L'aveugle né / Jn 4 43-54 / Une homélie de JP Duplantier

Lorsque Jésus voit l'aveugle de naissance et qu’il constate que ses disciples n'enregistrent dans cet aveuglement qu'un effet du péché, il ouvre une brèche dans l'image que nous nous faisons du péché, en mettant en route l’étonnante histoire de sa guérison et des remous que cela déclenche dans son environnement, les voisins, les juifs, les parents.
 
Pour les disciples, comme pour les juifs, le péché est un ratage dans la création. C'est ce que les hommes font qui causent tous leurs malheurs. Pour Jésus le péché c'est ce que les hommes ont et que Dieu enlève. Comme sur le chemin de Damas, lorsque Paul sous l’effet de la lumière venue du ciel tombe à terre, entend la voix, puis se relève et bien qu'il ait les yeux ouverts ne voit plus rien. Trois jours après, juste après son baptême, des membranes lui  tombent des  yeux.
C'est comme si depuis la naissance, l’aveugle, Paul et nous, nous avions des membranes sur les yeux et que cela faisait partie du déroulement de la création. D'abord des membranes sur les yeux, puis Dieu les fait tomber, et nos yeux voient ce que Dieu est train de faire de nous : des fils  à son image. « C'est pour que l’action de Dieu se manifeste en lui » dit Jésus.
 
Le mot que nous traduisons par membrane désigne une enveloppe qu’il faut enlever, comme une coque de noix, des écailles de poissons, une croûte sur une plaie, une coque autour d'un oeuf pour que paraisse le fruit, la chair, la peau,  l’œuf.
Il est écrit que Dieu a façonné l’homme en chair et en os. En os, c’est-à-dire fait de terre, de poussière, rassemblé de ses mains, et en chair avec sa Parole. Très vite, l'homme et la femme hésitent : ou bien cet acte créateur est le commencement de notre propre histoire, de ce que nous allons construire nous-mêmes avec les matériaux et les forces de la terre ; ils misent sur la terre et sa puissance d’évolution, ou bien ce geste de création n’est que le premier acte de l'oeuvre de Dieu, qui va continuer à nous éveiller à la vie qu’il donne ; nous misons sur la puissance du désir de Dieu d'avoir des fils qui portent sa ressemblance. Nos pères et nous-même avons été séduits par ce que nous pouvions tirer de jouissance de nos propres capacités et de notre environnement. La terre dont nous sommes pétris est devenue alors une enveloppe, une coquille à l’intérieur de laquelle nous avions tout ce qu’il faut pour exister, pour consommer la vie. Cette coquille a emprisonné notre chair, et l’a rendu incapable de ce pourquoi elle nous a été donné: voir Dieu, saisir sa présence, écouter sa voix. Notre chair s’est trouvée alors soumise à l'impératif de la jouissance, de la convoitise.
 
Le geste que fait Jésus sur l'aveugle est une rupture dans ce scénario. Il crache sur le sol et, avec la salive, il fait de la boue qu'il applique sur les yeux de l'aveugle. Il remet en route la version de la décision de Dieu : faisons l’homme à notre image ! Le péché de l'aveugle devient alors non pas ce qu’il a fait de mal, c'est le voile qu'il a sur les yeux et l’empêche de voir le travail que Dieu est en train de réaliser avec nous, , créer des fils à sa ressemblance.
 
Deuxième étape dans le récit : Jésus dit « va te laver à la piscine de Siloé.» Dans l'acte de création il n'y a pas seulement ce que Dieu fait, il y a en même temps ce qu'il commande. L'homme a quelque chose à faire : va te laver a la piscine de Siloé. Un déplacement et pas n'importe quel déplacement : à la piscine de l’envoyé : c'est la traduction de Siloé. L'aveugle va se laver, il revient, il voyait. C'est plus difficile à comprendre, parce que l’affaire prend une dimension collective, sociale.
La piscine de Siloé, c'est d'abord le lieu de sortie de l'aveuglement ; quand il revient, il voit. Cet endroit est disponible pour tous les aveugles de ce genre. Mais c'est surtout un lieu de mémoire. Isaïe en parle clairement (Is 22, 11) : Siloé c'est l'endroit de la ville où il est possible de découvrir que les guerres, les injustices et les mensonges ont été envoyées par Dieu, pour nous alerter, nous faire changer de route, quitter nos idoles, ouvrir les yeux sur l’oeuvre de Dieu.
 
C'est là que l'aveugle va découvrir que ce n'est pas lui qui était aveugle, mais que tout son peuple vivait comme lui dans le noir, dans les ténèbres Tous vivaient à l'intérieur d'un écran panoramique, où circulaient les images qui peuplent ce qu'on dit, ce qu'on pense, qu'on admire, qu'on rêve ou dont on a peur. Ils vivaient dans un monde d'idoles. C'est eux qui avaient fabriqué ces idoles, mais maintenant c'est elles qui commandaient leurs vies. Et tout d'un coup cet écran se craquelle. Et soudain sa chair va redevient capable de voir l’œuvre de Dieu en cours, et de vivre sous un ciel habité.
 
L'effet est immédiat dans son entourage. Les voisins sont décontenancés par cet aveugle qui a changé, les juifs se raccrochent au sabbat, à la loi de Moïse, pour tenter d'effacer cette guérison et celui qui l’a réalisé, les parents eux-mêmes se mettent à l'abri. C’est une véritable crise pour eux. Leurs points de repère s'effilochent.
 
Vient alors la troisième étape du récit. Jésus, l’envoyé, revient. La guérison de l'aveugle devient la parabole de ce que Jésus est venu faire dans le monde. Il révèle chez nous une situation de crise, au moment ou tout se met à trembler dans le cours de notre existence individuelle et collective. Quelque chose d'inouï, d'insolent, désobéit à nos points de vue, à nos convictions, à nos projets, à nos peurs mêmes. «Crois-tu au Fils de l’homme ?» Qui est‑il? Tu le vois, c'est moi qui te parle ! L'aveugle ne reçoit pas la vision claire d'un nouveau projet de société. L'aveugle ne voit pas en fait, il croit au Fils de l’homme qui lui parle. Telle est la véritable vision de l'homme dans l'aventure de la création.
 
Voila, je n’ai rien d'autre à dire. Il nous reste à méditer, à prier et à contempler ce que nous venons d'entendre, Je suis comme vous. Le Christ me demande de reconnaître la boue qui est sur mes yeux depuis le commencement, afin que s'éveille en moi le désir que Dieu poursuive son acte de création. C'est Lui et lui seul qui peut nous élever à la condition de Fils. Ce n’est pas l'homme qui fabrique des fils de Dieu ; c'est Jésus-Christ, le Fils de l'homme qui témoigne de l’oeuvre de Dieu. Il me parle; Il me dit d’aller à cet endroit de notre histoire commune, où des fractures ont eu lieu. Ces cicatrices ne nous condamnent pas, elles sont des avertissements envoyés par notre Père d'en - haut, pour que nous revenions vers Lui, vers Lui et tous ceux que je découvre, blessés comme moi, d'être réduits à la condition d'esclave.
 
Il me reste, il nous reste, de croire en Lui maintenant de nouveau, en regardant autrement les conditions réelles dans lesquelles nous vivons. Et de nous laisser être nourris de sa Parole, de sa présence, de son corps et de son sang.

Jean-pierre Duplantier

Personne ne peut servir deux maitres / Mt 6 24-34 / Une homélie de JP Duplantier

Faut-il comprendre que Jésus nous demande de choisir un maître, et en l’occurrence aimer Dieu et détester l'argent. Dans ce cas, ce que nous demande de Jésus est proprement impossible.
Tous ici nous essayons d'aimer Dieu, mais lequel d'entre nous déteste l'argent et le méprise. Franchement, je ne pense pas qu'un tel choix soit notre position réelle. Nous pouvons faire de grandes déclarations sur le refus de subir l'esclavage de la finance internationale et sur notre lutte commune contre le pouvoir exorbitant de l'argent. Mais au quotidien et en profondeur ce qui fonctionne est bien ce que l'apocalypse de Jean atteste : «A tous, petits et grands, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, la Bête impose une marque sur la main droite ou sur le front. Et personne ne petit acheter ou vendre s'il ne porte la marque du nom de la Bête » C'est au chapitre 13 de ce livre. Que nous soyons laïques ou religieux, nous sommes dans le monde et portons sa marque : tout se paye d’une manière ou d’une autre. Le plaisir, la notoriété, notre place au milieu des autres, ça se gagne. Beaucoup de croyants pensent même que le royaume de Dieu a un coût, ça se mérite.

Voila ce que j'entends dans la déclaration de Jésus : oui, vous servez deux maîtres. C'est un fait avéré. Mais cette condition humaine est impossible à vivre. Que propose donc Jésus pour sortir de cette impasse radicale ?

Ce qu’il propose est annoncé par les prophètes, et notamment par le texte d’Isaïe que nous venons d'entendre « est-ce qu'une femme peut oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait l’oublier, moi, dit Dieu, je ne t’oublierai pas ». Ce que propose Jésus c'est d'accomplir dans sa chair cette parole d'amour de son Père, c'est d'être en toutes choses le Fils bien aimé. Il n'obéit pas à un maître, quel qu'il soit. Il obéit à Celui qui l’a engendré dans l'amour. Il vient de Lui, il est tourné vers Lui, il vit de Lui et il aime tous les hommes parce qu'il nous regarde de cette hauteur-là, de la hauteur, de la profondeur, et de la largeur de l'amour de Celui qui a décidé de nous créer à son image.
Quand Jésus nous parle, il nous dit ce qu’il voit de nous. Et ce qu'il voit c'est que nous valons plus que les oiseaux du ciel et les lis des champs. Et ce qu'il voit c'est que la vie des oiseaux révèle d'un autre espace que celui des semailles, des moissons et de la construction des greniers. Il voit que 1a beauté des lis appartient à un autre espace que celui de la gloire de Salomon. Il voit que la vie est un don de Dieu.
Et il nomme cet espace le Royaume de Dieu.
Et Il ne nous dit pas, faites ceci et faites cela et vous gagnerez ce royaume, mais «bien-heureux êtes-vous, les pauvres dans l'Esprit, littéralement les mendiants de ce Souffle, car le Royaume des cieux est à vous », c'est fait, maintenant, d'origine, vous êtes fils de Dieu.

La gloire de Dieu, dit Irénée c'est l'homme vivant et la vie de l'homme c'est de voir Dieu.
Pas de le connaître, de le posséder, de s'en servir, mais de désirer le voir, de mendier sa présence. « L'homme est appelé à naître, à vivre et à mourir dans le monde, sans rien devoir de la vie à ses parents, sans non plus se hausser au-dessus de lui-même et des autres, sans vouloir se glorifier ou réformer les autres, sans accuser et sans se prendre pour une victime. II est appelé à vivre et à mourir sans raison et sans justification, par grâce.

Quand Jésus nous parle, il ne parle pas de Dieu, il parle Dieu dans sa chair.
Jésus parle Dieu dignement et poliment; sans lui ajouter aucun autre privilège que celui de parler dans sa langue, recueillant son témoignage en acceptant qu'il remplisse son propre «cahier des charges » et non pas celui de ses voisins : phénomène, choses, âmes ou fictions dont aucun ne peut servir, à le juger. 

Suivons Jésus le Christ en parlant Dieu dans notre chair. En inscrivant dans nos gestes et nos paroles la beauté et la puissance des paraboles du Royaume :
Je me souviens des yeux brillants d'un jeune apprenti boulanger racontant sa première nuit dans l'atelier où il venait d'être embauché. Il parlait de farine et d'eau, de ses mains dans la pâte, et de la sortie du four, de l'odeur du pain, de son craquant. Et j'ai entendu ce jour-là : le Royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ, qu'un homme a découvert : il le cache à nouveau et dans sa joie il s'en va, vend tout ce qu'il a et achète le champ. Ce jeune homme n'avait pas seulement découvert un job, un salaire, mais un trésor caché dans un champ. Il ne parlait pas de Dieu, il parlait la langue du Royaume de Dieu. Qu'avais-je besoin d'un autre signe ? Ça parlait Dieu dans sa chair.

Je me souviens aussi d'une station du tramway place de la Victoire : une place, les gens passent, les gens comme on les voit, juste un flux, une masse, sans visage, sans voix Quel étrange soudain, quelque chose - mais quoi ? désobéit. Une tache, une faute et soudain tu comprends. Imprudence inouïe, insolite, indécente, Zora sourit. Zora sourit aux trottoirs, aux voitures, aux passants Au vacarme, aux murs, au mauvais temps. A tout ce qui nous semble évident elle avance et bénit chaque instant, Zora sourit. « Le Royaume des cieux est comparable à un grain de sénevé jeté dans un champ. C'est la plus petite des semences. Mais quand elle a poussé elle devient la plus grande plante du jardin. Comme un arbre dans la ville, où l’on pourrait monter le long du tronc, entendre le vent dans les branches, et le cri des oiseaux, jusqu'a ce petit coin de ciel pour lequel nous sommes nés. Le sourire de Zora ne parlait pas de Dieu, mais elle parfait la langue du Royaume. Pourquoi chercher un autre signe ?

Et nous maintenant : voici le pain. Prenez et mangez. Ceci est mon corps. Les mots ne montrent pas que les choses. Ils peuvent envoler soudain notre chair vers la présence du Seigneur, et nourrir la vie en nous et nous habiller de lumière, et que nous devenions témoignage dans le monde de ce que le Christ dit et fait chez nous maintenant.
Que le Seigneur fasse de nos vies des paraboles du Royaume.

Jean-Pierre DUPLANTIER

La transfiguration / Mc 9 / l'homélie

Sur la montagne, Pierre, Jacques et Jean ont été effrayés.
Lorsque Pierre, dans la 2° lettre qu’il a écrite, revient sur ce moment, il nous révèle en quelques mots la force déconcertante de cette expérience. Devant le spectacle de la transfiguration, ce qui vient en premier ressemble au mythe fabuleux d’un Jésus portant sur lui toute la puissance de l’homme. Un héros qui a fait toutes les guerres et vaincu tous ses adversaires, les méchants, les maladies, les crises sociales, les colères de la nature et les folies religieuses. Un héros qui a gagné toutes les guerres, celles de l’amour aussi. Plusieurs années après, Pierre réalise qu’il a bien failli « se mettre à la traîne de ces fables tarabiscotées », comme il dit. Un instant, il a cru voir, rassemblés sur la montagne, les grands chefs du combat de Dieu contre les puissances de la terre. Il a proposé de construire le camp de cette armée mythique, avec une tente pour chacun des héros de cette bataille imaginaire, une pour Moïse, une pour Elie, une pour le Messie. Mais un gros nuage lourd les a couverts de son ombre. Il a compris qu’il vivait dessous les ombres …
C’est une voix qui leur a montré ce qu’il venait de voir, réellement, de leurs yeux, et pas dans leurs rêves : « celui-ci est mon Fils bien aimé, écoutez-le ! ». 
 
Regardons nous aussi ce qui nous est montré à chaque messe, et à certains moments de grâce, ce qu’Il nous fait quitter pour que nous consentions à nous abandonner à ce qu’Il nous donne.
Jésus est le fils bien-aimé. Il est ce que Dieu notre Père veut faire de nous, des hommes qui portent son image et sa ressemblance. Des hommes qui soient les membres du Corps de ce Fils bien-aimé. De ce corps, nous ne connaissons pas grand chose ; il est pourtant plus réel que les nôtres : Il est un corps, en chair et en os, revêtu de la lumière d’en-haut, de la tendresse et de la puissance de l’amour de Dieu, dans tout son éclat. Un corps en train de venir d’en-haut vers nous qui habitons dessous les ombres.
 
Ecouter ce Fils bien aimé, c’est le suivre. C’est quitter son pays, sa famille, ses dieux, comme Abraham. En témoignent les récits de sa vie, de ses épreuves, de sa foi. C’est consentir à regarder en face que tout ce que nous avons construit, seul ou ensemble, c’est comme l’herbe, comme la fleur des champs : l’herbe sèche, la fleur tombe, dit Isaïe.
Tout cela, nous l’avons bien construit avec ce que Dieu a mis entre nos mains et dans nos cœurs. Nous l’avons construit ensemble, mais sans Lui ; en tout cas, hors de sa volonté de faire de nous des fils qui portent sa ressemblance ; seulement comme une performance humaine, selon notre volonté de réussir notre idéal humain.
 
Ecouter le fils bien aimé, c’est, quand on est jeune, accepter d’habiter les ruptures que Dieu suscite au fond de notre âme, ne pas avoir peur d’accueillir les surprises qui se lèvent dans notre expérience de la vie que nous menons, d’aller jusqu’au bout des tensions et des ambitions propres à notre temps, de prendre au sérieux les groupes, les réseaux d’échanges, pour y apprendre et y reconnaître l’avènement de Dieu. C’est apprendre à vivre la faiblesse de croire, comme l’écrivait Michel de Certeau.
 
Ecouter le fils bien aimé, c’est, plus tard, le suivre dans les temps de l’épreuve ou de la tentation. C’est affronter la séduction de ce qui est beau à voir, bon à manger et délicieux pour en connaître toujours plus, comme nous le raconte le débat entre Eve et le serpent dans le jardin. C’est affronter la tentation du pouvoir sur la nature, du pouvoir sur les autres, de la supériorité que nous laissons enfler dans notre tête à travers nos engagements dans la société ou la religion ; c’est affronter ces démons qui nous habitent comme Jésus dans le désert. Et comme lui, c’est l’Esprit saint qui nous envoie dans le champ de ces tentations. 
 
Ecouter le fils bien aimé, quand nos forces commencent à décliner, c’est apprendre à le suivre à passer de ce monde à son Père. A s’offrir à ce passage, à cette transition, à cette substitution de ce qui est en train de nous venir de Lui à tout ce que jusque-là nous nous étions accrochés. Nous n’avons pas forcément une affection sensible pour Jésus, mais pour ce passage-là il est notre maître, et si nous n’avons plus beaucoup de choses à donner, ni même plus beaucoup d’exigences, Lui sait ce dont nous avons besoin et il ne nous lâche pas. Devenir pas à pas plus vigilant à ses regards, à ses paroles, à ce que nous voyons et entendons du travail de son Esprit chez nos frères nous aide à lâcher le souci encombrant de ne plus se sentir aussi performant qu’avant.
 
La messe est, à chacun de nos âges, le moment où nous est donné d’écouter le Fils bien-aimé. Oui, il s’agit bien d’un passage, d’une transition entre ce qui en nous est déjà en train de s’en aller et ce qui de nous est déjà en train d’être transfiguré, c’est-à-dire revêtu de l’éclat de la tendresse et de la puissance de Dieu.
 
Le pain que nous mangeons est bien le fruit de la terre et du travail des hommes. Il est la nourriture pour refaire nos forces et créer du partage entre nous. La coupe que nous buvons est bien le fruit de la vigne et du travail des hommes. Ce vin réjouit le cœur des hommes. Mais quand nous les prenons sur son commandement, à sa parole, une autre nourriture se substitue à celle que nous avons apportée ; c’est son corps et son sang. Et nous devenons ce que nous recevons, comme le dit saint Augustin. C’est une véritable mort à ce que nous connaissons de la vie et de nos corps et de nos relations, et l’éveil déjà en nous de l’œuvre que notre Père est déjà en train d’accomplir en chacun de nous. 
 
Ce passage, cette transition-là, ce n’est pas nous qui la faisons ; elle nous arrive par le Christ, avec Lui et en lui. Ce n’est pas notre performance, c’est une relation qui nous bouleverse, nous envole, nous transforme ; et cette relation n’a pas d’autre objet que celui de la volonté de Dieu : faire de nous des fils qui portent sa ressemblance.
 
La messe n’est pas la distribution hebdomadaire d’un complément alimentaire pour notre tonus spirituel. Elle est l’acte du Seigneur nous faisant passer de la mort à la vie.
La messe est un événement. Pas seulement pour chacun de nous, ni même pour notre paroisse. C’est un événement qui appartient à l’œuvre de Dieu. Celle-ci n’a pas de limite ni dans le temps, ni dans l’espace. La messe est, chaque fois, l’ici et le maintenant du travail de Dieu dans le monde.
 
Comme le dit Pierre : vous avez raison de fixer votre regard sur Lui comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur, jusqu’à ce que luise le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs.
 Jean-Pierre Duplantier

Matthieu 4 12-23 / Une homélie de JP Duplantier

 
 J.P.Ranga nous a dit dimanche : l'unité entre les chrétiens et la paix dans le monde, cela commence par notre reconnaissance de ce que Dieu a inscrit dans le corps, le coeur et l'esprit des autres. Ce regard peut changer nos comportements et nos relations.
Ce regard est notre façon d'honorer concrètement notre baptême et celui des autres, notre communion à la parole du Christ et à son corps. Ce regard façonne le comportement du témoin du Christ
Notre foi en Dieu a, en Jésus-Christ une dimension corporelle et collective. Cela fait effet sur nos corps et dans la société dans laquelle nous vivons. Si cela n'a pas cette envergure, alors notre croyance est à ranger dans la liste des religions et des communautés culturelles. Cette appartenance à une communauté chrétienne peut être à nos yeux un bel héritage à sauvegarder, mais elle nous fait pencher inexorablement vers du particulier, du minoritaire. Or le Christ est mort pour tous, Il n'est pas divisé et encore moins source de division.

Comment laisser façonner en nous, concrètement ce regard et cette activité sans frontière.
a. La première figure des textes que nous venons d'entendre est celle de la « venue de Jésus dans la région de Galilée à la manière de la lumière dont a parlé Isaïe, faisant irruption dans le pays de l'ombre et de la honte, tel que ce pays l’était au temps de ce prophète.
Quelque chose a eu lieu pour le peuple dans le cadre de l'Alliance à cette époque, et ce quelque chose annonce ce qui se passe pour nous maintenant : nous y sommes ; c'est à notre tour d'y passer. La venue de Jésus-Christ dans notre société, c'est donc maintenant,
C’est une lumière dans la nuit, c'est le comportement et les paroles des personnes qui, en son nom, sont un corps visible et qui appelle.

b. Lorsque Jésus vient accomplir cette figure du premier Testament, un des traits remarquables de son action est d'appeler quelques hommes du bord du lac de Galilée, où il a commencé son travail de Fils de Dieu. Il manifeste de cette façon que ce qu'il apporte doit s'inscrire dans des corps. Ce n'est pas d'abord une doctrine, des idées, c'est une manière de vivre, une sorte de métier d'homme.

Et Jésus prend ce qu’il a sous les yeux : des pécheurs sur le lac. Il va en tirer des pécheurs d'hommes. Ces gens-la savent ce que c'est que lancer ses filets dans l'inconnu. C'est autre chose que d'aller acheter du merlu chez le marchand. Il faut attendre, apprendre la technique, persévérer. S'ils continuent chaque jour c'est qu’ils croient qu'il y a du poisson dans le lac. Leur métier est conforme à ce qui se passe dans le monde : on essaie d'être performants, de tirer des hommes tout ce qu'ils peuvent avoir de compétence, d'intelligence, de courage, de savoir-faire, de bonté et d'amour pour construire ensemble un monde plus juste et plus humain. Dans la version religieuse, c'est pour plaire à Dieu. Dans cette perspective, forcement, on trie, on sélectionne, on organise, on hiérarchise, on juge aux mérites...
Pour Jésus, l’enchaînement des événements est tout autre. Au commencement, il y a la soif que Dieu a pour tous les hommes. Cette soif de nous plonge dans l'océan où vivent les hommes. Cette soif de nous manifeste une parole que chacun de nous attend, parce que nous sommes façonnés pour elle à notre insu. Quand Jésus vient, il propose de lancer cette parole comme un filet : la Parole faite chair, le filet de cet amour venu d’ailleurs, d’un autre, la Parole qui est la vie, la lumière. C'est ce filet qui va conduire les hommes sur les rives du Royaume.

Dans l'espace où nous vivons, famille, profession, milieu social, les hommes sont comme les poissons du lac de Tibériade. Ils sont d'espèces et d'habitudes de vie bien différentes. Ils vont et viennent selon des logiques complémentaires ou contradictoires, mais de toute façon selon des règles propres à leur milieu, à leur époque, et selon le cours de leur propre histoire.
Les chrétiens sont des hommes et des femmes comme eux, qui ont été capturés vivants, je ne sais pas comment, par le filet de la Parole de Dieu. Ils sont alors conduits vers un autre espace, sous une autre loi, tenant désormais ensemble sans autre raison que le filet qui les entraîne. C'est leur conduite au milieu des autres qui devient alors pour les autres le filet de la Parole.
Là où ça fait des jours, des nuits et des années, qu'ils rament, et qu'ils ne tirent pas grand chose de l'existence, dans le fleuve de la vie du monde, la Parole de Dieu, qu'ils ont entendu il y a longtemps, mais qui est restée en périphérie de leur existence charnelle, cette Parole, cette présence, cette soif d'amour pour eux, a fini par les capturer vivants, les captiver. Désormais, le filet qu'ils jettent sur ordre du Seigneur n'est plus celui qui sert à persuader les hommes, jeunes ou vieux, à chercher à les prendre aux mailles de leurs convictions ou de leurs engagements, quand ce n'est pas seulement au piège de leurs propres habitudes. Quand maintenant, par leur seule façon de vivre, de regarder, d'écouter, de partager, de soigner, ils jettent le filet de la Parole de Dieu, ils activent la puissante attraction de la divine douceur, de la tendresse de Dieu : c’est elle qui touche les corps et les cœurs, les irrigue, abreuve leurs terres arides, lave leurs blessures, étanche leurs soifs profondes.

Comment cela nous vient-il d’être capturés vivants, d’être captivés ? Je ne sais pas. C'est une visite, une rencontre du Christ, à laquelle nous finissons par croire que c'est bien à moi qu'il s'adresse. C'est une rencontre que tel ou tel frère nous a bien confirmé que c'est le Seigneur qui est venu jusqu'à nous. C'est une vie commune avec Lui, une vie où nous découvrons peu à peu que l'homme est appelé à naître, à vivre et à mourir dans le monde, sans rien devoir de la vie à ses parents, sans se hausser au-dessus de lui-même et des autres, sans vouloir se glorifier ou réformer les autres, sans accuser et sans se prendre pour une victime. Appelé à vivre et à mourir sans raison, ni justification, par grâce. »
Le pape François écrivait récemment « Nous devons toujours nous rappeler que nous sommes pèlerins, et que nous pérégrinons ensemble. Pour cela, il faut confier son coeur au compagnon de route, sans méfiance, et viser avant tout ce que nous cherchons : la paix dans le visage de l’unique Dieu. Se confer à l'autre est quelque chose d'artisanal ; la paix est artisanale, Jésus nous a dit « Heureux les artisans de paix ! » (Mt 5, 9).

Jean-Pierre Duplantier

Vous avez appris et bien moi je vous dis / Matthieu 5 38-48 / Une homélie

Comme dimanche dernier Jésus remet en cause ce qu’on a appris. Et comme il s’adresse à des têtes dures, aujourd’hui, il le répète deux fois. Je crois qu’il s’adresse à des têtes dures.
« Vous avez appris qu'il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant » Bienheureux commandement de Jésus ! Sinon son Eglise serait une assemblée de borgnes et d’édentés.
Cette loi, la loi du talion, nous vient du premier testament. Ce principe législatif est pour nous l’exemple d’une justice impitoyable et dure. Or, la Bible insiste sur la modération de cette proposition. La peine ne doit pas aller au-delà du préjudice, ce nouveau principe, est alors un progrès social qui permet de limiter l’escalade de la vengeance.
Jésus, lui qui nous dit, qu’il n’est pas venu abolir la loi mais l’accomplir, nous propose une loi encore plus dure et plus douce. Une loi plus difficile à appliquer pour la victime et plus miséricordieuse pour le méchant.
« Frères, n'oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous. » Rendons grâce à Paul qui nous donne de comprendre pourquoi Jésus est si exigent. Vous êtes le temple de Dieu. Vous êtes le temple de Dieu. Dieu se réserve une place en chacun de nous. Son Esprit habite en nous. Notre corps est un tabernacle. D’autant plus quand nous recevons son corps et son sang. Abimer ce temple nous dit Paul est une offense à Dieu. Le cas échéant, le jugement du Seigneur passera. C’est pour cette raison que Jésus nous dit de dépasser la douce loi du talion. N’ajoutons pas notre perte à notre préjudice.
Comme cela est difficile à entendre. Comme cela est difficile à comprendre. Mais Paul insiste en nous disant : « Que personne ne s'y trompe : si quelqu'un parmi vous pense être un sage à la manière d'ici-bas, qu'il devienne fou pour devenir sage. »
Oui, il nous faut devenir fou pour être sage aux yeux de Dieu. Devenons fous aux yeux du monde. Car qui peut penser sainement que tendre l’autre joue lorsqu’on a été giflé n’est pas l’œuvre d’un fou ?
Le monde calcule. Le monde pèse et compare. Le monde légifère à sa propre mesure. Ainsi, le code civil définit la proportion de la peine par rapport au délit, souvent trop lourde pour le délinquant et trop légère pour la victime. Que la loi définisse la proportion de la peine est une bonne chose. Mais le mal se glisse dans l’appréciation qu’en ont, à la fois, le délinquant et la victime, l’un niant ou ne reconnaissant pas la gravité de ses actes, l’autre, souvent animé par la douleur et la vengeance, ne laissant pas de place au pardon.
Vous me direz tout dépend de l’acte. Il y a des actes si horribles que le pardon est impossible. Oui, je sais et pourtant la parole de Dieu exprimée par Paul vaut aussi pour le méchant : « Frères, n'oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous. ». Tout homme est créé à l’image de Dieu, le bon comme le méchant. C’est le plus difficile à entendre et nous avons lu : « Car votre Père qui est dans les cieux fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. »
Pour Dieu tout homme est aimé qu’il soit bon ou méchant aux yeux du monde.
Nous avons appris par nos parents comment bien se comporter. L’école nous a enseigné la morale. Au catéchisme, nous avons appris les commandements. Le monde appelle tout cet enseignement les valeurs chrétiennes. Comme si l’amour se mesurait. Comme si l’apprentissage de ces valeurs pouvait être récompensé d’un diplôme. Voilà ce que nous avons appris, et bien aujourd’hui le Christ vient nous dire : « Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux »
Aujourd’hui, le Christ nous invite à être des fils. Ce n’est pas nous qui pouvons réclamer une quelconque filiation sur la preuve de ce que nous avons appris. C’est le Christ qui nous dit : aime et sois un fils.
Le Christ nous invite à ouvrir nos oreilles à sa parole pour qu’elle pénètre nos corps et bouscule nos certitudes. Nous devons la laisser renverser ces certitudes que nous basons sur ce que nous avons appris. Nous devons laisser notre étonnement prendre le pas sur nos refus et accueillir en confiance, avec foi, la parole du Christ.
Notre baptême nous délivre du monde qui nous enferme dans le calcul et la comparaison.
Notre baptême nous arrache à tout ce que nous avons appris.
Notre baptême nous ouvre à celui qui vient pour nous guider vers le Père.


Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n'oublie aucun de ses bienfaits !

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d'amour et de tendresse.


Soyons des fils !
Amen !
Dominique Bourgoin, diacre.
7° dimanche du temps ordinaire

Lv19, 1-2.17-18 // Ps 102 // 1 Co 3, 16-23 // Mt 5, 38-48

Luc 14 / Une homélie de JP Duplantier

Aujourd'hui, les invités à une noce sont placés selon l'organisation des tables faites à l'avance par les mariés. Ceci n'empêche pas bien des invités d'essayer de se faire voir du jeune couple et d'accrocher leur attention, ou de râler parce qu'ils n'ont pas une place qui leur convient. Quel est donc cet écart entre le geste de ceux qui nous invitent pour nous faire partager leur joie, et la réaction fréquente des invites de chercher dans la fête leur propre satisfaction. Je sais que chacun de nous ou presque pense qu'il n’est pas comme çà, Quoique ! En tous cas, Jésus a sûrement quelque chose à nous dire dans cette parabole.
 
D’où nous vient donc ce goût du premier rang ? Je vais peut-être vous étonner, mais cela est en nous depuis la création de l'homme par Dieu. En effet, Dieu a façonné l'homme, lui a parlé et l'a mis dans les conditions lui permettant d'enter lui-même en dialogue. C'est cet homme tout équipé qu'on appelle Adam. Sa première réaction est de se projeter lui-même dans la femme que Dieu lui présente : elle est l'os de mes as et la chair de ma chair. Il comprend, en le disant, qu'il est fait, lui-même et sa femme, d'un élément du monde - les os - et d'un autre élément - la chair - qui le rend apte au dialogue. Dans la foulée, il nous est raconté que la femme, qui n’est pas encore Eve, et qui a été tirée de l'homme, c'est-à-dire de tout l'équipement que Dieu a mis dans l'homme, est affrontée a un type de dialogue inattendu. Sa chair lui apparaît disponible à deux partenaires : Dieu d'une part, et le serpent d'autre part, un élément du monde des vivants, un animal. Elle désire parler avec son homme et avec Dieu, mais elle n’est pas indifférente au discours du serpent. La chair est ainsi faite : elle dialogue avec tous ceux qui lui parlent. C'est comme si Dieu avait voulu que nous soyons devant un choix entre Lui et le prince de ce monde, et qu'il nous faille décider à perdre une part de nous-même pour nous attacher à lui. Pas de quitter le monde, mais de perdre un trop grand attachement au monde. Vous connaissez la suite : la femme mange de l’arbre, en donne à son mari. Dieu revient alors dans le jardin et ils ont peur et se cachent. Ils ont donc conscience qu'une faille s'est produite dans leur relation avec Dieu. Il m'a trompé, dit la femme. Ils se sont trompes de cible. C'est cela que nous appelons le péché : pas une faute, mais un attrait excessif pour ce qu'on peut saisir et manger. La faute vient quand nous persistons et signons : les choses du monde c'est quand même plus intéressant que le projet de Dieu sur nous : vers une seule chair, vers le corps du Christ. Qui va nous enlever cet excessif attrait pour les choses qui passent ?
 
Ce que nous offre le Christ c'est de desserrer l'étau de la passion de réussir notre propre vie et de nous redonner la soif de la rencontre, celle de Jésus et celle des autres. Comme le dit Paul, « quand nous étions enfants nous étions soumis aux éléments du monde. Quand Dieu envoie son Fils, il nous est donné de devenir fils adoptifs.» L'entant, en effet, est un être blessé. Il n’est plus seul au monde dans le ventre de sa mère. Il est dehors, à la merci de ceux qui l'entourent. Combien d'entre nous portent en secret l’image d'avoir été mal aimé. Combien d'entre nous supportent mal avec le temps les alliances qu'ils ont contractées avec un autre ou des autres, et se disent en eux-mêmes : « l'autre exagère, il ne pense qu'a lui, ou qu'a elle. Il est grand temps que je me défende et vive ma propre vie. »
Et cela n’est pas vrai seulement individuellement. Il en est de même entre les nations. II y a quinze ans, la France avait des relatons diplomatiques et des contrats avec la Lybie et la Syrie. Mais ils ont exagéré. Le temps est venu de défendre nos valeurs et de les punir pour leur comportement et leur arrogance.

Jésus-Christ vient dans cette blessure des enfants. La blessure d'être mal aimé et de compenser en mettant la main sur tout ce qui passe à leur portée. Cela n’en finit pas de ronger les liens qu'ils tissent avec les autres en grandissant. Jésus, lui, aussi est mal aimé par les siens, de Nazareth à Jérusalem. Il est mal vu, mal entendu, puis maltraité et crucifié. Mais il traverse cette version humaine de la mort. Il obéit à son Père, il pleure sur les siens, il les aime jusqu'au bout. Et il nous donne de nous nourrir de sa force d'aimer, de sa chair et de son sang. II fait de nous des fils, pour lesquels l'oeuvre du Père prend le pas sur notre lutte pour vivre, pour exister par nos propres forces.
 
Les pauvres sont parmi nous l'indice que le monde ne s'intéresse qu'aux nantis et privilégie les relations que nous avons avec ceux qui ne peuvent nous renvoyer l’ascenseur, nous apporter des contreparties. Jésus ne juge pas. Il révèle un autre chemin - celui du travail de son Père ; c'est son Père qui décide des places. Dans la Parabole, celui qui invite dit a celui qui est a. la dernière place viens mon ami, et à celui qui s'est mis à la première, « laisse ta place ». C'est la place que Dieu nous donne dans le monde, qui est le réel de notre vie aujourd'hui, pas celle que nous prenons ou que nous souffrons de ne pas avoir.
 
Pour le moment mangeons et buvons la nourriture qu'il nous offre. C'est de Lui que nous tenons la vie qui ne passe pas.

Jean-Pierre DUPLANTIER

Jeudi Saint / Jn 13 1-15 / Une homélie de JP Duplantier

« Si je ne te lave pas les pieds, tu n'auras pas de part avec moi » De quelle part s'agit-il ?
Le récit commence ainsi : « sachant que l'heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, qui avait aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'au bout, » Avoir part à Jésus c'est donc de le laisser nous conduire vers le père à partir de maintenant. Comment Jésus s'y est pris avec ses disciples. D'abord, il a lavé leur coeur, leur tête, leur corps par sa Parole, à travers son enseignement et les gestes de guérison qu'il leur a montrés. Maintenant il les prépare à aller plus loin. « Vous n'avez pas besoin d'être lavés ; vous êtes purs, non pas tous, mais pour vous ici c'est fait ». Le geste de leur laver les pieds n'a donc pas pour but qu'ils soient propres. Il vise le seuil qu'ils ont maintenant à franchir, le seuil qu'il nous faut à notre tour nous aider les uns les autres à franchir.
Quel seuil ?
 
Le récit de l'Exode que nous venons d'entendre l'annonce. Jésus l'accomplit Le fléau de Dieu va frapper l'Égypte ; il va frapper la figure de la grande puissance en matière de religion et d'organisation politique, économique et culturelle. Le fléau va frapper ce que les hommes ont fait de mieux avec les dons que Dieu leur a faits, mais sans Lui. La marque du sang de l'agneau sur les portes des fils d'Israël va les mettre au large de l'esclavage. Aujourd'hui, nous nous souvenons du geste de Jésus : il prend soin des pieds de ses disciples il honore la marche qu'ils ont à faire désormais il honore leur déplacement par rapport au cours du monde,
Les disciples vont avoir sous leurs yeux le corps de Jésus trahi, jugé, torturé et crucifié. En ce corps, la parole de Dieu s'est faite chair. En toutes choses il épouse la condition humaine. Excepté le péché. Excepté le refus de se laisser conduire par son Père.
 
Exposé sur le bois de la croix, il donne à voir au monde ce que les humains font avec la condition humaine. Il est jeté dehors, comme l'aveugle de naissance, par les organisations religieuses et politiques de son pays. Et il va traverser cette haine aveugle, obéir à son Père et ouvrir la porte de la vie de fils, telle que Dieu la veut pour nous tous.
 
Voilà pourquoi Jésus prend soin de leurs pieds. C'est comme un envoi chaleureux pour ce qu'il leur reste à vivre. En eux, la puissance de l'amour de Dieu va continuer à se manifester. Tout le travail de l'humanité pour s'autodéterminer, toutes les inventons idéologique et techniques qu'ils utilisent pour construire seuls leur destin, vont être contestées par les comportements des disciples, puis désarticulés, dispersés, jusqu'à ce que les hommes voient de leurs yeux ce qu'il leur reste. Car il y a des restes : il y a les rencontres bouleversantes, les commencements libérateurs, comme la naissance d'un enfant, d'un amour, d'une réconciliation, d'une grâce inattendue, Au fil du temps, ce sont ces restes que Jésus rassemble. C'est ainsi que nous devenons les membres de son corps.
 
Vous dont les pieds vont être lavés, nous tous qui voyons ce geste comme un exemple à suivre, acceptons l'honneur que le Christ nous fait de nous appeler à donner à voir au monde que notre véritable horizon est d'être conduits par le père vers la condition de fils. Appelés à donner à voir cette oeuvre de Dieu en cours par notre comportement, par nos manières d'agir, de parler, par notre calme détermination à prendre le risque d'être jeté dehors. Car suivre le Christ comporte ce risque. En effet Jésus ne nous dit pas de quitter ce monde ou de nous en protéger, mais d'y vivre en témoins de la marche du Christ de ce monde à son Père, en résistant aux volontés changeantes et autoritaires du monde, en consentant à apprendre à voir ce que l'Esprit nous montre au jour le jour.
 
Recevons ce geste du Seigneur avec reconnaissance, joie, confiance. Jésus-Christ nous donne la nourriture qui convient pour cette marche : le pain et le vin, le corps et le sang du Christ.

Jean-Pierre Duplantier

Le soleil se lève : a nous de marcher tant qu'il fait jour / Un texte de JP Duplantier


Lorsque saint Augustin parlait à la foule, qui s’était rassemblée pour la « veillée sainte », il commençait par placer ce passage de la nuit à l’aube dans le cadre de la création de Dieu : il y eut un soir et il y eut un matin. Nous voilà donc resitués dans ce sixième jour où Dieu a créé l’homme et la femme à son image et à sa ressemblance. Ce soir, nous célébrons ce qui nous est arrivé : la résurrection de Jésus d’entre les morts. Comme nous l’avons entendu durant tout le carême, Dieu a soif de l’homme, il veut que nous devenions les membres du Corps de son Fils bien-aimé.
Au commencement, Dieu nous a donné tous les dons qu’il faut pour que nous devenions ses fils, à son image et à sa ressemblance. Il nous a donné des yeux pour voir dans le visage de ses frères le désir de Dieu, le désir de l’au-delà de nous-mêmes. Il nous a donné des oreilles pour entendre la voix de Dieu éveillant notre chair.
Mais, comme le dit Origène, dans cette histoire en cours un drame s’est joué. L’homme en effet s’est trouvé attiré par les objets qu’il découvre et des vivants qui le fascinent. Il a lâché l’horizon de l’image de Dieu, pour se rêver comme une espèce animale supérieure, maître de lui comme de l’univers. Alors une force de mort s’est installée chez lui, à la place de la source de vie qui lui venait de la tendresse de Dieu : il mange de l’arbre de la connaissance du bien et du mal et oublie l’arbre de vie. Cette inscription de la mort en nous, nous l’appelons Satan, l’accusateur, ou Diable, le diviseur. Mais Dieu poursuit sa création. Il insiste chez nous, il continue de nous conduire par la main, par notre état.
Quand l’heure est venue, il envoie son Fils, celui qui croit et obéit à la volonté de son Père. Et la chair de ce Fils est disponible à la Parole. Il déclenche chez nous un affrontement décisif. Il paye à Satan la rançon pour les hommes qui sont pris sous son emprise ; il la paye avec sa mort sur la croix. Mais il traverse cette mort par la puissance de son Père. Satan est trompé, plus radicalement que lorsqu’il a trompé Eve au commencement. La puissance de mort dont Satan avait fait son arme première, lui est enlevée.
Cette puissance de mort diabolique semble toujours là. Mais elle a perdu son aiguillon, sa puissance d’enfermement dans la peur. Le Christ ressuscité est désormais le vrai maître d’œuvre du désir de Dieu. Et de Lui nous recevons l’Esprit qui fait toutes choses nouvelles.
En cette fête de Pâques, pour nous, et pour tous les hommes, se lève le soleil qui vient nous visiter. A nous maintenant de marcher tant qu’il fait jour. Nous sommes désormais dans ce temps de la création où la lumière du Christ nous montre, jour après jour, ce que nous avons à entendre et à voir dans les Ecritures et dans le quotidien de nos existences, les initiatives de Dieu dans notre chair, et dans celle des hommes qui nous entourent. Car l’Esprit du Christ travaille en nous tous, quel que soit l’état de notre chemin.
Suivre le Christ aujourd’hui, c’est prendre le risque de résister aux modes, aux idées, aux constructions du monde. Dans le monde, nous aimons les hommes à l’image de l’amour du Père, du Fils et de l’Esprit, et nous vivons rebelles aux pressions du monde.
Jean-Pierre Duplantier 

l'Aveugle né / Jn 9 1-41 / Une homélie de JP Duplantier

Aveugle de naissance ! Ce n'est pas normal. Chacun a le droit d'entrer dans la vie avec toutes ses chances. S'il est dans cet état, c'est que quelqu'un en est responsable. Il y a eu une faute quelque part. Et comme l'homme est crée bon, ce ne peut être une erreur de sa part, c'est donc forcément une faute des parents ou de lui-même. Voilà ce que pensent les disciples. Et nous sommes comme eux. Il y a la création, puis le péché et à la fin la rédemption.
Or Jésus refuse ce discours imaginaire. Ce n'est pas du côté du péché qu'il faut regarder, mais du côté de l'oeuvre de Dieu qui va se manifester chez cet aveugle. Le péché est ailleurs. Je vous invite ce soir à garder et à contempler cette révélation du Christ.
 
D'abord le geste de Jésus : de la terre et de la salive sur ses yeux. Une manière d'évoquer l'acte créateur de Dieu. Nous avons été modelés avec de la poussière et la parole de Dieu. Mais cet acte créateur ne s'arrête pas là. Jésus ajoute la piscine de Siloé, de l'envoyé : il faut y aller se laver. Comme l'écrit saint Irénée, «Dieu a modelé l'homme en vue de ses dons..., Il lui fallait encore habituer l'homme sur la terre à porter son Esprit, à vivre en communion avec Lui.» Il fallait que l'homme aille se laver de tout ce qu'il construisait à son propre compte qu'il apprenne à tenir compte pas à pas de ce que l'envoyé du Seigneur lui montrait, concernant le chemin qu'il devait suivre pour que s'accomplisse ce que Dieu désire pour lui. Il fallait qu'il puisse voir dans le cours de sa vie sur terre comment le Christ Jésus le conduit par la main.
 
Voilà ce que voit Jésus chez l'aveugle-né : au commencement, l'homme reçoit de Dieu tout ce qu'il faut pour qu'il devienne fils à son image et à sa ressemblance. Mais il ne peut pas devenir ce Fils par lui-même. Sa connaissance, sa volonté et sa force sont incomplètes. Il ne peut pas vivre sans la présence de l'Esprit, la Parole de Dieu en Jésus-Christ et la grâce du Père. Le péché, c'est résister, puis refuser l'oeuvre de Dieu au long cours, à chaque moment de son existence charnelle. C'est résisté maintenant.
 
Tous les acteurs du récit que nous venons d'entendre s'efforcent de ne pas voir ce qu'ils ont sous les yeux. Les voisins, les pharisiens, les parents ont tous de bonnes raisons de ne pas faire le lien avec la guérison de cet aveugle et leur propre situation. Alors ils le chassent. Et Jésus va retrouver l'aveugle. Il vient nous retrouver ce soir, maintenant. Crois-tu au Fils de l'homme ? Qui est-il ? C'est moi qui te parle. Viens te laver dans la piscine de l'envoyé. Tu as appris à nager plus ou moins bien dans les eaux du monde où tu vis. Comme beaucoup tu as peur de te noyer dans ces eaux tumultueuses et incontrôlables. Tu t'accroches à tout ce qui te semble flotter encore : Les habitudes, les convictions, le valeurs qui soutiennent le vie familiale, nos parcours professionnels, nos comportements sociaux. En eux-mêmes ces repères ne sont pas notre péché. Le danger réel vient de ce qu'ils nous enlèvent le temps et le goût de devenir familier au quotidien du travail que fait le Christ Jésus en nous et autour de nous, d'en prendre les moyens et d'obéir à ce qu'il nous montre.
 
Nous allons vivre deux gestes : celui de l'aveu et celui du pardon. L'aveu de l'état de notre relation avec le Christ, de notre prière, de notre capacité à voir ce qu'il fait en nous et autour de nous en ce moment. Le pardon qui nous est donné dans le geste du prêtre, afin de nous donner à voir sa miséricorde : le Seigneur se réjouit de ce que nous revenons à Lui.

Jean-Pierre DUPLANTIER