Des poutres / Luc 6 39-45 / Une homélie

Avoir une paille dans l’œil, avoir une poutre dans l’œil.(...)

Il ne s’agit pas seulement d’un jeu de contraste entre du petit, la paille, et du gros, la poutre.
Une poutre, ce n’est pas un morceau de bois comme un autre.
Une poutre, c’est un élément d’architecture, un morceau de bois certes, mais un bois façonné, taillé, calibré, rendu droit et lisse, un bois mis en forme.

Jésus nous révèle que nous avons, dans notre œil, une poutre.
Si cet œil est au singulier, ce n’est pas qu’un de nos deux yeux soit exempté du problème, c’est qu’il s’agit de notre vision, de notre regard, de comment nous regardons l’œil du frère, de comment nous regardons le regard de notre frère.

Notre œil est plein de poutre, notre regard est plein de poutre.
C’est à dire que nous portons dans notre regard un élément structuré.
Nous regardons à travers le filtre d’une poutre, nous regardons à travers une construction, notre regard est mis en forme.
Nous avons, tout prêt, déjà là, dans notre œil, toute une vision du monde, toute une construction, toute une architecture qui déforme notre regard.
Et quand nous regardons l’œil de notre frère, c’est à dire quand nous cherchons à comprendre son regard à lui, ce n’est pas sa manière de voir que nous voyons.
Ce que nous voyons, c’est qu’il ne voit pas comme nous, c’est que son regard ne rentre pas dans notre construction… et c’est un problème pour nous.
(...)
Nous voudrions tant que notre frère porte le même regard que nous sur le monde, qu’il voit les choses comme nous… nous aimerions tant qu’il ait la même vision de l’Église, qu’il aspire au même modèle.
Nous aurions la même spiritualité, la même liturgie, la même morale, les mêmes goûts…
Notre poutre deviendrait enfin aussi la sienne !

Aveugles ! Hypocrites !
Si chacun promène sur son frère un œil plein de poutre, qui pourrait y voir clair ?
Nous sommes des aveugles qui veulent guider d’autres aveugles… il se peut que nous tombions dans un trou.

Mais comment nous débarrasser de cette poutre ?
Comment s’empêcher de se construire une belle vision du monde ?
Comment libérer son regard ?

(...)

Mon œil sera libre de voir quand il cessera de se poser sur ce qui ne le regarde pas.
Quand il cessera de se mentir, quand il cessera de vouloir entrer dans l’œil de mon frère.

Chacun sera comme son maître.
Mon œil ne sera plus hypocrite, mon œil sera dans la vérité, quand il entrera dans le regard du maître.
Nous serons disciples, missionnaires ou pas, quand nous chercherons à voir à la manière du maître.
Nous serons disciples quand nous consentirons à ne pas prendre notre vision pour la sienne.
Quand nous consentirons à ôter la poutre qui nous empêche de voir avec son œil à Lui.
« Je suis le chemin, la Vérité et la Vie ».
La Vérité, c’est Lui !
Le regard de vérité, le regard sans poutre, le regard sans masque, c’est le sien.

Demandons au Seigneur qu’il libère notre regard, qu’il fasse tomber nos belles constructions qui nous cachent la Vérité, qui nous empêchent de porter notre fruit.

Nos poutres, nous en faisons des croix sur lesquelles il donne sa vie.
Nos poutres mettent à mort la Vérité elle-même.

Le disciple n’est pas au-dessus du maître.
Laissons le maître être le maître, et mettons-nous à son école, ouvrons-nous à son regard, soyons disciples,
soyons-le en Vérité.

Amen
Sylvain diacre

Je vous le dis, à vous qui m’écoutez / Lc 6 27-38/ Une homélie

Je vous le dis, à vous qui m’écoutez :" aujourd'hui, ce dimanche, nous recevons une nouvelle loi. Cette loi est encore plus exigeante, elle nous demande de déborder d'amour, de ne pas laisser de place à la haine. Cette loi nous est donnée par Jésus, le verbe fait chair. Mais cette loi est-elle tenable ?
Ainsi, la conclusion de l'énoncé nous demande : "Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux." Mais lequel d'entre nous peut se dire miséricordieux comme le Père ?
Et surtout tout le long du passage de cet Evangile, il y a comme un trop plein d'exigences, une accumulation de difficultés.
Il y a comme une forme d'écrasement de soi-même dans cette nouvelle loi. Il y a comme une soumission à la loi du plus fort. Est-ce la joue tendue, qui me fait dire cela ?
Et puis, Jésus nous demande d'aimer ceux qui ne nous aiment pas, au prétexte que les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Arrêtons-nous sur cette phrase, car elle est curieuse cette expression. Elle mérite peut-être d'être approfondie. Cette formule est peut-être une clé pour entrer dans une meilleure compréhension de ce que veut le Christ pour nous. Car enfin, c'est une bonne nouvelle que nous venons de lire.
"Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment". En fait, il n'y a pas le reproche d'aimer ceux qu'on aime, mais le reproche d'aimer ceux qui nous aiment. Ainsi aimer ceux qui nous aiment, c'est aimer ceux qui nous glorifient C'est aimer ceux qui nous voient plus grands que nous sommes en réalité. C'est nous admirer nous-même dans le regard des autres.
Ce qui nous est demandé est bien différent. Ce qui nous est demandé est de l'ordre du don total et de l'oubli de soi.
Mais comment cela est-ce possible ? Trois personnes nous permettent de rendre l'impossible possible.
En premier lieu, n'oublions jamais que nous sommes créés à l'image de Dieu. Acceptons qu'en nous subsiste la marque de l'amour infini d'un Père miséricordieux. Réalisons qu'en nous est semé le germe de l'amour et que nous sommes capables nous aussi les êtres humains de déborder d'amour.
En second lieu, rappelons-nous que notre baptême fait de nous des frères. Le Christ lui-même nous tient la main pour nous aider à voir notre pécher et ainsi nous oublier à nous-mêmes et à nous ouvrir totalement aux autres.
Enfin, l'Esprit-Saint ouvre notre intelligence aux futilités de l'admiration, et de ne pas se contenter d'aimer ceux qui nous aiment. Il nous invite à regarder au-delà de nous-même. Il nous aide à discerner dans chaque rencontre la présence du Seigneur, y compris dans cette rencontre douloureuse pour notre joue, même dans la rencontre de celui qui nous a dépouillé de notre manteau.
Certains d'entre nous, ont rendu possible ce qui nous semble impossible, je n'en citerai que trois mais ils sont innombrables.
Saint Martin qui a partagé son manteau avec un pauvre transi de froid. Martin est alors un officier de la légion Romaine. Il est habitué à être admiré. Peut-être aime-t-il ceux qui l'aiment. Mais ce jour de froid, il oublie sa dignité d'officier et la donne a un pauvre. La nuit suivante, il rêvera du Christ vêtu de la moitié de son manteau.
Saint François d'Assise qui pour le coup aime ceux qui l'aiment au début de sa vie, se convertit après une maladie et une illumination devant le crucifix de San Damiano. Sa conversion le conduit sur les chemins de la pauvreté et du don total. Il aime ses ennemis dans la rencontre qu'il fait à Damiette en Egypte avec le sultan Al-Kamel.
Et enfin plus près de nous, sainte Teresa de Calcutta qui soignera toute sa vie ceux qu'on ne doit pas toucher. Infatigable Teresa, petite femme qui vit la nuit et l'abandon de Dieu, donnera au-delà de tout et vivra complètement l'oubli de soi.
Qu'est-ce que les exemples de ces saints évoquent-ils pour nous ? Ils nous disent qu'un chemin dans cet Evangile est possible pour chacun de nous.
Ils nous disent que c'est un chemin d'abondance sur lequel chacun reçoit une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante.
Voici, les fruits de la nouvelle loi de Jésus que nous recevons aujourd'hui.
Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.
Amen !
Dominique Bourgoin, diacre.

Luc 4 21-30 / Une homélie

L’Evangile d’aujourd’hui est la suite de celui qui a été proclamé dimanche dernier
Jésus à la synagogue de Nazareth, lit le texte d’Isaïe.
« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres... » Il commente ce texte
« Aujourd’hui s accomplit ce passage de l’Ecriture »
Luc place cet épisode au sein d’une liturgie et je voudrais profiter de cette occasion pour rester un moment sur le plan liturgique. D’abord pour réaffirmer que la liturgie n’est pas simplement un décorum ou un rite mais qu’elle participe à l’accomplissement du mystère de Dieu. C'est le moment où le peuple de Dieu reçoit les dons divins et en rend grâce.

Le texte de Jérémie se termine par « Oracle du Seigneur ». c’est comme si par ces trois mots Jérémie voulait souligner la grande importance de la Parole comme Parole de Dieu.
Le prophète éprouve ce besoin d’insister comme s’il pressentait que sa parole aura du mal à se faire entendre. Ici tout à l’heure les lecteurs ont terminé leur proclamation par la phrase désormais devenue rituelle et un peu mécanique : « Parole du Seigneur  ». Je milite pour que cette phrase soit dites avec une certaine vigueur, et conviction, sans fausse pudeur, sans trop de retenue, pour nous rappeler le statut de la liturgie de la Parole.
Le dire avec force car la liturgie de la, Parole n est pas un moment annexe de nos liturgies. Elle est déjà présence et accomplissement du don du Seigneur
Vous avez entendu aussi qu’après la lecture Jésus a fermé le livre ; Ce geste a d’autant plus de sens qu’il est lui même la Parole. Il est la Parole vivante et ce qui s’accomplit là c’est l’incarnation en plénitude. Celui qui est présent dans la synagogue c’est bien un homme, le fils de Joseph, mais aussi le « Verbe fait chair qui est venu habiter parmi nous »

Alors vous avez peut-être remarqué que, ici à Gradignan, nous avons pris le parti de ne pas présenter le livre après la proclamation de l’Evangile.
Car nous disons « Louange à toi Seigneur Jésus » Après la proclamation sacramentelle de l’Evangile la Parole est en chacun des auditeurs comme une présence réelle. La liturgie de la Parole n’est pas une façon d’attendre la présence eucharistique, mais elle est présence réelle.

Présence aussi dans la lettre aux Corinthiens… presque trop connue mais méconnue. Choisie souvent pour la célébration de mariage avec le titre « l’Amour ne passera jamais »
Cet amour ne se réduit pas à l’amour conjugal soulignons-le.
Nous avons là un problème de vocabulaire ; Dans notre traduction nous entendons le terme «  amour » et à la fin de l’extrait le terme Charité. Mais dans notre représentation mentale ni le mot amour, ni le mot charité ne sont satisfaisant pour exprimer ce dont il est question ici.
En grec plusieurs mots rendent comptent de l’ amour comme philae, eros et agapè. Tout au long de sa lettre Paul utilise le mot « agapè » qui signifie le don total, le degrés le plus grand de l’amour, celui qui concerne Dieu.
Tout à l’heure c’est dans cette agapè (Charité) du Christ que vous échangerez la paix.
Donc la où nous serions tentés de lire une leçon de morale il faut plutôt l’aborder comme la contemplation d’un mystère qui nous dépasse…et qui s’accomplit aujourd’hui.

Et si on considère de près la lettre de Paul aux Corinthiens on constate deux choses
La véritable charité ce n’est pas d’abord des actes à poser, des choses à faire mais une attitude profonde de l’être ( l’oubli de soi, la patience, l’esprit de service, l’humilité, l’attention à l’intérêt de l’autre, la joie, le désir de justice …) (catalogue pour le discernement.) L’opposé de la Charité c’est la haine et ses fruits négatifs pour la société, pour nos relations car la haine rend toute entente tout dialogue impossible ( cf notre actualité), c’est fraternité zéro.

Ensuite , reconnaissons combien cette perfection de l’amour a quelque chose d’inaccessible.
Mais dans la deuxième partie de notre extrait Paul fait de l’amour une personne.
C’est l’amour qui est sujet.
J’y vois comme la présence du Christ. C’est par lui et avec sa grâce que nous pouvons sinon l’atteindre en tout cas viser sans cesse à la perfection dans nos relations humaines avant un jour d’entrer dans la plénitude de la Charité du Christ.

Dans son commentaire, Jésus cherche-t-il le conflit, c’est lui qui aborde le sujet qui provoque la colère meurtrière des juifs rassemblés en citant Elie et Elisée, en précisant que ces prophètes sont allés faire des signes et des miracles hors des frontières d’Israël chez les païens . C'est insupportable pour ceux qui se considèrent comme le peuple élu.

L’invitation de Jésus nous concerne aujourd’hui ; il nous invite à élargir nos horizons.
Nous voulons une Eglise ouverte (je pense que nous ne parlons pas du bâtiment). Sans nous rendre compte qu'au nom de notre assurance de pratiquants nous pourrions ouvrir si parcimonieusement la porte de l’Église que l’entrée en serait impossible si nous ne regardons que vers l’intérieur dans le confort de notre entre soi.
Dieu parle-t-il par nous ou seulement entre nous ?

Acceptons sans retenue d’être en dehors de ce bâtiment-église de courageux porte-parole du mystère de charité qui nous est confié.…….
Les merveilles de l’Evangile, la force de la Charité du Christ, fleurissent souvent ailleurs que sur nos plates-bandes bien alignées et bien organisées ;.

L'amour du Seigneur ne connaît pas nos frontières. ….

Amen

Robert Zimermann

Veillée Oeucuménique 2019

Les photos de la veillée Œcuménique du 25 janvier dans l'église de Gradignan
Visibles sur le site du diocèse
en cliquant sur ce lien

"Avance en eaux profondes" / Luc 5 1-11 / Une homélie

« Avance en eaux profondes »
Avance au large dit la traduction liturgique, avance en eaux profondes dit le texte.
Ce n’est pas une distance horizontale en rapport avec le rivage, c’est une distance verticale en rapport avec le fond.

Qu’y a-t-il dans nos eaux profondes ? Par quoi sont habitées nos profondeurs ?
Quels sont nos désirs cachés, nos rêves profonds ?

On pourrait se dire que le rêve profond de Simon le pêcheur, c’est de pêcher le plus grand nombre de poissons, de faire la pêche du siècle, de remplir ses bateaux de poissons.
C’est justement ce que Jésus accomplit pour lui.
Le problème, c’est que ce désir comblé, les filets craquent, les barques s’enfoncent, et que l’on frôle la mort.
Aucune joie pour Simon devant l’accomplissement de cette pêche toujours rêvée.
Au contraire, de la peur, de l’effroi, et ce cri « éloigne-toi de moi, je suis un homme coupable ! »

Quand Jésus s’approche, quand il vient sonder nos eaux profondes, nous réagissons comme Simon-Pierre, ce que le Christ accomplit pour nous nous terrifie. Alors nous faisons tout pour mettre de la distance entre lui et nous.
Devant l’immensité de son amour pour nous, devant cet amour insaisissable pour nos intelligences, devant cet amour incomparable à nos amours bornés, devant ce don aveugle qui n’a que faire de notre indignité, nous dressons des remparts !
Et ces remparts, nous les recouvrons du joli papier peint d’une piété tordue.
Il faudrait communier comme ça plutôt que comme ça, se mettre dans cette position plutôt que dans celle-là, la recevoir de celui-là plutôt que de cet autre, ne pas toucher, ne pas boire… que sais-je encore, notre inventivité est sans limite quand il s’agit de mettre de la distance entre lui et nous.

Le problème, c’est que ce n’est pas nous qui allons vers lui pour le recevoir, c’est lui qui s’approche pour se donner.
Ce n’est pas moi qui vient, c’est lui qui m’attire.
Ce n’est pas pour moi que je communie, c’est pour Lui
Ce n’est pas pour mon salut, mais « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » !

Que fait Jésus face à la déclaration de Simon ?
Rien. Il n’en a que faire !
Il lui donne une nouvelle perspective, un nouveau métier. Sa supposée culpabilité ne l’intéresse pas.

Recevoir un sacrement, c’est se laisser faire.
Se laisser faire par un amour qui nous dépasse.
Se laisser faire par une tendresse qui ne demande rien en retour
Se laisser faire par une miséricorde qui n’a pas de limites
Vous qui allez recevoir le sacrement des malades, laissez-vous faire.
Nous qui allons recevoir le pain vivant donné pour nous, laissons-nous faire.

Nous sommes indignes quoi qu’il arrive !
Nous sommes indignes du malade que nous soignons puisqu’il est le Christ
Nous sommes indignes du malade que nous visitons, puisqu’il est le Christ
Nous sommes indignes du pauvre et du prisonnier, puisqu’il est le Christ
Mais le Christ n’a que faire de notre indignité !
Il n’ignore rien de nos eaux profondes !
C’est là qu’il a choisi de jeter ses filets, c’est là qu’il a choisi de descendre.
Parce que son amour pour nous est une pure folie.

Ne soyons pas prisonniers de nos scénarios étroits mais soyons témoins enflammés de cet amour.
Soyons comme Paul, soyons comme Marie, esclaves du Seigneur,
esclaves, c’est à dire, toute obéissance.

Amen
Sylvain, diacre