Nous
continuons la lecture du début de l’évangile de Marc et la présentation de
l’enseignement de Jésus. Et nous redécouvrons que cet
« enseignement » est d’abord une énergie, une action. Et pas
seulement des discours, des idées, des principes. La Parole prend chair.
Dimanche
dernier, nous avons entendu que sa première action est de jeter dehors le démon
de la méfiance à son égard, ce démon qui circule incognito dans nos assemblées
comme dans la synagogue. Ce démon dit au Christ : ne nous dérange
pas !
Sa deuxième
action est la guérison de la belle-mère de Pierre.
Il y a deux
lectures possibles. La première est de constater la force de Jésus : c’est
un guérisseur ; il a une aura exceptionnelle. C’est un héros, … mais il
est mort. Certes, nous croyons qu’il n’est pas seulement un personnage du
passé. Il est ressuscité, vivant. Reste alors à trouver comment entretenir
quelques relations avec Lui, sans risquer de limiter ce contact à une sorte
d’imaginaire spirituel où ni sa chair ni la nôtre ne sont vraiment
engagés ?
La deuxième
lecture s’intéresse à la belle-mère. Le récit ne dit rien de ce qu’elle a pensé
et dit de ce qui vient de lui arriver. Elle s’est levé et les a servi, c’est
tout. Mais si je mets en route ma capacité d’imaginer les choses, mais cette
fois-ci sur le registre de la vie concrète, du chemin que je parcours
maintenant au milieu des autres, une question me vient : est-ce que ce type
d’aventure m’est arrivé ? Jésus m’a-t-il tendu la main, sorti de ma fièvre,
et remis en route pour faire mon travail ? Est-ce que çà m’est arrivé, oui
ou non ? Et vous, qu’en dites-vous ?
Si la
réponse est oui, alors je reconnais qu’il y a, dans mon expérience, la mémoire
d’une intervention physique du Christ ressuscité dans ma vie, dans ma chair. Et
dans ce cas, je constate que, dans cette circonstance, ce n’était pas moi le
serviteur, le serviteur de Dieu ou des autres. C’est Lui, Jésus, qui m’a servi.
L’affaire de
la belle-mère de Pierre me rappelle l’histoire de Jésus lavant les pieds des
apôtres. Remarquez que dans les deux cas, il s’agit de gestes très
ordinaires : laver les pieds ou aider quelqu’un à se lever parce qu’il est
fatigué ou a de la fièvre. Rien d’extraordinaire, en somme. Rien qui soit
susceptible de changer la face du monde. Souvenez-vous aussi que pour l’apôtre
Pierre notamment ce ne fut pas facile d’accepter d’être servi par le Seigneur.
Survient
alors une deuxième question : est-ce que je me laisse servir par le
Christ ? Puis une autre encore : quand et comment Jésus vient me
servir ?
Le pape François vient de reprendre ces questions dans son invitation
pour le carême : « laissons nous servir par le Seigneur ». Puis
il nous dit à nouveau les occasions où cela nous est sans doute déjà arrivé et
peut nous arriver encore. Nous connaissons ces occasions : la Parole,
l’eucharistie et les sacrements, et nos relations avec « le frère ».
Nous sommes assez fidèles à la pratique de la messe. Nous prions et
chantons ensemble de tout notre cœur chaque semaine. Cela se voit, cela sent entre nous et cela
nous fait du bien à tous. Merci Seigneur pour ce cadeau qu’il nous fait à
Gradignan. Reste peut-être à prendre la mesure de ce qu’il nous est offre à
chaque messe : En elle, nous
devenons ce que nous recevons : le Corps du Christ. Nous sommes revêtus du
corps du Christ comme le dit Paul : nos soucis, nos projets, nos richesses
et nos faiblesses humaines ne sont pas jetées dehors ; elles sont revêtues
par le regard, la parole, la tendresse et la puissance du Christ. Et quand nous
sommes habillés par Lui de cette façon, çà se remarque, çà rayonne, çà
témoigne. Une chose entre autre s’efface : l’indifférence, qui semble
prendre si souvent le pouvoir sur nos cœurs, perd son emprise, et la tristesse
aussi. C’est vraiment comme s’il nous tendait la main et nous tirait hors de notre
marasme, de notre fièvre. Il est alors notre serviteur, envoyé par le Père, pour
que nous levions, que la fièvre nous quitte et que nous reprenions notre tâche.
L’autre occasion se nomme la « Parole ». Le pape François,
comme notre cardinal il y a trois semaines lors du premier pas de Sylvain vers
le diaconat, y insiste. A la messe nous devenons ce que nous recevons, le Corps
du Christ. Dans la seconde, également, nous devenons ce que nous recevons :
quand nous lisons ensemble les Ecritures dans l’espace que le Christ nous
offre, nous recevons des yeux pour voir et des oreilles pour entendre comment
il s’y prend avec nous. Lire la Bible ne sert pas à connaître ce qui s’est
passé, il y a des siècles, ou nous inculquer des principes et des valeurs. Ces
récits nous sont donnés comme des paraboles pour que nous voyions ce que nous
n’avons pas encore vu, pour que nous entendions ce que nous n’avons pas encore
entendu. Il habille de sa Parole et de son énergie nos connaissances acquises,
nos habitudes, nos jugements. Il nous révèle ce qu’il fait aujourd’hui chez nos
frères, dans le monde, en nous-mêmes. Il nous conduit par la main,
concrètement, charnellement… Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi vous
êtes tellement résistants à vous laisser servir par lui sur ce terrain.
La troisième occasion est offerte
aux hommes depuis le commencement. Dès les premières lignes du livre de la
Genèse, Dieu demande à Caïn : Qu’as-tu fait de ton frère ? En ce
domaine, le Seigneur nous sert chaque fois qu’il nous met dans la situation d’écouter,
de prendre soin ou d’oser demander de l’aide à l’un des membres du corps du
Christ dont l’Esprit saint nous a revêtus. Mais, plus largement encore, chaque
fois qu’il nous donne à voir une frontière à franchir avec l’un de nos frères. Le
Seigneur nous sert chaque fois que paraissent des divisons entre nous. Mais
aussi chaque fois que notre communauté chrétienne est appelée à franchir le
seuil qui la met en relation avec la société qui l’entoure, avec les pauvres et
ceux qui sont loin.
Il l’a fait
dimanche dernier. Nous n’étions qu’une poignée avec quelques immigrés, quelques
musulmans et quelques SDF. Nous n’avons rien réglé de leurs problèmes. Nous
avons simplement partagé un moment au Fronton à manger des crêpes, boire du thé
et chanter : simplement un moment de fraternité, une frontière franchie.
Le Seigneur nous y a offert de voir la souffrance de l’autre nous rappeler la
fragilité de notre vie, notre « dépendance » envers les autres.
« Si nous demandons humblement la grâce de Dieu et que nous acceptons les
limites de nos possibilités, alors nous aurons confiance dans les possibilités
infinies que l’amour de Dieu a en réserve ». écrit le pape.
La dynamique de nos vies n’est pas que tout le monde atteigne
durablement la case : « c’est que du bonheur ». Ce serait bien,
mais Dieu désire davantage pour nous tous. Il veut nous voir vivre au nom du
Christ, en le suivant de ce monde vers le Père, en revêtant par-dessus notre
condition mortelle le corps du Christ ressuscité, en portant notre croix pour
la naissance des fils de Dieu. Parce que la naissance des hommes à la condition
de fils de Dieu n’est pas une entreprise de sélection. Dieu ne fait pas un tri
entre les vivants pour se fabriquer une famille parfaite selon nos critères.
Son critère à Lui, c’est l’amour qui se déploie entre le Père et le Fils, c’est
le souffle qui plane sur la terre depuis le commencement. Cet amour-là ne
connaît pas de frontières.
La prière
est le temps donné pour que le Christ nous mette dans le cœur, dans nos pensées
et dans nos mains cette énergie d’amour pour tous, cette passion du Serviteur.
Jean-Pierre Duplantier
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