Un trésor dans un champs / Mt 13 / Une homélie de JP Duplantier

Trouver un trésor dans un champ, trouver dans une grotte des peintures rupestres préhistoriques que personne n’avaient encore jamais vue, trouver un billet gagnant du loto, çà vous change la vie. Tout désormais va être commandé par votre découverte : vos émotions, vos comportements, vos décisions, vos projets. Jésus nous dit que c’est un peu comme çà avec le Royaume des cieux.

Plus fort encore. Un homme qui découvre une femme, belle, intelligente, travailleuse, qui a souffert et a traversé ces épreuves, çà peut d’un coup le rendre follement amoureux, complètement subjugué par cette perle précieuse. Et une femme, qui a souvent des antennes encore plus développées que les hommes dans ce champ-là, peut tomber, elle aussi, complétement folle d’amour. Jésus nous dit encore que c’est un peu çà le Royaume des cieux.
Supposons maintenant que Jésus, le Christ, sa parole, ses gestes, sa mort même et sa résurrection, son amour pour nous, soit passé par votre vie. Supposons que vous vous rendiez compte peu à peu que cette présence insiste chez vous depuis longtemps déjà, et qu’il y a dans le cours de votre histoire personnelle, familiale ou même professionnelle, des rencontres, des joies soudaines, des problème résolus de manière inattendu, des guérisons, qui portent la marque de cette présence du Christ. Supposons qu’un jour, vous preniez le temps de vous asseoir et de tirer sur le rivage le filet où se trouvent rassemblées toutes ses surprises heureuses, comme le pécheur qui relève sa nasse ou son casier.
Ce jour-là, vous devinez que c’est Jésus qui a commencé à prendre les rênes de votre vie. Comme il l’a dit, vous commencez à trier ce qu’il y a dans vos filets. Le critère  du tris se précise avec le temps. Il s’agit de séparer les pensées, les actes, les sentiments qui sont orientés vers moi-même, à mon propre compte, des événements dans lesquels ce qui s’est passé semble venir de Dieu. Séparer ce qui me met en lumière ou en colère si çà ne se passe bien pour moi, d’un côté, et de l’autre ce qui est sensible en nous à la gloire de Dieu, à son amour ; ce qui alimente en nous la louange.
Un exemple nous est donné dans la conversation de Dieu avec Salomon qui nous a été raconté dans la première lecture. « Demande-moi ce que tu veux, et je te le donne », dit Dieu. Et Salomon demande un cœur attentif pour savoir gouverner « ton peuple », pas le peuple d’Israël dont il est le roi, son peuple en quelque sorte, mais le peuple qui appartient à Dieu. « Puisque c’est cela que tu as demandé, répond Dieu, et non pas de longs jours, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis, je te donne la sagesse. »
 
En pratique, ce genre de tri de ce qu’il y a dans le filet de notre vie, n’est pas facile, d’autant que nous devinons la suite : à la suite du tri, il va falloir ne garder que la louange. Comment cela se fera-t-il, disait Marie à l’ange. Je ne connais point d’homme capable de faire çà : mettre de côté tous ses projets, ses connaissances, ses biens, ses désirs mêmes, et laisser Dieu habiter chez moi, au point de finir par ne faire que ce qu’il veut, et de ne plus vivre qu’à s’émerveiller de sa lumière et de son amour, de l’écouter, de l’accueillir, comme l’autre Marie, la sœur de Marthe.
En clair, c’est impossible. Dieu et nous nous n’habitons pas la même région. Nous aimons cette terre, même s’il y a des injustices, des violences, des guerres. Nous aimons cette terre, ce qui se voit, se touche. Ce que nous pouvons embrasser, transformer, maîtriser, posséder. Nous aimons nos rêves de bonheur et même ceux de vengeance : çà fait du bien. Ce n’est pas demain que nous allons lâcher tout çà, pour Dieu, pour Jésus, même si l’Esprit saint souffle de temps en temps et dépose en nous une joie qui nous bouleverse.
Et puis, nous n’avons pas tous étaient choisis pour devenir des saints. A chacun son chemin.
 
            Il y a trois semaines, j’ai passé quelques jours à Conques, avec les moines, les pèlerins et les touristes. Un soir, un moine nous a aidés à regarder en détails le tympan de l’église. Au milieu, Jésus, en gloire comme on dit, avec ses plaies aux mains, aux pieds et au côté, et son regard sur nous, comme un appel silencieux, fidèle, amoureux, tenace. Dessous deux portes, l’une ouvrant sur l’enfer, l’autre sur le paradis. Dans l’enfer toutes sortes de personnages, comme enchainés par leurs vices, leur violence. Il y a même des évêques, comme si même les vertus pouvaient être défigurées. Dans le paradis, d’autres personnages, tournés vers le Christ, sortant de leur tombes, marchant ensemble comme une procession attirée par la lumière d’en-haut. Après nous avoir donné le temps de regarder cette étrange fresque, le moine nous a dit : « quand nous entrons dans l’église, nous entrons tous en venant de l’enfer et ce n’est pas très difficile de retrouver sur la sculpture quelque chose qui nous rappelle tel ou tel détail de notre propre vie. Quand nous sortons de cette église, nous passons par la porte du paradis. A l’intérieur il n’y avait presque rien : un espace, une architecture inhabituelle, qui nous invite à lever les yeux. Nous déambulons ; détails après détails, une paix s’installe en nous, comme si nous habitions une autre région de la vie. Nous ne voyons ni Dieu, ni Jésus, ni l’Esprit, mais il y a une présence. Elle s’appelle la miséricorde. Et nous habitons chez elle un moment. C’est pour cela que nous ressortons de l’église, apaisés, lavés, un peu tremblants, un peu priants.
C’est çà le pèlerinage : faire une halte en présence du Christ, de leur amour entre son Père et lui, et du vent puissant qui nous vient de cette source ; Puis revenir dans le monde, entaillés jusqu’au plus secret de notre chair, réveillés par la  miséricorde de Dieu, les yeux lavés par l’amour de Dieu, un peu plus capables de voir sa lumière au jour le jour, moins effrayés du temps qui nous reste pour que sa louange habite en nous, pour que nous consentions à lâcher du lest, beaucoup de lest, pour que nous devenions à son image, des fils qui portent sa ressemblance, comme le parcours de Jésus sur notre terre, nous l’a révélé.
Ce n’est pas possible de faire ce chemin avec ses propres forces, comme l’écrit Alain Auderset, « il est si facile de se laisser emporter dans le flot des affaires du quotidien… Alors fixez-vous un rendez-vous avec Jésus tous les jours. Notez-le dans votre agenda, au même titre que vos autres activités ».

Faisons ce pèlerinage, d’une manière ou d’une autre. C’est dans la chair de tous les hommes que Dieu a semé ce trésor, cette perle précieuse de son amour pour nous, de son désir sur nous. Faisons ce pèlerinage jusqu’à l’humble passage où la terre et le ciel se sont aimés ; dans nos corps de poussière brillera la lumière allumée par le Dieu qui nous connait.
Jean-Pierre Duplantier

Parabole de l'Ivraie / Mt 13 / Une homélie de JP Duplantier

Il me semble que les paraboles de Jésus, c'est pour nous rejoindre dans nos rêves, les merveilleux et les terribles.
 
Le royaume de Dieu, c’est comme une graine de moutarde. C'est la plus petite des semences quand on la met en terre. Mais quand elle pousse, elle dépasse toutes les autres. Elle devient comme un arbre, et les oiseaux du ciel y font leurs nids.
L'arbre pour les humains, c'est comme un rêve. D'abord, au pied de mon arbre, je vivais heureux, sous son ombre, sa protection, et au contact de ses racines, je colle à la terre, ma mère nourricière. J'aurais jamais dû le quitter, mon arbre. Mais je l’ai quitté et je passe mes jours et mes nuits à imaginer que je vais le retrouver, ce paradis perdu de mes commencements.
 
Parfois vient un autre rêve. Je crois avec Stevenson qu'un "oiseau magique" chante au coeur de chacun et comme il l’écrit si bien, "qui prétend observer l’homme en l'ignorant s 'expose à bien des déconvenues - car l’homme n'est pas seulement le tronc dont il tire sa subsistance, mais il se déploie dans le dôme de feuillage, traversé par les murmures du vent, peuple de nids de rossignols,» et le véritable réaliste est celui des poètes "qui grimpe après lui comme l’écureuil et ainsi entrevoie un coin du ciel pour lequel il vit".I
 
Un jour les disciples ont demandé à Jésus : « explique-nous clairement ces paraboles ». Jésus l’a fait. Mais ce ne fut pas vraiment ce qu'ils attendaient C’était comme s'il cherchait à les réveiller, à les faire sortir de leur monde imaginaire, à les faire retomber sur terre pour voir et entendre enfin la vérité de leur condition humaine. « Celui qui sème le bon grain, c'est le Fils de l’homme ; le champ, c'est le monde. Le bon grain ce sont les fils du Royaume ; l'ivraie, ce sont les fils du Mauvais. L'ennemi qui l’a semée, c'est le démon. La moisson c'est in fin du monde ; les moissonneurs ce sont les anges. »
 
Mais bon sang, de quoi parle-t-il ? Dans le monde, c'est quoi les fils du Royaume et les fils du Mauvais ? C'est qui le Filss de l'homme et le démon et les anges. C'est quoi la fin du monde, la moisson ?
Saint Paul a bien raison de nous le redire encore : « frères, l'Esprit saint vient au secours de note faiblesse ». Qu'Il vienne !
 
Qu’il vienne, à l’instant, à travers les quelques mots que je vais risquer et qui me font trembler, comme la présence du Christ va venir à travers le sacrement du pain et du vin et de la prière de Jésus.
Je pars sur le petit coin du monde dont parle Paul : la prière. Nous vivons deux versions de la prière, la prière d'en haut et la prière d'en bas. L'une et l'autre commencent dans le même mouvement : la rencontre avec un autre : désirer compter pour quelqu'un ; avoir une place dans son propre désir, être aimé de lui ou d'elle ; désirer irrésistiblement n'être pas seul ; souffrir et se battre par tous les moyens pour que cette solitude s'arrête.
 
Mais cette dynamique, cette énergie, bute sur le choix entre deux chemins. Je commence par celui que nous connaissons le mieux : la prière d'en bas. C'est une rencontre sous le régime de l’échange. Je te parle pour enter dans ton monde, me sortir de ma solitude, parce que j'ai besoin de sécurité, de me sentir exister, de compter pour quelqu'un, tel que je me représente toutes ces choses, parfois simplement pour grimper dans l’échelle sociale, ou pour de l’argent ou ses équivalents, pour découvrir de nouvelles jouissances. Je suis prêt à tout donner pour ça  pour être désirable par toi. Je suis prêt de la même façon à servir les autres, en donnant tout ce que je possède et le donner aux pauvres pour être juste aux yeux de Dieu, comme on me l'a appris. C’est la prière, la forme de la rencontre et du don de soi que rêve la terre des hommes. C'est très beau, fragile aussi et parfois très violent.
 
Et puis se lève parfois la prière d'en haut. Elle n'est pas sous le régime de l’échange, du gagnant-gagnant. Elle est sous le régime de la venue du Souffle qui attendait dans le secret de notre chair depuis le commencement. Je ne parle pas d'abord, je l'écoute. C'est sa visite impromptue qui réveille en moi le cri, la demande qui gisait au plus profond de mon être. L'objet de mon désir commence à laisser la place à son désir à Lui, à son désir de faire de nous des fils qui portent sa ressemblance. Je commence à redécouvrir ce qui est bon chez moi et chez les autres ; à découvrir des perles précieuses autour de moi qui donnent de l’éclat au trésor que je suis, comme l'écrit Alain Auderset. Je me mets à fixer un rendez-vous avec Jésus tous les jours ; il prend place dans mon agenda comme le reste. Je redeviens sensible aux signes qu'il m'envoie, par une rencontre, un émerveillement soudain, une situation qui se résout.
 
Je n'ai plus peur de me laisser déranger, même si parfois ça me parait dépasser les bornes. Je mesure mieux que ces deux versions de l'amour et de la prière sont des soeurs, comme Marthe et Marie. Il y a toujours un démon à l'affût qui me raconte avec beaucoup d'arguments que servir est plus important qu'écouter, que ce soit avec le Christ ou avec les autres. Je me souviens qu'il a dit que chaque fois que je donne un verre d'eau à l’un de ces petits c'est à Lui que je le donne et qu'il a dit à Marthe que la part que Marie a choisi ne lui sera pas ôtée, parce que c'est l'écoute du Seigneur qui instaure la lumière véritable dans tous les gestes de la solidarité humaine.
 
Viens Esprit créateur, le Souffle saint sur la terre de l’amour du Père pour tous les hommes, la voix du Fils qui nous a révélé ce que fait et dit la Parole de Dieu venue dans notre chair.
Jean-Pierre Duplantier

A vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux, mais à eux ce n’est pas donné / Matthieu 13 / Une homélie

« A vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux, mais à eux ce n'est pas donné. » Il semble que la foule gêne Jésus. Il semble que Jésus n'apprécie pas la foule. Quand elle s'agglutine autour de lui, il met de la distance en s'installant sur une barque pour dispenser son enseignement.
Il parle en paraboles. Il parle en paraboles pour révéler la venue du royaume des Cieux. Et c'est volontairement explique-t-il qu'il utilise ce langage imagé. Il utilise un langage à la fois simple et imagé. Le langage est simple car Jésus ne développe pas de grande théorie théologique. Le langage est imagé et peut être compris par la foule qui le suit car ses images font référence au monde agricole dont sont issus la plupart des individus qui composent la foule.
Mais la foule ne peut pas comprendre, leurs yeux ne voient pas, leurs oreilles n’entendent pas, ainsi il souligne : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende »
Jésus n'a pas pour objectif de rassembler le plus possible. Il n'a pas pour objectif de provoquer de grand rassemblement et de s'adresser à une foule de plus en plus imposante pour dispenser en l’air un enseignement qui serait capté à la volée par qui le pourrait. Ce que veut Jésus c'est un échange de coeur à coeur.
Ainsi dans l’épisode de la femme malade, Jésus traverse une foule dense. Une femme touche son vêtement dans l'espoir de guérir. A l'instant Jésus est ému. Il a senti une force le quitter. Alors qu'il est pressé de toute part, il sent que quelqu'un en particulier touche son vêtement. La femme n'était pas venue satisfaire un savoir, entendre ce que cet homme avait à dire. Elle s'est approchée de Jésus pour un contact. Elle est venue parce qu'elle croit qu'un contact avec le Christ peut la sauver.
De même en est-il de Zachée qui voulait voir passer Jésus. Juste le voir. Juste croiser son regard, lui le pécheur. Pour cela, il va faire plus que simplement se tenir sur le bond du chemin, Zachée se distingue en grimpant sur un arbre, Et Jésus lève son regard vers celui qui le cherche. Et il vient demeurer chez lui.
Jésus veut une rencontre personnelle. Une rencontre quasi physique. Le toucher pour la femme malade, le regard pour Zachée. Ce n’est pas en premier lieu à l'intelligence qu'il s'adresse mais au corps tout entier. Pour cela, il demande un effort « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! » L'effort demandé, c'est juste d'accueillir le Christ. L'accueillir comme fils de Dieu. Reconnaître en sa présence le besoin d'être pardonné. Et simplement affirmer qu'il est le Sauveur et qu'il est celui qui donne la vie.
Combien de foi, sommes-nous venu à la messe sans nous laisser toucher en profondeur par la parole de Dieu ? Nous avons plus répondu à une sorte d'habitude, une règle de vie plutôt qu’à la convocation du Seigneur. Nous avons plus été sensibles à la rencontre de nos amis qu’à la rencontre de Jésus. Cela arrive. Et ce jour-là, le Seigneur s'adresse à nous et nous dit : « Regardes sans regarder, tu écoutes sans écouter et sans comprendre. »  Mais le Christ continue de s’adresser inlassablement à nous
Mais d'autres dimanches, nous nous sommes rendus à l'église dans les mêmes dispositions et soudain, alors que nous sommes perdus dans nos pensées, un mot, une phrase nous touche. Soudain, elle nous tourne vers celui qui est mort et ressuscité pour nous. Et là le Seigneur s'adresse à nous et nous dit : « A toi il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux. » Car c'est bien de cela dont il s'agit, lors de cet instant fugace, nous avons le sentiment de connaître le royaume de Dieu. Ce qui se passe n'est pas descriptible par des mots, vous le savez bien, nous pouvons juste dire que cette parole qui nous touche est comme une nourriture. Et aujourd'hui, nous pouvons dire aussi qu'elle est semence en nous.
Et comme l'annonce le prophète Isaïe : "ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission."
Le Christ vient chercher chacun de nous individuellement lors de nos rassemblements. C'est bien à chacun individuellement qu'il s'adresse.
Mais combien de fois, tournons-nous la tête, et passons-nous le temps à nous compter ? « Il n'y a pas beaucoup de monde aujourd'hui. » ; « Il n'y a pas beaucoup de jeunes à la messe ce matin. » (Une petite parenthèse : je connais des endroits où les présents disent : "il n'y a que des jeunes ce soir.") Mais encore, « ils font trop de bruis ces enfants. » Etc.
Ce n’est pas le nombre de présents à la messe qui fait que le Christ se rend présent mais le nombre de ceux qui ont répondu présent. Il suffit qu'un seul parmi nous rende grâce au Christ d'avoir donné sa vie pour nous racheter pour qu'il nous rejoigne tous.
"C'est ainsi qu'il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion." Nous rappelle l'Evangéliste Luc.
Tournons-nous maintenant vers l'autel, la table où le Seigneur, lui-même, prépare le repas :
Tu visites la terre et tu l'abreuves,
Tu la combles de richesses ;
les ruisseaux de Dieu regorgent d'eau,
Tu prépares les moissons.
Amen !
Dominique Bourgoin, diacre.
13 juillet 2014

13° Dimanche du Temps Ordinaire – Année A

Luc 9 51-62 / Une homélie

13° dimanche C
Première lettre aux Romains 19, 16b.19-21 Psaume 15 lettre aux Galates 5, 1.13-18, évangile selon St Luc 9,51-62


Que d'appels, que d'attentes dans les Ecritures aujourd'hui, pour des réponses apparemment en décalage ! Décalage entre Elie et Elisee, entre Jésus et ses interlocuteurs, entre Paul et les Galates.
L'Evangile nous donne à contempler un chemin, celui de Jésus. Un chemin sur lequel nous sommes appelés à le suivre. Un chemin qui nous déroute dans tous les sens de ce mot.
Jésus monte à Jérusalem, vers sa Pâques, vers sa rencontre avec le Père, mais aussi vers sa gloire…
Ce chemin est d'abord celui de l'humanité, et même le pire de l'humanité. Le chemin de la haine et de la violence qui vont se déchaîner dans tous les actes de la passions.
Ce chemin est aussi celui de la fermeture, ou du péché que peut représenter l'attitude de refus des samaritains de le recevoir, qui règne depuis des siècles entre les Samaritains et les habitants de Jérusalem). Et les disciples, alors, ont le réflexe de vouloir infliger un châtiment sévère à ce village : ils se souviennent du prophète Elie appelant le feu du ciel sur d’autres hérétiques, les prophètes de Baal…Oui Jésus infléchit sa route, il montre un autre chemin aux disciples. II ne s'agit pas de regarder en arrière vers le feu du ciel, mais de continuer vers devant vers la où va la face. Il n'interrompt pas sa marche. Voilà ce qu'est le serviteur de Dieu. L'Evangile nous dit qu’il y va avec courage.
Traduction bien adoucie... le texte de Luc est le suivant : « Il affermit sa face pour aller à Jérusalem ». Cela rappelle ce qu'écrit le prophète Isaïe qui fait dire au serviteur face à la persécution : « je ne me suis pas dérobé, j'ai rendu mon visage dur comme la pierre, je sais que je ne serai pas confondu »
Jésus est déterminé, il ne se dérobe pas car il suit que Dieu ne l'abandonnera pas, faisant sienne la Parole du Psaume « Dieu ne peut pas m'abandonner à la mort » et voici que viennent à sa rencontre trois personnes. Deux d'entre eux se proposent de le suivre, le 3° c'est Jésus qui l’appelle.
Ce qui est marquant dans les réponses de Jésus c'est qu'il donne l'impression de ne jamais être sur la même «longueur d'ondes» que ses interlocuteurs. Il y a un véritable décalage. Au premier homme qui veut le suivre sans condition il promet une vie errante, sans domicile :
« Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête » Quand aux deux autres qui veulent d'abord remplir un devoir familial, nous pourrions penser que Jésus leur adresse des reproches. Et si on regarde le texte de près nous voyons que l'Evangile ouvre un chemin neuf. «Laissez les morts enterrer leurs morts ». Que penser de cette réponse ? Quoi de plus respectable que d'assurer une sépulture digne à son père. Mais qui sont les morts qui enterrent les morts. Ces morts ce sont bien les vivants qui se laissent fasciner par la mort et qui ne voient pour ceux qui les ont quittés d'autre avenir que le retour à la terre.. En enterrant leurs morts ils enterrent aussi leur espérance. (Le mot obsèques vient de sequere  = suivre)
Suivre Jésus voila l’invitation de ce jour. Suivre l'élan de Jésus vers le Père, suivre Jésus dans le royaume dès aujourd'hui.
Nous sommes invites à voir en Jésus un élan, une trajectoire
Alors si nous trouvons que les réponses de Jésus sont rudes. Cette rudesse est une façon de souligner l'engagement radical, nécessaire pour le suivre, qui ne supporte pas les demi-mesures.
Face aux appels du Seigneur nous sommes tentés d'objecter «Seigneur, tu m'en demandes trop» ou «Je ne suis pas fait pour ce que tu me demandes... !»
Répondre présent à l'appel de Dieu exige des renoncements, et des ruptures et une ferme détermination a ne pas garder les yeux et l'esprit attachés au passé : Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas fait pour le Royaume de Dieu.» L'image de celui qui laboure en avançant a reculons est extrêmement suggestive : comment dans ces conditions pourrait il tracer un sillon droit.
Or le Christ nous conduit vers l'avant.
Fréquenter ce chemin fréquenter Jésus (Prière, Parole, sacrement....et les frères aller les uns vers les autres
A nous de nous laisser conduire par l'Esprit qu'il nous a donne. Souvenons nous que la grâce de notre baptême est toujours vivante en nous. A nous de ne pas l'enfouir sans la faire fructifier. Nous avons pour la faire fructifier la Parole, la prière, les sacrements et l'amour qui doit nous faire vivre ensemble.
Que chaque geste d'écoute, de solidarité
Que chaque Eucharistie soit pour chacune et chacun d'entre nous l'occasion de nous laisser dérouter par le Seigneur, guidés par son Esprit.

N'ayez pas peur !
Jésus ne prend rien

Il donne tout (Benoit XVI)

Robert Zimmermann

Mc 5 / La fille de Jaire / Une homélie de JP Duplantier

Deux histoires en un seul récit. Celle de la fille de Jaïre et celle de la femme qui a des pertes de sang. Un détail, apparemment insignifiant, peut nous alerter sur l’enjeu de ce qui se passe chez ces deux femmes : la fillette a douze ans ; les pertes de sang de la femme durent depuis douze ans. Le sang s’écoule hors de la femme ; la vie lui file entre les doigts. La femme est atteinte à la source de la vie, dans sa capacité à donner la vie. La jeune fille, elle, ne passe pas le cap de quitter l’enfance, de devenir une femme, de donner la vie à son tour.
Auprès d’elles, deux types d’homme: un chef de synagogue, qui est le père de la fillette, et les médecins, qui pompent l’argent de la femme sans aucun résultat pour elle. Ils sont impuissants à guérir ces femmes  Ni la religion, ni la science médicale ne peuvent relever le défi. L’enjeu véritable leur échappe.
Pour les deux femmes, c’est urgent. C’est une affaire de vie ou de mort. Pour toutes les deux, Jésus semble être le dernier recours. Et Jésus accepte de s’aventurer dans cette demande. Il accepte la demande du père. Il part chez lui. En cours de route, une autre forme de demande l’atteint. Cette fois-ci la demande ne passe pas par la parole. La femme qui a des pertes de sang franchit la barrière de la foule qui encercle Jésus. Elle n’a qu’une idée en tête : le toucher, au moins ses vêtements, au moins une frange de lui. C’est fou, mais elle y croit. A l’instant, elle sent dans son corps qu’elle est guérie de son mal. A l’instant Jésus s’aperçoit qu’une force est sortie de lui.
C’est quoi, cette histoire ? Une force qui passe d’un corps à l’autre. Une force qui ouvre la parole d’un corps à l’autre : la femme, tremblante, tombe à ses pieds et lui dit toute la vérité ; Jésus répond : « ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix, sois guérie de ton mal. »

C’est surement à chacun de nous d’avoir des oreilles pour entendre. Ce matin, cette histoire résonne en moi comme une chanson souvent entendue et souvent oubliée… sans suite !
Vous connaissez tous les premiers mots de l’évangile de Jean : « au commencement est le Verbe. Il est tourné vers Dieu. [Dieu est sa source]. Par Lui tout a été fait. Sans lui rien n’existe. Il est la vie, la lumière des hommes et il n’y a pas de ténèbres capables de la capturer. » Puis Jean ajoute: « et le Verbe s’est fait chair ! »
Je sais que nous avons coutume de limiter la portée de ces quelques mots à une sorte d’événement magique, où le Dieu, cet inconnu, décide de se fabriquer un fils sous la forme d’un homme, comme pour inscrire ses commandements au plus près de nous. Mais cette version de l’incarnation est une esquive. Ce que révèle d’abord cette façon de parler de Jésus c’est que la chair, notre chair, est la véritable destination du désir d’amour de notre Dieu. Le Verbe de Dieu est d’abord une énergie. Avant même qu’elle se manifeste dans les actes et les paroles de Jésus, cette énergie est un désir de rencontre, de rencontre physique. Elle vient planter sa tente parmi nous. Elle veut faire sa demeure dans notre chair. C’est dans nos corps qu’elle nous devient sensible, perceptible.
C’est la loi de toute rencontre chez les humains : il faut que nos corps soient réellement présents, l’un à l’autre, pour que la parole passe entre nous. Il n’y a pas de parole vive sans présence réelle. L’énergie d’amour de Dieu en passe par là avec nous.
Et Jean ajoute : « Quand Jésus vient chez les siens, les siens ne le reçoivent pas. Mais à tous ceux qui l’accueillent, il donner le pouvoir de devenir enfants de Dieu, ceux-là ne sont pas nés du sang, ni par la volonté de la chair, ni par la volonté d’un homme ; ils sont nés de Dieu. »
L’Esprit saint est cette énergie d’amour, qui plane sur les eaux depuis le commencement. La venue de Jésus est l’accomplissement de son désir de rencontre avec nous. Dieu a donné la loi à Israël pour que les hommes découvrent ce désir divin d’habiter physiquement notre histoire et désirent sa venue. Jésus est le Seigneur, le Christ, le « Kurios », de cette rencontre entre le désir d’amour de Dieu pour tous les hommes et notre chair… « Et le Verbe s’est fait chair ».
C’est ainsi que s’accomplit la volonté de Dieu de faire de nous des fils qui portent sa ressemblance. C’est ainsi que vient chez nous le « Jour du Fils de l’homme ». Il est la présence charnelle du désir de Dieu dans nos corps. C’est cette énergie qui soigne, réveille, nous fait voir des choses que nous n’avions jamais vues ; entendre des choses que nous n’avions encore jamais entendues.
Elle se manifeste par paquets d’énergie, qui bouleversent nos corps, nos liens, nos projets, nos connaissances, chez nous et chez les autres.
Notre foi en Jésus-Christ c’est de reconnaître ces passages, en nous et autour de nous. C’est sortir de notre indifférence, de nos habitudes, de nos manies de posséder, de vouloir tout savoir, tout maitriser et de nos angoisses de ne pas y arriver. Notre foi se bâtit au jour le jour sur l’accueil des effets de cette force vive en nous et chez les autres.
Chaque fois que nous faisons le signe de la croix, c’est ce que nous affirmons. En mettant notre main sur notre front, nous nous souvenons que la source de notre énergie est au-dessus de nos têtes : nous existons au nom du Père.
En portant notre main sur notre ventre, nous reconnaissons que l’énergie de Jésus-Christ vient dans nos entrailles, là où se nouent nos envies, nos projets, les secrets de notre propre désir ; là où se manifeste chez les femmes la capacité de faire des enfants ; là où chez les hommes çà n’en finit pas de bouger, de se tordre, d’entreprendre, de construire et de détruire ; là où a grandi, à notre insu, la fureur de vivre et la panique de rater sa vie. La Parole de Dieu, n’est pas un discours seulement, c’est comme une épée qui vient trancher dans le vif de nos corps : çà secoue ; çà ouvre un espace pour ce qui vient ; c’est un souffle puissant ou discret qui crée un courant d’air dévastateur dans le train-train de notre quotidien.
Nous laissons alors notre main traverser notre corps d’un côté à l’autre, de notre soleil couchant, où nous ne voyons pas encore très bien ce qui nous arrive, vers notre soleil levant, où  se lève la vie que Dieu nous donne depuis le commencement. Nous ouvrons notre espace au souffle de l’Esprit.

Quand Jésus arrive chez Jaïre, le chef de la synagogue, çà pleure, çà gémit, parce que la petite fille est morte. A douze ans, personne encore n’avait su éveiller en elle la capacité de vivre et de donner la vie. Elle avait tout ce qu’il fallait à la maison pour voir et entendre ce qu’il fallait croire et faire pour Dieu. Son père était « chef de la synagogue ».
Mais la fillette était comme une lampe, dont personne n’avait encore branché la prise électrique. Elle avait tout ce qu’il faut pour briller ; il lui manquait d’être connecté à l’énergie de Celui de qui nous vient la vie.
Jésus le voit : non la vie n’a pas quitté cette fillette ; elle dort ; sa vie est en sommeil. Il lui prend la main et lui dit « éphhata », éveille-toi, comme on a dit sur nous le jour de notre baptême.. De sa main à la sienne, de la parole de Jésus à ses oreilles, le courant passe maintenant.

Ses parents n’ont plus qu’à la nourrir et les trois disciples n’ont plus maintenant  qu’à tenir leur rôle : donnez-leur vous-mêmes à manger, comme leur dira Jésus. Pour la vie qui s’éveille en nous, c’est Dieu qui nous le donne.