir et entendre comment l’esprit saint creuse un espace entre l’homme et la femme, pour que la parole du Christ travaille au corps l’un et l’autre conjoint. Ce travail du Seigneur n’est pas le même chez un homme et chez une femme et c’est souvent difficile de le percevoir et de s’en parler. Mais c’est le chemin du Christ dans un couple : susciter la découverte, puis l’admiration  de ce que le Christ est en train de faire chez l’autre. Quand l’amour s’approche, même modestement, même par intermittence, même très rarement, de cet espace, entre eux deux, où l’amour que Dieu nous porte s’invite, chez l’un ou chez l’autre différemment, alors s’annonce quelque chose d’indissoluble : c’est le Christ lui-même qui vient planter sa tente dans la famille. Rien ni personne ne pourra l’arrêter.
Comme le dit Paul, ce n’est pas pour vous tendre un piège que je dis cela, mais pour vous proposer comment un couple a le souci des affaires du Seigneur. Ceux qui ne sont pas mariés sont logés exactement à la même enseigne : reconnaitre que l’autre, que tous les autres, sont aimés de Dieu, sans considération de ses mérites, de sa condition ou de sa religion ; apprendre à voir et à entendre comment Dieu s’y prend avec chacun.

Et si nous sommes parfois secoués par quelques convulsions, moi comme vous, c’est plutôt bon signe : le Christ a bel et bien commencé son travail d’enfantement des fils de Dieu.

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