Le
récit commence par la demande du père. Sa petite fille va très mal. Et
lui, sans comprendre pourquoi, sait
inconsciemment que la relation de sa fille avec lui y est pour
quelque chose. C'est cette souffrance intérieure qui le pousse vers
Jésus, et Jésus ne s'y refuse pas, il le suit.
En
chemin, une autre femme, Elle a des pertes de sang que personne ne peut
guérir, Elle
aussi, sans comprendre, sait inconsciemment que c'est toucher un
homme, même seulement son vêtement, qui peut la libérer. Jésus ne se
doute de rien, ne dit rien. Tout est commandé par le tourment
de cette femme, et déclenché par son geste,
Le
risque avec ces textes de l'évangile est d'être entaillé vers des zones
de notre vie
secrète, où nous ne souhaitons pas vraiment que le Christ s'en mêle,
Je vais vous dire comment je lis, mais ce n'est pas pour vous expliquer
; c'est pour vous dérouter, c'est pour que le Seigneur
puisse utiliser les péripéties étranges de cette histoire, pour nous
conduire sur des terrains où nous ne voulons pas aller spontanément.
C'est
la fin de l'histoire qui met les choses en place : la fillette a douze
ans. C'est la
même durée pendant laquelle la femme a des pertes de sang, qu'elle a
souffert des médecins et y a perdu ses biens. C'est le texte lui-même
qui nous donne la clé, pour ceux qui veulent entendre.
Nous sommes donc bel et bien invités à nous aventurer avec
précaution dans la zone où les pertes de sang de la femme et les règles
de la fillette signalent une même grande épreuve. Lorsque la
femme touche la frange du vêtement de Jésus, il est écrit ; la
source de son sang s'est asséchée. La vie que veut donner cette femme ne
peut se réduire au seul écoulement de son propre sang ; il
faut que le désir d'un autre qu'elle y trouve sa place.
Le
rapport de cette femme avec un homme est bloqué. Entre le désir d'un
homme et
l'angoisse d'y risquer son corps, la contradiction, l'antagonisme
est total. Elle ne peut rien en dire, c'est son corps qui parle pour
elle : elle a des pertes de sang continuelles. Elle est
prisonnière de cette lutte à mort à l'intérieur de sa personne. Mais
il lui reste encore la soif brûlante de trouver quelqu'un qui la
délivre, Quand elle entend parler de Jésus et qu'elle le
voit, elle n'appelle pas au secours, elle le touche, juste la frange
de son vêtement, au minimum de la relation. C'est tout ce que son corps
est capable de risquer.
Et
voici que jésus se manifeste sensible, perméable, à ce minimum de
relation charnelle,
comme si sa venue parmi nous comportait cette tache de mettre en
place, en ordre, dans notre corps, les conditions primaires d'entrer en
relation avec les autres. Une force sort de lui : la vie
divine de son père le traverse en direction du corps de cette femme,
et dénoue les fils mortels qui la tenaient captive. Elle quitte son
image de femme enfant, intouchable, et peut enfin
s'aventurer dans sa vie de femme emportée par un homme.
Pourquoi
cette histoire étrange ? Parce que c'est dans cette rencontre qui lui
est
imposée, que Jésus entend ce que demande le père de la petite Jaïre.
La petite a douze ans, et soudain elle meurt étouffée par la stature de
son père. Il faut qu'elle quitte cet emprisonnement
imaginaire, que le flux de son propre son propre sang puisse enfin
couler. Jésus, en faisant entrer dans la chambre le père de la petite
fille, et sa mère, et les disciples, élargit le cercle qui
entoure l'enfant, et remet en route la dynamique de la vie selon
Dieu : sortir de l'enfance, dénouer les liens présents, pour qu'un autre
lien est la place de s'instaurer. Abraham est sorti du
pays de son père. Israël a été tiré hors d'Égypte, hors de
l'esclavage d'une société parfaite où chacun avait son rôle, sa place,
sa cage. Et lors de la transfiguration, Moïse et Elie parlent
avec Jésus transfiguré de son exode à Jérusalem : Il est le chemin,
la vérité, la vie : il quitte le monde des idoles pour aller vers son
Père.
Le
Royaume de Dieu est notre horizon. La force de l'Esprit est notre
énergie pour ce
voyage. Et ce n'est pas dans la tête, dans les idées, que çà se
passe. C'est dans notre corps que ça s'inscrit jour après jour. Dans nos
relations avec Dieu en sortant de nos idoles, dans nos
relations avec nos frères, en sortant de l'emprise que nous avons
sur eux, comme parents, comme époux et épouse, comme bienfaiteurs, comme
responsables, et aussi en sortant de l'emprise qu'ils
ont sur nous.
Dans
notre paroisse, depuis des années, beaucoup d'entre ont vécu, ont reçu
du Seigneur,
ce genre de déplacements, de transformations, de conversions. L'un
des temps forts de cette action de l'Esprit saint fut la rénovation de
l'espace de notre église et la consécration de l'autel.
Le 14 octobre, comme notre curé nous l'a déjà
dit, nous nous offrirons une fois encore à ce passage du souffle de
Dieu. Nous ferons mémoire de cette consécration de l'autel, en le
situant dans le mouvement contemporain de l'Église universelle qu'à
déclenché le concile de Vatican II.. Ce sera notre façon de
participer en Christ au cinquantenaire de ce concile. Il y a trois
ans nous nous étions préparés à partir de la parole : « la pierre
rejetée des bâtisseurs est devenue la pierre d'angle. C'est
une merveille à nos yeux ». Cette année nous reprendrons dans nos
mains une autre tradition de l'Église, celle des deux tables, la table
de la Parole et la table du corps du Christ, et nous
écouterons ce que l'Esprit a à nous dire à propos du service du
frère.
Que notre communion d'aujourd'hui nous prépare à cette nouvelle sortie à la suite du Christ.
Jean-Pierre Duplantier
13° dimanche du Temps ordinaire
1er juillet 2012