19 août 2012 - Une homélie de JP Duplantier


            Au bout de ces pages d’évangile que nous avons entendu depuis plusieurs dimanches, et qui déploient la fresque du chapitre 6 de l’évangile de Jean, nous est donné aujourd’hui, cette affirmation de Jésus: « si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. »
Ils ont raison les juifs de l’évangile de résister viscéralement à ces paroles de Jésus. Si on en reste à imaginer ce que peut représenter les paroles de Jésus, c’est l’horreur. C’est la figure du cannibale qui surgit, et notre incompréhension est totale. Les juifs, comme nous, savons que nous sommes à la merci de ce fameux dragon rouge qui attend la naissance de l’enfant de la femme pour le dévorer comme le dit l’apocalypse, et que nous avons entendu le 15 août. Dans toutes les cultures, en effet, un grand nombre de contes racontent la dévoration des enfants, ou de la grand’mère comme dans le chaperon rouge, ou d’épouse ou du mari. C’est toujours une affaire de famille ou de tribus, et çà se passe toujours à travers une différence de génération ou de conflit où chaque groupe se sent en danger d’être dévoré, tout cru ou cuisiné. Il faut exorciser cette terreur, car elle est là inconsciente, à l’affut, y compris dans certains gestes ou certaines expressions de tendresse familiale. Et combien de guerres et de situations économiques réveillent chez nous cette horreur de cannibale.       
            Mais pourquoi donc Jésus nous entraine sur ce terrain terrible ? Parce que c’est à cette place en nous que se joue la confusion entre la vie que nous nous faisons et la vie que Dieu nous donne.
Il est écrit que Dieu nous connaît dès le ventre de notre mère. Au commencement de notre vie, cette attention que Dieu nous porte est déjà là. Mais cette vie donnée et reçue tombe dans l’oubli, effacée par notre vie à construire, à défendre. Notre vie pour en jouir ou pour désespérer d’être capable de l’assumer. Et quand la fureur de vivre ou la terreur de la mort se met en marche, quelque soient les terrains où çà se déclenche, nous ne faisons plus la différence entre ce qu’est un être humain, et ce qui n’est pas humain, entre ce qui est consommable pour nous et ce qui ne l’est pas. Les autres deviennent pour nous des concurrents ou des dangers mortels. Certains autres deviennent objets d’amour ou d’alliance ; mais les autres, il nous faut les abattre ou les dévorer. Entre cet amour et cette haine, la frontière s’efface souvent, sans que nous maitrisions ces choses.
La nourriture est le lieu où ces contraires se nouent en nous : du gout au dégout, de l’amour à la haine, çà passe de l’un à l’autre sans qu’on se rende compte, et cela est accroché à notre condition humaine, à ce que nous appelons la vie ;
Or c’est là que Jésus est envoyé par son Père. « Ma vie, proclame-t-il, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne. » Cette vie du Fils de l’homme, celle que son Père lui donne, c’est l’inaccessible vie de celui qui est vraiment homme et vraiment Dieu.
Vraiment homme et vraiment Dieu représente aussi une contradiction insoluble, incompréhensible. En Jésus-Christ, cette vie qui se donne est dispersée dans tous ceux qui acceptent de se nourrir de son corps et de son sang, afin que l’œuvre de Dieu s’accomplisse : être rassemblés dans le corps glorieux de son Fils bien aimé. Par Lui, avec lui et en lui, nous accomplissons le désir de Dieu sur nous, devenir ses fils dans son Fils. Passer de ce monde à notre Père. Nous engager dans cette immense procession de ceux qui traversent la grande épreuve, dans cette procession dont la tête se tient déjà devant Dieu et devant l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
            C’est ce que nous allons faire maintenant dans cette eucharistie : nous laisser attirer un moment au-delà de nous-mêmes, nous laisser nourrir par lui, afin que viennent en nous des liens, des gestes, des pensées, qui portent sa marque.
            Ceci n’est pas une croyance, un héritage archaïque, et moins encore une déduction de notre raison. C’est ce que Dieu a inscrit dans notre chair dès le ventre de notre mère ; C’est ce que nous avons vu et entendu se révéler en nous et chez les autres sous forme de moments de paix, de pardon, de courage, de joie et aussi d’inventions heureuses qui ont eu des interactions heureuses dans notre société. La foi c’est cette visite, cette rencontre. Elle est chez nous un don de Dieu, pas seulement une conviction, une croyance, mais l’expérience de ces paquets d’énergie de l’amour de Dieu qui ont façonné notre vie.
            Nous n’obligeons personne à suivre ce chemin. Mais personne ne peut nous obliger à changer de Maître : il est le chemin, la vérité, la vie. C’est notre voie. C’est le moment de rendre à César, ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Tous les hommes sont libres d’avoir des opinions qu’ils estiment légitimes et des manières de vivre qu’ils inscrivent dans leur loi. Mais en matière de filiation des enfants des hommes, Dieu lui aussi a ses opinions légitimes : nous rassembler tous dans le corps de son Fils bien aimé.

Jean-Pierre Duplantier
19 août 2012
20° Dimanche du Temps Ordinaire

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