La transfiguration / Mc 9 / l'homélie

Sur la montagne, Pierre, Jacques et Jean ont été effrayés.
Lorsque Pierre, dans la 2° lettre qu’il a écrite, revient sur ce moment, il nous révèle en quelques mots la force déconcertante de cette expérience. Devant le spectacle de la transfiguration, ce qui vient en premier ressemble au mythe fabuleux d’un Jésus portant sur lui toute la puissance de l’homme. Un héros qui a fait toutes les guerres et vaincu tous ses adversaires, les méchants, les maladies, les crises sociales, les colères de la nature et les folies religieuses. Un héros qui a gagné toutes les guerres, celles de l’amour aussi. Plusieurs années après, Pierre réalise qu’il a bien failli « se mettre à la traîne de ces fables tarabiscotées », comme il dit. Un instant, il a cru voir, rassemblés sur la montagne, les grands chefs du combat de Dieu contre les puissances de la terre. Il a proposé de construire le camp de cette armée mythique, avec une tente pour chacun des héros de cette bataille imaginaire, une pour Moïse, une pour Elie, une pour le Messie. Mais un gros nuage lourd les a couverts de son ombre. Il a compris qu’il vivait dessous les ombres …
C’est une voix qui leur a montré ce qu’il venait de voir, réellement, de leurs yeux, et pas dans leurs rêves : « celui-ci est mon Fils bien aimé, écoutez-le ! ». 
 
Regardons nous aussi ce qui nous est montré à chaque messe, et à certains moments de grâce, ce qu’Il nous fait quitter pour que nous consentions à nous abandonner à ce qu’Il nous donne.
Jésus est le fils bien-aimé. Il est ce que Dieu notre Père veut faire de nous, des hommes qui portent son image et sa ressemblance. Des hommes qui soient les membres du Corps de ce Fils bien-aimé. De ce corps, nous ne connaissons pas grand chose ; il est pourtant plus réel que les nôtres : Il est un corps, en chair et en os, revêtu de la lumière d’en-haut, de la tendresse et de la puissance de l’amour de Dieu, dans tout son éclat. Un corps en train de venir d’en-haut vers nous qui habitons dessous les ombres.
 
Ecouter ce Fils bien aimé, c’est le suivre. C’est quitter son pays, sa famille, ses dieux, comme Abraham. En témoignent les récits de sa vie, de ses épreuves, de sa foi. C’est consentir à regarder en face que tout ce que nous avons construit, seul ou ensemble, c’est comme l’herbe, comme la fleur des champs : l’herbe sèche, la fleur tombe, dit Isaïe.
Tout cela, nous l’avons bien construit avec ce que Dieu a mis entre nos mains et dans nos cœurs. Nous l’avons construit ensemble, mais sans Lui ; en tout cas, hors de sa volonté de faire de nous des fils qui portent sa ressemblance ; seulement comme une performance humaine, selon notre volonté de réussir notre idéal humain.
 
Ecouter le fils bien aimé, c’est, quand on est jeune, accepter d’habiter les ruptures que Dieu suscite au fond de notre âme, ne pas avoir peur d’accueillir les surprises qui se lèvent dans notre expérience de la vie que nous menons, d’aller jusqu’au bout des tensions et des ambitions propres à notre temps, de prendre au sérieux les groupes, les réseaux d’échanges, pour y apprendre et y reconnaître l’avènement de Dieu. C’est apprendre à vivre la faiblesse de croire, comme l’écrivait Michel de Certeau.
 
Ecouter le fils bien aimé, c’est, plus tard, le suivre dans les temps de l’épreuve ou de la tentation. C’est affronter la séduction de ce qui est beau à voir, bon à manger et délicieux pour en connaître toujours plus, comme nous le raconte le débat entre Eve et le serpent dans le jardin. C’est affronter la tentation du pouvoir sur la nature, du pouvoir sur les autres, de la supériorité que nous laissons enfler dans notre tête à travers nos engagements dans la société ou la religion ; c’est affronter ces démons qui nous habitent comme Jésus dans le désert. Et comme lui, c’est l’Esprit saint qui nous envoie dans le champ de ces tentations. 
 
Ecouter le fils bien aimé, quand nos forces commencent à décliner, c’est apprendre à le suivre à passer de ce monde à son Père. A s’offrir à ce passage, à cette transition, à cette substitution de ce qui est en train de nous venir de Lui à tout ce que jusque-là nous nous étions accrochés. Nous n’avons pas forcément une affection sensible pour Jésus, mais pour ce passage-là il est notre maître, et si nous n’avons plus beaucoup de choses à donner, ni même plus beaucoup d’exigences, Lui sait ce dont nous avons besoin et il ne nous lâche pas. Devenir pas à pas plus vigilant à ses regards, à ses paroles, à ce que nous voyons et entendons du travail de son Esprit chez nos frères nous aide à lâcher le souci encombrant de ne plus se sentir aussi performant qu’avant.
 
La messe est, à chacun de nos âges, le moment où nous est donné d’écouter le Fils bien-aimé. Oui, il s’agit bien d’un passage, d’une transition entre ce qui en nous est déjà en train de s’en aller et ce qui de nous est déjà en train d’être transfiguré, c’est-à-dire revêtu de l’éclat de la tendresse et de la puissance de Dieu.
 
Le pain que nous mangeons est bien le fruit de la terre et du travail des hommes. Il est la nourriture pour refaire nos forces et créer du partage entre nous. La coupe que nous buvons est bien le fruit de la vigne et du travail des hommes. Ce vin réjouit le cœur des hommes. Mais quand nous les prenons sur son commandement, à sa parole, une autre nourriture se substitue à celle que nous avons apportée ; c’est son corps et son sang. Et nous devenons ce que nous recevons, comme le dit saint Augustin. C’est une véritable mort à ce que nous connaissons de la vie et de nos corps et de nos relations, et l’éveil déjà en nous de l’œuvre que notre Père est déjà en train d’accomplir en chacun de nous. 
 
Ce passage, cette transition-là, ce n’est pas nous qui la faisons ; elle nous arrive par le Christ, avec Lui et en lui. Ce n’est pas notre performance, c’est une relation qui nous bouleverse, nous envole, nous transforme ; et cette relation n’a pas d’autre objet que celui de la volonté de Dieu : faire de nous des fils qui portent sa ressemblance.
 
La messe n’est pas la distribution hebdomadaire d’un complément alimentaire pour notre tonus spirituel. Elle est l’acte du Seigneur nous faisant passer de la mort à la vie.
La messe est un événement. Pas seulement pour chacun de nous, ni même pour notre paroisse. C’est un événement qui appartient à l’œuvre de Dieu. Celle-ci n’a pas de limite ni dans le temps, ni dans l’espace. La messe est, chaque fois, l’ici et le maintenant du travail de Dieu dans le monde.
 
Comme le dit Pierre : vous avez raison de fixer votre regard sur Lui comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur, jusqu’à ce que luise le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs.
 Jean-Pierre Duplantier

Un mot de l'équipe du Catéchuménat

L’INITIATION CHRETIENNE C’EST L'APPEL À VIVRE EN DIEU
La démarche catéchuménale concerne les trois sacrements de l’initiation chrétienne dont l’unité est profonde : le Baptême, la Confirmation, l’Eucharistie.
Le catéchuménat ouvre un espace où la parole peut résonner et où la rencontre s'accomplit : la rencontre avec le Christ dans l'intimité des personnes et aussi dans son Eglise. Les catéchumènes sont signes que l’appel de Dieu est toujours d’actualité et que des hommes et des femmes répondent aujourd’hui à cet appel.
Accompagner c’est être compagnon de route selon l’Evangile. Femme et homme de conviction mais prêt(e) à se laisser déplacer, interroger, parfois bousculer. Assez proche du catéchumène pour ajuster l’accompagnement, assez distant pour qu'il advienne à lui-même dans la foi.
Femme et homme de foi faisant confiance au travail de l’Esprit Saint dans la personne accompagnée.
Depuis toujours la personne et son histoire sont au cœur de la démarche catéchuménale, comprise comme le souci de l’Eglise, même mieux sa responsabilité, d’avoir une attitude de «sollicitude maternelle» qui conduit à se préoccuper du chemin que les personnes doivent pouvoir vivre avec le Christ et dans le monde.
A Gradignan quatre adultes se préparent à recevoir les sacrements de l'initiation. Il s’agit de Catherine Massieu, Joffrey Compain, et Aurélien Mathé pour les trois sacrements et Carole Boisson pour la confirmation.

Le dimanche 22 février Mgr Ricard, au cours de la célébration de «l’appel décisif» en l'église Ste Clotilde du Bouscat, ouvrira pour eux le chemin vers les sacrements.
Nous serons ensuite invités à les accompagner et à prier pour eux et avec eux au cours du carême et particulièrement au moment des scrutins célébrés à St Pierre de Gradignan
Nos regards portés vers la lumière de Pâques, ce sera le moment de solliciter pour eux et pour nous la grâce d’entrer dans le secret de Dieu.
« Ton Père voit ce que tu fais dans le secret, et il te le revaudra » (Mt 6).
Par la démarche des « scrutins » l’Église nous dispose à ouvrir nos coeurs à Dieu :
« Scrute-moi, mon Dieu tu sauras ma pensée, éprouve-moi tu connaîtras mon coeur, vois si je prends le chemin des idoles et conduis moi sur le chemin d’éternité » (Ps. 138)
Pour vivre en Dieu nous avons besoin de sa grâce, de la force de son Esprit.
«Le chemin de l'initiation chrétienne n'est pas un chemin de débat, ni de connaissance, mais un chemin d'adoption. Le catéchumène attend d'être adopté par l'Eglise» (J.L Soulétie, théologien)

Robert Zimmermann - diacre
UNE MISSION A PARTAGER : l’équipe du catéchuménat a besoin de renfort. Venez nous rejoindre sur ce chemin où se déploie la joie de l'Evangile. Pourquoi pas vous ?

La belle-mère de Pierre / Mt 8 / l'homélie

Nous continuons la lecture du début de l’évangile de Marc et la présentation de l’enseignement de Jésus. Et nous redécouvrons que cet « enseignement » est d’abord une énergie, une action. Et pas seulement des discours, des idées, des principes. La Parole prend chair.
Dimanche dernier, nous avons entendu que sa première action est de jeter dehors le démon de la méfiance à son égard, ce démon qui circule incognito dans nos assemblées comme dans la synagogue. Ce démon dit au Christ : ne nous dérange pas !
Sa deuxième action est la guérison de la belle-mère de Pierre.

Il y a deux lectures possibles. La première est de constater la force de Jésus : c’est un guérisseur ; il a une aura exceptionnelle. C’est un héros, … mais il est mort. Certes, nous croyons qu’il n’est pas seulement un personnage du passé. Il est ressuscité, vivant. Reste alors à trouver comment entretenir quelques relations avec Lui, sans risquer de limiter ce contact à une sorte d’imaginaire spirituel où ni sa chair ni la nôtre ne sont vraiment engagés ?  
La deuxième lecture s’intéresse à la belle-mère. Le récit ne dit rien de ce qu’elle a pensé et dit de ce qui vient de lui arriver. Elle s’est levé et les a servi, c’est tout. Mais si je mets en route ma capacité d’imaginer les choses, mais cette fois-ci sur le registre de la vie concrète, du chemin que je parcours maintenant au milieu des autres, une question me vient : est-ce que ce type d’aventure m’est arrivé ? Jésus m’a-t-il tendu la main, sorti de ma fièvre, et remis en route pour faire mon travail ? Est-ce que çà m’est arrivé, oui ou non ? Et vous, qu’en dites-vous ?

Si la réponse est oui, alors je reconnais qu’il y a, dans mon expérience, la mémoire d’une intervention physique du Christ ressuscité dans ma vie, dans ma chair. Et dans ce cas, je constate que, dans cette circonstance, ce n’était pas moi le serviteur, le serviteur de Dieu ou des autres. C’est Lui, Jésus, qui m’a servi.
L’affaire de la belle-mère de Pierre me rappelle l’histoire de Jésus lavant les pieds des apôtres. Remarquez que dans les deux cas, il s’agit de gestes très ordinaires : laver les pieds ou aider quelqu’un à se lever parce qu’il est fatigué ou a de la fièvre. Rien d’extraordinaire, en somme. Rien qui soit susceptible de changer la face du monde. Souvenez-vous aussi que pour l’apôtre Pierre notamment ce ne fut pas facile d’accepter d’être servi par le Seigneur.

Survient alors une deuxième question : est-ce que je me laisse servir par le Christ ? Puis une autre encore : quand et comment Jésus vient me servir ?

Le pape François vient de reprendre ces questions dans son invitation pour le carême : « laissons nous servir par le Seigneur ». Puis il nous dit à nouveau les occasions où cela nous est sans doute déjà arrivé et peut nous arriver encore. Nous connaissons ces occasions : la Parole, l’eucharistie et les sacrements, et nos relations avec « le frère ».

Nous sommes assez fidèles à la pratique de la messe. Nous prions et chantons ensemble de tout notre cœur chaque semaine.  Cela se voit, cela sent entre nous et cela nous fait du bien à tous. Merci Seigneur pour ce cadeau qu’il nous fait à Gradignan. Reste peut-être à prendre la mesure de ce qu’il nous est offre à chaque messe : En elle, nous devenons ce que nous recevons : le Corps du Christ. Nous sommes revêtus du corps du Christ comme le dit Paul : nos soucis, nos projets, nos richesses et nos faiblesses humaines ne sont pas jetées dehors ; elles sont revêtues par le regard, la parole, la tendresse et la puissance du Christ. Et quand nous sommes habillés par Lui de cette façon, çà se remarque, çà rayonne, çà témoigne. Une chose entre autre s’efface : l’indifférence, qui semble prendre si souvent le pouvoir sur nos cœurs, perd son emprise, et la tristesse aussi. C’est vraiment comme s’il nous tendait la main et nous tirait hors de notre marasme, de notre fièvre. Il est alors notre serviteur, envoyé par le Père, pour que nous levions, que la fièvre nous quitte et que nous reprenions notre tâche.

L’autre occasion se nomme la « Parole ». Le pape François, comme notre cardinal il y a trois semaines lors du premier pas de Sylvain vers le diaconat, y insiste. A la messe nous devenons ce que nous recevons, le Corps du Christ. Dans la seconde, également, nous devenons ce que nous recevons : quand nous lisons ensemble les Ecritures dans l’espace que le Christ nous offre, nous recevons des yeux pour voir et des oreilles pour entendre comment il s’y prend avec nous. Lire la Bible ne sert pas à connaître ce qui s’est passé, il y a des siècles, ou nous inculquer des principes et des valeurs. Ces récits nous sont donnés comme des paraboles pour que nous voyions ce que nous n’avons pas encore vu, pour que nous entendions ce que nous n’avons pas encore entendu. Il habille de sa Parole et de son énergie nos connaissances acquises, nos habitudes, nos jugements. Il nous révèle ce qu’il fait aujourd’hui chez nos frères, dans le monde, en nous-mêmes. Il nous conduit par la main, concrètement, charnellement… Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi vous êtes tellement résistants à vous laisser servir par lui sur ce terrain.

            La troisième occasion est offerte aux hommes depuis le commencement. Dès les premières lignes du livre de la Genèse, Dieu demande à Caïn : Qu’as-tu fait de ton frère ? En ce domaine, le Seigneur nous sert chaque fois qu’il nous met dans la situation d’écouter, de prendre soin ou d’oser demander de l’aide à l’un des membres du corps du Christ dont l’Esprit saint nous a revêtus. Mais, plus largement encore, chaque fois qu’il nous donne à voir une frontière à franchir avec l’un de nos frères. Le Seigneur nous sert chaque fois que paraissent des divisons entre nous. Mais aussi chaque fois que notre communauté chrétienne est appelée à franchir le seuil qui la met en relation avec la société qui l’entoure, avec les pauvres et ceux qui sont loin.
Il l’a fait dimanche dernier. Nous n’étions qu’une poignée avec quelques immigrés, quelques musulmans et quelques SDF. Nous n’avons rien réglé de leurs problèmes. Nous avons simplement partagé un moment au Fronton à manger des crêpes, boire du thé et chanter : simplement un moment de fraternité, une frontière franchie. Le Seigneur nous y a offert de voir la souffrance de l’autre nous rappeler la fragilité de notre vie, notre « dépendance » envers les autres. « Si nous demandons humblement la grâce de Dieu et que nous acceptons les limites de nos possibilités, alors nous aurons confiance dans les possibilités infinies que l’amour de Dieu a en réserve ». écrit le pape.

La dynamique de nos vies n’est pas que tout le monde atteigne durablement la case : « c’est que du bonheur ». Ce serait bien, mais Dieu désire davantage pour nous tous. Il veut nous voir vivre au nom du Christ, en le suivant de ce monde vers le Père, en revêtant par-dessus notre condition mortelle le corps du Christ ressuscité, en portant notre croix pour la naissance des fils de Dieu. Parce que la naissance des hommes à la condition de fils de Dieu n’est pas une entreprise de sélection. Dieu ne fait pas un tri entre les vivants pour se fabriquer une famille parfaite selon nos critères. Son critère à Lui, c’est l’amour qui se déploie entre le Père et le Fils, c’est le souffle qui plane sur la terre depuis le commencement. Cet amour-là ne connaît pas de frontières.

La prière est le temps donné pour que le Christ nous mette dans le cœur, dans nos pensées et dans nos mains cette énergie d’amour pour tous, cette passion du Serviteur. 

Jean-Pierre Duplantier

Marc 1 / Guerrison dans la Synagogue / Homélie

L'enseignement de Jésus

Dans le récit évangélique, l’enseignement de Jésus commence par la scène dans la synagogue de Capharnaüm. L’assistance est frappée de son autorité ; il fait la différence avec les scribes, qui répètent les contraintes de la Loi à longueur de sermons, pour dire ce qu’il faut faire et ce qu’il faut penser. Et, tout à coup, une sorte de forcené se met à crier : « que nous veux-tu ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es… ». Jésus fait sortir ce démon qui trainait dans l’assemblée, incognito.
Là commence l’enseignement de Jésus. Il faut qu’il fasse d’abord sortir le démon qui rode chez nous, pour que sa parole puisse nous atteindre.
Quel est ce démon ? Son nom est légion. Il peut prendre le commandement de nos pensées, mais aussi de tout ce qui bouge dans notre peau, dans notre corps, dans notre chair. C’est pour cette raison que la parole de Dieu est devenue chair. C’est là que Jésus plante sa tente.
Dans cette scène, le démon est appelé l’esprit impur. C’est une façon de dire qu’il existe chez nous une vie spirituelle qui peut être animée par un esprit impur. Autrement dit, il existe une vie spirituelle impure. Sa caractéristique première est une méfiance à l’égard de Jésus : que nous veut-il ? Est-il venu pour nous perdre ?
Pour perdre quoi ? Pour nous perdre sur quel terrain ? Là chacun de nous fait son cinéma. Cela touche d’abord ce que nous appelons nos propres intérêts. Eux aussi sont légion. C’est la défense de nos biens matériels et immatériels, comme les appelle l’UNESCO. La maison, la voiture, le compte en banque, nos diplômes, nos savoir-faire, notre famille, et jusqu’à nos valeurs, républicaines ou religieuses. Personne n’a le droit d’y toucher, et Jésus non plus. Nos intérêts sont aussi nos droits au plaisir, celui de la jouissance avec nos corps, avec l’argent, avec les jeux de toutes sortes, y compris celui de se moquer, d’exercer un pouvoir, d’étaler son savoir, celui de se battre aussi. Personne n’a le droit d’y toucher et Jésus non plus.
Or, dans la synagogue de Capharnaüm, Jésus y touche. Faisons bien attention. Jésus ne dit pas c’est mal, c’est un péché, c’est contraire à la Loi. Il dit : sors de cet homme.
Cet homme avait donc bien raison de se méfier de Jésus. Le premier effet de cette intervention de Jésus chez lui, se traduit par des convulsions. Cà secoue le corps. La parole de Jésus ne nous fait pas la leçon. Elle frappe. Elle ne frappe pas nos idées, notre conscience, nos sentiments. Elle frappe d’abord nos comportements, nos relations avec les autres, nos actes et nos paroles. Pas seulement ce qu’on pense ou ce qu’on ressent, ce qu’il faudrait faire ou penser, mais ce que nous faisons et disons concrètement, notre vie telle qu’elle est.
La vie spirituelle en Christ, c’est quand l’Esprit exécute sa parole dans notre chair. C’est à ce prix que ces rencontres inattendus produisent des joies ou des larmes, la venue d’une paix réelle et le commencement d’une liberté véritable.
            Ceci dit nous ne manquons pas de parades à cette frappe de la parole de Dieu. L’une d’elles est fréquente chez les croyants pratiquants. Il s’agit d’un certain sentiment de supériorité. Nous, les chrétiens, nous savons qui est Jésus, le Saint de Dieu. Les autres, ce n’est pas de leur faute, ils sont ignorants. Bien des juifs, de musulmans, mais aussi de ceux qui rendent un culte à la laïcité, pensent, parlent et agissent de la même façon.
Ce savoir supérieur sur la valeur absolue est la forme la plus discrète et la plus ravageuse de ce qu’on appelle le fanatisme. Elle produit notamment cette terrible maladie sociale qui nous fait sélectionner ceux qu’on peut fréquenter et ceux dont il ne faut pas s’approcher, ni nous ni nos enfants. Elle nous divise entre fréquentables et intouchables.
Elle s’insinue aussi jusqu’au plus intime. J’ai vu, chez moi et beaucoup d’autres, bien des situations où nous pleurons sur nos fautes parce qu’elles ternissent notre image de bons chrétiens ou de bons citoyens et non pas parce qu’elles offensent le Seigneur. Ce n’est pas sur le silence de l’amour premier que Dieu nous porte, que nous gémissons, mais sur les limites de notre propre force d’aimer.
Juste un mot sur le passage de la lettre de Paul que nous venons d’entendre. Si vous prenez le temps de lire ce chapitre 7 dans son entier, vous verrez qu’il n’est nullement question d’abaisser la grandeur de la vie de couple. Il s’agit de regarder en face que le couple ou la famille n’est pas le coffre-fort des valeurs chrétiennes. Consentir, pas seulement au mariage, mais au sacrement de mariage, c’est voir et entendre comment l’esprit saint creuse un espace entre l’homme et la femme, pour que la parole du Christ travaille au corps l’un et l’autre conjoint. Ce travail du Seigneur n’est pas le même chez un homme et chez une femme et c’est souvent difficile de le percevoir et de s’en parler. Mais c’est le chemin du Christ dans un couple : susciter la découverte, puis l’admiration  de ce que le Christ est en train de faire chez l’autre. Quand l’amour s’approche, même modestement, même par intermittence, même très rarement, de cet espace, entre eux deux, où l’amour que Dieu nous porte s’invite, chez l’un ou chez l’autre différemment, alors s’annonce quelque chose d’indissoluble : c’est le Christ lui-même qui vient planter sa tente dans la famille. Rien ni personne ne pourra l’arrêter.
Comme le dit Paul, ce n’est pas pour vous tendre un piège que je dis cela, mais pour vous proposer comment un couple a le souci des affaires du Seigneur. Ceux qui ne sont pas mariés sont logés exactement à la même enseigne : reconnaitre que l’autre, que tous les autres, sont aimés de Dieu, sans considération de ses mérites, de sa condition ou de sa religion ; apprendre à voir et à entendre comment Dieu s’y prend avec chacun.

Et si nous sommes parfois secoués par quelques convulsions, moi comme vous, c’est plutôt bon signe : le Christ a bel et bien commencé son travail d’enfantement des fils de Dieu.