Les
apôtres se tenaient ensemble dans la maison. C’est ce qui
leur restait de plus tangible de leur aventure avec Jésus, qui était
mort maintenant, et ressuscité bien sûr, mais devenu insaisissable. Il
leur restait de se tenir ensemble en son
nom.
Et
voici qu’un bruit, un son, quelque chose qui frappe
l’oreille emplit la maison et çà fait un violent coup de vent...
comme une présence impalpable mais concrète qui vient balayer toutes
leurs idées, leurs émotions, leurs peurs, leurs projets... Et
çà atteint aussi leurs yeux : des langues comme du feu sur
chacun !...
Pas
un discours avec des phrases à expliquer, des mots qui
font images. Non ! une voix qui vous bouleverse, vous prend tout
entier, rien que le son de sa voix, rien qu’une langue de feu !
Or
cette chose leur est arrivée après la disparition de Jésus,
après qu’ils aient commencé à réaliser qu’ils ne le connaissaient
pas vraiment. Qu’il était beaucoup plus grand qu’ils se l’étaient
représenté, même s’il leur avait fait, des mois durant, une
forte impression. Cette Pentecôte-là leur est arrivée après qu’ils
aient commencé à comprendre que leurs liens avec Jésus dépassaient
infiniment la chaleur d’une bande d’amis pleins d’espoir et
de vigueur. Lorsqu’ils ont commencé à entendre que la langue de
Jésus leur était largement inconnue, qu’il y avait le feu au théâtre de
leur vie, maintenant.
Çà
faisait des millénaires que cet Esprit saint planait sur
les eaux et qu’il attendait de se poser chez nous. Le grand souffle
au commencement, la Parole au commencement, l’acte créateur en marche,
la grande force de la douceur divine, l’immense sagesse
de l’œuvre de Dieu. Pas le big bang du commencement selon la
science, pas la raison humaine comme seul guide de l’aventure humaine,
mais la voix de l’origine de notre aventure d’hommes créés à sa
ressemblance, façonnés par sa Parole.
Sur
les bords du Jourdain, l’Esprit s’est posé sur Jésus,
comme la colombe sortie de l’arche de Noé, et qui attendait un corps
d’homme pour y faire sa demeure. Et la Voix a troué le ciel : Tu es mon
fils bien aimé. Ce qui parlait ainsi dés
l’origine, se révélait maintenant comme l’horizon, le port
d’attache, l’unique destination, le royaume pour lequel nous avons été
faits.
Les
apôtres, ces hommes qui attendaient dans la maison, la
peur au ventre, avaient entendu déjà cette voix, comme leurs pères
au Sinaï. La Loi qui leur avait été donnée les conduisaint par la main,
chaque jour, dans toutes les circonstances de leurs vies
singulières. Mais vooici, qu’aujourd’hui cette voix, ce don premier
de la vie divine, n’était plus seulement dans les Ecritures ; elle avait
pris chair en la personne de Jésus le Christ. Et
de Lui et de son Père ce don initial se répandait sur chacun d’eux,
avant même que çà devienne un projet, une construction, un engagement.
C’était l’origine qui les rattrapait enfin, c’était leur
vérité qui se réveillait en eux.
Alors
ils se sont mis à parler et tous ceux qui étaient là
entendaient les merveilles de Dieu, chacun dans sa propre langue,
parce que ce n’était pas seulement des discours, ni même des
témoignages, ni mêmes des sacrifices, pas encore. C’était l’Esprit
de Dieu qui les traversait, c’était la puissante douceur divine qui
jaillissait du plus profond d’eux-mêmes. Et çà resituait leurs vies
singulières, leurs désirs, leurs ratages, leurs maladies,
leurs passions, leurs taches quotidiennes et l’avenir de leurs
enfants, dans le fleuve de la vie selon l’acte créateur de Dieu. Le
cours des choses en était tout bouleversé, chahuté, réorienté en
direction de la vie éternelle.
Voilà
ce qui leur est arrivé. Voilà ce qui nous est offert
aujourd’hui, qui que nous soyons, quel que soit l’état où nous nous
trouvons. Voilà ce qu’il en est de la vérité de notre maintenant :
l’œuvre de Dieu s’avance fidèlement,
imperturbablement.
Car
vous aussi, comme moi, et comme une multitude de
personnes, nous avons entendu à tel ou tel moment de notre existence
cette voix se posait près de nous, sur nous. Bien sur c’était juste un
instant, vite oublié, souvent refoulé. Bien sur ce ne
fut qu’un petit coin lumineux de notre jardin secret. Et nous
n’osons pas nous en souvenir. Ce n’était peut-être que des émotions
d’enfants ou des compensations fugitives dans des moments
troublés de notre existence. Et nous n’osons pas nous le raconter,
parce que rien n’est moins sur. Rien de ces éclairs de présence n’est
explicable, démontrable, sérieux en somme. Certains
pensent même que c’est purement psychologique ou encore de vieux
restes de pensée archaïque.
C’est pourtant cela que nous célébrons aujourd’hui : la
visite de l’Esprit de Dieu chez les hommes dans le sillage de la venue de Jésus parmi nous.
Aujourd’hui,
respectons ce qui nous a été donné. Dans nos
moments de bonheur comme dans nos situations tragiques, il n’y a pas
que l’exaltation ou la chute des images que nous avons construites de
nous, des autres, et même de Dieu. Il n’y a pas que les
habitudes de notre environnement, fussent-elles la pensée dominante
de tout un pays. Et il n’est pas bon que ces images soient les seules à
peser sur nos décisions. Et il n’est pas juste que ces
habitudes décident des actes essentiels de notre vie. Il y a aussi
le don de Dieu, sa parole au commencement : Il nous a aimé, Il nous
aime, Il nous aimera !
Cela
vaut pour bien des situations inattendues dans la
famille, dans le travail, dans la place que chacun a à prendre dans
la société. Il ne sert à rien de vouloir écarter soit les pesanteurs de
nos mondes imaginaires, soit la force des constructions
collectives, soit l’acte de Dieu qui parle et qui fait. Les trois
sont là. Pour moi comme pour vous, au jour le jour, l’Esprit nous donne
de faire avec.
Saint
Paul ose écrire que nous sommes devenus des justes.
N’allez pas croire qu’un juste est quelqu’un qui fait tout de bien.
Quelqu’un qui réussit, lui aussi, mais dans le Bien. Non le juste n’est
pas un extraterrestre, c’est quelqu’un qui remet en
scène le don de Dieu jour après jour au beau milieu des habitudes de
notre environnement et des poussées souvent inconscientes de nos
aventures singulières. La justice n’est pas l’application
mécanique de la Loi, ni le courage stoïque d’une conviction
religieuse, ni la musculature idéologique permettant de tout faire tenir
sur une hiérarchie des valeurs, dont la science tient le haut
de l’échelle. La justice c’est le parcours des hommes qui acceptent
de tenir compte du don de la vie divine dans le cours des constructions
humaines. Le juste est celui qui laisse venir la Parole
de Dieu au vif de sa vie. Le juste vit de la foi. Il vit à hauteur
d’homme dans la mouvance de l’Esprit saint.
On
n’entre pas dans l’Eglise du Seigneur, comme on entre dans
une association ou dans un mouvement. On n’y entre pas selon l’objet
visé, l’objectif à atteindre, le projet à promouvoir, une tache à
accomplir. Car les pensées du Seigneur ne sont pas les
nôtres, et nous ne savons pas ce qu’est le Royaume de Dieu, sinon
que Jésus nous en parle. On y entre parce qu’il a parlé, Lui, le
premier, et qu’on lui répond, chacun de façon singulière. Tout
le reste vient de surcroît.
Si
Jésus prie le père pour nous afin qu’il nous envoie un
Défenseur, contre qui et contre quoi vient-il donc nous défendre ?
Qui nous menace ? J’ai reçu de mes pères que notre adversaire c’est
l’oubli de Lui ; c’est l’oubli que beaucoup
de nos décisions sont commandées par des constructions faites de
mains d’hommes ; c’est l’oubli que beaucoup de choses que nous faisons
ensemble nous les faisons sans
Lui.
« L’esprit saint que le Père enverra en mon nom, dit
Jésus, vous enseignera tout et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. »
Çà me fait du bien d’entendre cela et je vous en souhaite
autant, jusqu'à ce que nous ayons envie de dire du bien de nous, des autres et de ce qui nous vient de la part de Dieu.
Jean-Pierre DUPLANTIER