Matthieu 4 12-23 / Une homélie de JP Duplantier

 
 J.P.Ranga nous a dit dimanche : l'unité entre les chrétiens et la paix dans le monde, cela commence par notre reconnaissance de ce que Dieu a inscrit dans le corps, le coeur et l'esprit des autres. Ce regard peut changer nos comportements et nos relations.
Ce regard est notre façon d'honorer concrètement notre baptême et celui des autres, notre communion à la parole du Christ et à son corps. Ce regard façonne le comportement du témoin du Christ
Notre foi en Dieu a, en Jésus-Christ une dimension corporelle et collective. Cela fait effet sur nos corps et dans la société dans laquelle nous vivons. Si cela n'a pas cette envergure, alors notre croyance est à ranger dans la liste des religions et des communautés culturelles. Cette appartenance à une communauté chrétienne peut être à nos yeux un bel héritage à sauvegarder, mais elle nous fait pencher inexorablement vers du particulier, du minoritaire. Or le Christ est mort pour tous, Il n'est pas divisé et encore moins source de division.

Comment laisser façonner en nous, concrètement ce regard et cette activité sans frontière.
a. La première figure des textes que nous venons d'entendre est celle de la « venue de Jésus dans la région de Galilée à la manière de la lumière dont a parlé Isaïe, faisant irruption dans le pays de l'ombre et de la honte, tel que ce pays l’était au temps de ce prophète.
Quelque chose a eu lieu pour le peuple dans le cadre de l'Alliance à cette époque, et ce quelque chose annonce ce qui se passe pour nous maintenant : nous y sommes ; c'est à notre tour d'y passer. La venue de Jésus-Christ dans notre société, c'est donc maintenant,
C’est une lumière dans la nuit, c'est le comportement et les paroles des personnes qui, en son nom, sont un corps visible et qui appelle.

b. Lorsque Jésus vient accomplir cette figure du premier Testament, un des traits remarquables de son action est d'appeler quelques hommes du bord du lac de Galilée, où il a commencé son travail de Fils de Dieu. Il manifeste de cette façon que ce qu'il apporte doit s'inscrire dans des corps. Ce n'est pas d'abord une doctrine, des idées, c'est une manière de vivre, une sorte de métier d'homme.

Et Jésus prend ce qu’il a sous les yeux : des pécheurs sur le lac. Il va en tirer des pécheurs d'hommes. Ces gens-la savent ce que c'est que lancer ses filets dans l'inconnu. C'est autre chose que d'aller acheter du merlu chez le marchand. Il faut attendre, apprendre la technique, persévérer. S'ils continuent chaque jour c'est qu’ils croient qu'il y a du poisson dans le lac. Leur métier est conforme à ce qui se passe dans le monde : on essaie d'être performants, de tirer des hommes tout ce qu'ils peuvent avoir de compétence, d'intelligence, de courage, de savoir-faire, de bonté et d'amour pour construire ensemble un monde plus juste et plus humain. Dans la version religieuse, c'est pour plaire à Dieu. Dans cette perspective, forcement, on trie, on sélectionne, on organise, on hiérarchise, on juge aux mérites...
Pour Jésus, l’enchaînement des événements est tout autre. Au commencement, il y a la soif que Dieu a pour tous les hommes. Cette soif de nous plonge dans l'océan où vivent les hommes. Cette soif de nous manifeste une parole que chacun de nous attend, parce que nous sommes façonnés pour elle à notre insu. Quand Jésus vient, il propose de lancer cette parole comme un filet : la Parole faite chair, le filet de cet amour venu d’ailleurs, d’un autre, la Parole qui est la vie, la lumière. C'est ce filet qui va conduire les hommes sur les rives du Royaume.

Dans l'espace où nous vivons, famille, profession, milieu social, les hommes sont comme les poissons du lac de Tibériade. Ils sont d'espèces et d'habitudes de vie bien différentes. Ils vont et viennent selon des logiques complémentaires ou contradictoires, mais de toute façon selon des règles propres à leur milieu, à leur époque, et selon le cours de leur propre histoire.
Les chrétiens sont des hommes et des femmes comme eux, qui ont été capturés vivants, je ne sais pas comment, par le filet de la Parole de Dieu. Ils sont alors conduits vers un autre espace, sous une autre loi, tenant désormais ensemble sans autre raison que le filet qui les entraîne. C'est leur conduite au milieu des autres qui devient alors pour les autres le filet de la Parole.
Là où ça fait des jours, des nuits et des années, qu'ils rament, et qu'ils ne tirent pas grand chose de l'existence, dans le fleuve de la vie du monde, la Parole de Dieu, qu'ils ont entendu il y a longtemps, mais qui est restée en périphérie de leur existence charnelle, cette Parole, cette présence, cette soif d'amour pour eux, a fini par les capturer vivants, les captiver. Désormais, le filet qu'ils jettent sur ordre du Seigneur n'est plus celui qui sert à persuader les hommes, jeunes ou vieux, à chercher à les prendre aux mailles de leurs convictions ou de leurs engagements, quand ce n'est pas seulement au piège de leurs propres habitudes. Quand maintenant, par leur seule façon de vivre, de regarder, d'écouter, de partager, de soigner, ils jettent le filet de la Parole de Dieu, ils activent la puissante attraction de la divine douceur, de la tendresse de Dieu : c’est elle qui touche les corps et les cœurs, les irrigue, abreuve leurs terres arides, lave leurs blessures, étanche leurs soifs profondes.

Comment cela nous vient-il d’être capturés vivants, d’être captivés ? Je ne sais pas. C'est une visite, une rencontre du Christ, à laquelle nous finissons par croire que c'est bien à moi qu'il s'adresse. C'est une rencontre que tel ou tel frère nous a bien confirmé que c'est le Seigneur qui est venu jusqu'à nous. C'est une vie commune avec Lui, une vie où nous découvrons peu à peu que l'homme est appelé à naître, à vivre et à mourir dans le monde, sans rien devoir de la vie à ses parents, sans se hausser au-dessus de lui-même et des autres, sans vouloir se glorifier ou réformer les autres, sans accuser et sans se prendre pour une victime. Appelé à vivre et à mourir sans raison, ni justification, par grâce. »
Le pape François écrivait récemment « Nous devons toujours nous rappeler que nous sommes pèlerins, et que nous pérégrinons ensemble. Pour cela, il faut confier son coeur au compagnon de route, sans méfiance, et viser avant tout ce que nous cherchons : la paix dans le visage de l’unique Dieu. Se confer à l'autre est quelque chose d'artisanal ; la paix est artisanale, Jésus nous a dit « Heureux les artisans de paix ! » (Mt 5, 9).

Jean-Pierre Duplantier

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