Dimanche 1° Juillet - Une homélie de JP Duplantier

Jésus guérit deux femmes, l'un encore toute jeune et l'autre plus âgée.
Le récit commence par la demande du père. Sa petite fille va très mal. Et lui, sans comprendre pourquoi, sait inconsciemment que la relation de sa fille avec lui y est pour quelque chose. C'est cette souffrance intérieure qui le pousse vers Jésus, et Jésus ne s'y refuse pas, il le suit.
En chemin, une autre femme, Elle a des pertes de sang que personne ne peut guérir, Elle aussi, sans comprendre, sait inconsciemment que c'est toucher un homme, même seulement son vêtement, qui peut la libérer. Jésus ne se doute de rien, ne dit rien. Tout est commandé par le tourment de cette femme, et déclenché par son geste,
Le risque avec ces textes de l'évangile est d'être entaillé vers des zones de notre vie secrète, où nous ne souhaitons pas vraiment que le Christ s'en mêle, Je vais vous dire comment je lis, mais ce n'est pas pour vous expliquer ; c'est pour vous dérouter, c'est pour que le Seigneur puisse utiliser les péripéties étranges de cette histoire, pour nous conduire sur des terrains où nous ne voulons pas aller spontanément.
C'est la fin de l'histoire qui met les choses en place : la fillette a douze ans. C'est la même durée pendant laquelle la femme a des pertes de sang, qu'elle a souffert des médecins et y a perdu ses biens. C'est le texte lui-même qui nous donne la clé, pour ceux qui veulent entendre. Nous sommes donc bel et bien invités à nous aventurer avec précaution dans la zone où les pertes de sang de la femme et les règles de la fillette signalent une même grande épreuve. Lorsque la femme touche la frange du vêtement de Jésus, il est écrit ; la source de son sang s'est asséchée. La vie que veut donner cette femme ne peut se réduire au seul écoulement de son propre sang ; il faut que le désir d'un autre qu'elle y trouve sa place.
Le rapport de cette femme avec un homme est bloqué. Entre le désir d'un homme et l'angoisse d'y risquer son corps, la contradiction, l'antagonisme est total. Elle ne peut rien en dire, c'est son corps qui parle pour elle : elle a des pertes de sang continuelles. Elle est prisonnière de cette lutte à mort à l'intérieur de sa personne. Mais il lui reste encore la soif brûlante de trouver quelqu'un qui la délivre, Quand elle entend parler de Jésus et qu'elle le voit, elle n'appelle pas au secours, elle le touche, juste la frange de son vêtement, au minimum de la relation. C'est tout ce que son corps est capable de risquer.
Et voici que jésus se manifeste sensible, perméable, à ce minimum de relation charnelle, comme si sa venue parmi nous comportait cette tache de mettre en place, en ordre, dans notre corps, les conditions primaires d'entrer en relation avec les autres. Une force sort de lui : la vie divine de son père le traverse en direction du corps de cette femme, et dénoue les fils mortels qui la tenaient captive. Elle quitte son image de femme enfant, intouchable, et peut enfin s'aventurer dans sa vie de femme emportée par un homme.
Pourquoi cette histoire étrange ? Parce que c'est dans cette rencontre qui lui est imposée, que Jésus entend ce que demande le père de la petite Jaïre. La petite a douze ans, et soudain elle meurt étouffée par la stature de son père. Il faut qu'elle quitte cet emprisonnement imaginaire, que le flux de son propre son propre sang puisse enfin couler. Jésus, en faisant entrer dans la chambre le père de la petite fille, et sa mère, et les disciples, élargit le cercle qui entoure l'enfant, et remet en route la dynamique de la vie selon Dieu : sortir de l'enfance, dénouer les liens présents, pour qu'un autre lien est la place de s'instaurer. Abraham est sorti du pays de son père. Israël a été tiré hors d'Égypte, hors de l'esclavage d'une société parfaite où chacun avait son rôle, sa place, sa cage. Et lors de la transfiguration, Moïse et Elie parlent avec Jésus transfiguré de son exode à Jérusalem : Il est le chemin, la vérité, la vie : il quitte le monde des idoles pour aller vers son Père.
Le Royaume de Dieu est notre horizon. La force de l'Esprit est notre énergie pour ce voyage. Et ce n'est pas dans la tête, dans les idées, que çà se passe. C'est dans notre corps que ça s'inscrit jour après jour. Dans nos relations avec Dieu en sortant de nos idoles, dans nos relations avec nos frères, en sortant de l'emprise que nous avons sur eux, comme parents, comme époux et épouse, comme bienfaiteurs, comme responsables, et aussi en sortant de l'emprise qu'ils ont sur nous.
 
Dans notre paroisse, depuis des années, beaucoup d'entre ont vécu, ont reçu du Seigneur, ce genre de déplacements, de transformations, de conversions. L'un des temps forts de cette action de l'Esprit saint fut la rénovation de l'espace de notre église et la consécration de l'autel. Le 14 octobre, comme notre curé nous l'a déjà dit, nous nous offrirons une fois encore à ce passage du souffle de Dieu. Nous ferons mémoire de cette consécration de l'autel, en le situant dans le mouvement contemporain de l'Église universelle qu'à déclenché le concile de Vatican II.. Ce sera notre façon de participer en Christ au cinquantenaire de ce concile. Il y a trois ans nous nous étions préparés à partir de la parole : « la pierre rejetée des bâtisseurs est devenue la pierre d'angle. C'est une merveille à nos yeux ». Cette année nous reprendrons dans nos mains une autre tradition de l'Église, celle des deux tables, la table de la Parole et la table du corps du Christ, et nous écouterons ce que l'Esprit a à nous dire à propos du service du frère.
Que notre communion d'aujourd'hui nous prépare à cette nouvelle sortie à la suite du Christ.
 
 
Jean-Pierre Duplantier
13° dimanche du Temps ordinaire
1er juillet 2012