Aujourd’hui,
nous attachons ensemble ce que nous célébrons aux monuments aux morts, sur la
place de notre ville, et ce que nous célébrons dans cette église, la mort et la
résurrection de Jésus-Christ.
Nous ne
voulons pas oublier. Nous voulons nous souvenir, et que nos enfants se
souviennent de ceux et celles qui sont morts durant la guerre 39-45, déjà si loin dans
nos mémoires, mais aussi des victimes des autres conflits dans lesquels notre
pays s’est trouvé engagé depuis, en Indochine, en Algérie, au Kosovo, en
Afghanistan et en Afrique. Sous le drapeau de notre pays nous essayons de
garder vivant l’honneur de défendre notre peuple et de le servir, l’énergie et
le courage des hommes et des femmes qui ont donné leur vie pour les valeurs de
notre république.
En
même temps, nous ne voulons pas oublier un certain regard sur le monde
et la vie : l’espérance et la raison de vivre que nos père nous ont donné
en héritage, en nous transmettant la foi en Jésus-Christ, mort et ressuscité
pour tous les hommes, fils de Dieu et lumière pour toutes les nations.
Ce
matin, dans cette église de Gradignan, nous venons d’entendre le récit de cet
Ethiopien anonyme, haut fonctionnaire de la reine, qui revenait d’un pèlerinage
à Jérusalem. Sur son char, dans ce désert où aujourd’hui encore la folie
meurtrière détruit des hommes et des femmes, il lisait ce qu’avait écrit le
prophète Isaïe. C’était aussi le désert dans son âme. Il avait fallu qu’il
renonce à avoir des enfants pour faire sa carrière dans son pays. « Comme
une brebis que l’on conduit à l’abattoir, comme un agneau muet devant celui qui
le tond, il n’ouvre pas la bouche… Sa vie a été retranchée de la terre. Sa
descendance, il n’y aura personne pour la raconter. » Que pouvait donc
répondre à çà, Philippe, le disciple de Jésus ? Qu’est-ce que l’Esprit
saint a-t-il donc pu lui inspirer à propos de Jésus-Christ, pour qu’il se fasse
baptiser et qu’il reprenne sa route dans la joie. Comment ce Jésus-Christ
a-t-il pu, après sa mort, lui donner une nouvelle raison de vivre ? Est-il
raisonnable de penser et de croire qu’il puisse encore aujourd’hui, pour nous
qui sommes ici, réveiller en nous cette puissance de vie qui ne s’éteint pas,
quel que soit l’état de notre chemin ?
La
réponse n’est pas dans le ciel, elle est en nous, inscrite dans notre chair
depuis le commencement. Mais elle n’a cessé d’être malmenée, enfouie, refoulée.
Nous avons dû dépenser tellement d’énergie pour surmonter les peurs qui ont
secoué notre corps et nos relations tout au long de notre découverte périlleuse
du monde, des autres, de l’inconnu, de cette vie où il faut sans cesse se
battre pour se faire une place au soleil, gagner sur soi-même et sur les
autres, s’inventer du nouveau pour se sentir exister, serrer les dents quand
les choses tournent mal et parfois se détruire quand tout paraît sans issue.
Et
pourtant nous connaissons ce que Jésus-Christ a réveillé chez les hommes. La
force de sa parole, la puissance de son regard, la tendresse de sa main tendue
n’ont cessé de réinstaller la vraie vie, la force d’aimer qui redresse les
chemins tordus, aplanit les montagnes, éteint les incendies. N’avons-nous
jamais été visités par cette force d’aimer ? N’est-elle jamais passée par
notre cœur, par notre chair ? Que nous est-il arrivé pour oublier la puissance
de guérison, de transformation, de construction de la force d’aimer ? Elle
ne fait que passer. Soit, mais c’est parce que ce don de Dieu marche en avant
de nous, nous attire au-delà de nous.
Et
le pardon, et la réconciliation. N’avons-nous jamais goûté le bonheur
fantastique d’être pardonné, la joie de la paix retrouvée, redonnée. Existe-t-il,
dans nos vie, quelque chose de plus fort que la solidité de nos liens entre
nous ?
Et
l’émerveillement, la lumière inattendue qui se lève dans les yeux d’un enfant,
d’un amoureux, d’un explorateur de la vie, ne révèlent-elles pas une énergie
incomparablement plus renouvelable que tous les développements durables que
nous cherchons à produire ? Existe-t-il un investissement plus rentable
pour l’aventure humaine que notre capacité à admirer le courage et les
trouvailles qui se lèvent à l’improviste en nous et chez les autres ? A
être sensible à ce qui est vivant chez les autres, à ce qui chez eux est en
demande, en souffrance, en désir.
Jésus-Christ
est cette lumière parce qu’il rend visible, palpable cette part de l’homme qui
appartient à Dieu, qui porte la marque de sa tendresse et de sa puissance de
création. Il est ce Fils d’homme qui sort de l’oubli la petite flamme qui en
chacun de nous a été allumée par le Dieu qui nous connait. Il est le chemin
vers ce que nous ne voyons pas clairement encore, mais qui attend en nous,
désire en nous. Il est la vérité, cette force qui dans notre langue traduit le
mot grec tellement attaché à la Bible, alétheia, qui signifie « ce qui
sort de l’oubli ». Il est la vie, celle qui est d’avant, de maintenant et
demain ; la vie de Dieu, qui est, qui était et qui vient.
Ce que nous vivons ici n’est pas seulement un rite, un morceau de religion
isolé et fragile dans notre monde. Les paroles que nous entendons et que nous
disons ici, les gestes que nous faisons, appartiennent à ce qui dans le monde
se lève des morts, atteste la lumière, réveille en nous l’espérance, l’amour,
le pardon, le travail de nous entraider… C’est la part que nous prenons
maintenant, ici, à l’éveil, à l’émergence, dans le monde à la vie qui nous
vient. Cela résiste en nous, la souffrance est souvent en première ligne, mais
je crois en cette force d’attraction, que Jésus-Christ révèle et maintient
vivante dans le monde.
Je
désir tellement que nous mangions ensemble de ce pain vivant qui nous est donné
par Dieu, que nous buvions ensemble le sang de cette alliance, et que prenions
le temps qu’il faut pour écouter celui qui murmure en nous :
« viens ! Tu es attendu. » « Venez, fils de la lumière
d’en-haut, que la paix soit avec vous ! »
Jean-Pierre Duplantier