Désarme-le, désarme-moi / Texte de Christian de Chergé


Texte lu lors de la prière du vendredi 29 juillet
Prière pour la Paix suite à la tuerie de Saint-Etienne-de-Rouvray 

De Christian de Chergé
Prieur de Tibhirine 

"Ce que nous appelons le martyre, c'est la vie donné jusqu'au sang pour la foi. Des martyrs, il y en a partout. (...)
Nous ne pouvons souhaiter cette mort, non parce que nous en avons peur seulement, mais parce que nous ne pouvons pas souhaiter une gloire qui serait acquise au prix d'un meurtre, qui ferait de celui à qui je la dois un meurtrier. Dieu ne peut pas permettre cela : Tu ne commettras pas de meurtre, ce commandement tombe sur mon frère et je dois tout faire pour l'aimer assez pour le détourner de ce qu'il aurait envie de commettre.
Je les aime assez (...) pour ne pas vouloir qu'un seul d'entre eux soit le Caïn de son frère. Mais d'avance, je confie celui qui, dans sa liberté mal éclairée, deviendrait meurtrier à la miséricorde du Père. Et si c'est à moi qu'il s'en prend, je voudrais pouvoir dire qu'il ne savait pas ce qu'il faisait, lui donner toutes les circonstances atténuantes.

Dans la suite du sermon sur la montagne, Jésus continue :"vous avez appris qu'il a été dit : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi ; et moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent." La deuxième conséquence, c'est cette exigence de prière. Est-ce que nous prions assez, tous azimuts, sans frontière, pour les uns et pour les autres ?
Saint Paul nous dit bien dans l'épitre aux Romains :"Aux jours d'épreuve, tenez bon, priez avec persévérance." Nous ne pouvons tenir là que si nous prions. Et prier, notamment, en confessant ce qu'il y a en nous de violence, de parti pris, de rejet.

Après la visite de Noël (confrontation avec un groupe de terroristes algériens), il m'a fallu quinze jours, trois semaines, pour revenir de ma propre mort. On accepte très vite la mort, ne vous inquiétez pas, mais pour reprendre pied ensuite, on met du temps. Après, je me suis dit : ces gens-là, ce type-là avec qui j'ai eu ce dialogue tellement tendu, quelle prière je peux faire pour lui ? Je ne peux demander au bon Dieu : Tue-le. Mais je peux demander : désarme-le. Après, je me suis dit : ai-je le droit de demander : désarme-le, si je ne commence pas par demander : désarme-moi et désarme-nous en communauté. C'est ma prière quotidienne, je vous la confie tout simplement.

Et c'est à ce moment-là aussi que la prière des psaumes nous devient tellement proche. Quelquefois ils nous paraissent rudes, mais là on y est en plein..."


Extrait de "L'Eglise, c'est l'incarnation continuée", Récollection de carême, 8 mars 1996
Dans "L'invincible espérance" p.311
Bayard 2010

Luc 11 1-13 / Quand vous priez, dites / Une homélie

Qui n'a pas dit ou entendu dire : « Moi, je ne prie plus parce que ça ne sert à rien. On peut toujours prier, Dieu est sourd et on n'obtient jamais ce que l'on demande ». Je ne parle pas de demandes anodines, je parle des prières qui engagent nos vies : je t'ai prié Seigneur, et pourtant celui que j'aimais n'a pas échappé aux souffrances de la maladie, je t'ai prié et pourtant cet enfant est parti, je t'ai prié et pourtant rien ne soulage ma douleur...
Alors quoi ? Le ciel serait vide ? Dieu serait sourd ? Indifférent à nos vies ? Et il faudrait croire à l'Evangile quand il nous dit « quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvrira » ?!

(...)

Nous sommes là devant une question vertigineuse et nous ne pouvons l'aborder qu'en tremblant et parce que l'évangile nous y invite.
Voyez la fin du texte : « Si donc vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui le lui demande ».
Et si à toutes nos demandes, le Père ne pouvait donner qu'une seule chose ? Toujours la même : L'Esprit-Saint.
Le texte place l'Esprit comme le don parfait. Le seul qui comble la faim de ses enfants... Toutes leurs faims.
Le Père répond à toutes nos prières.
Pas une ne se perd dans le silence.
A toutes nos prières, Dieu donne tout ce qu'il peut donner, absolument tout, c'est à dire lui-même.
Dieu n'est qu'amour, il ne peut que donner son amour.
Et il le donne à qui le lui demande sans pudeur. Il le donne sans mesure...
Le voilà le troisième pain ! C'est celui de la surabondance, celui qui dépasse la demande, celui pour la joie de la fête.

Peut-être que pour découvrir que Dieu a répondu à toutes nos prières, il faut changer notre regard. « Vous étiez des morts et Dieu vous a donné la vie » !
Si nous sommes déjà passés de la mort à la vie et que nous l'ignorons,
nos prières, sans que nous le sachions, ont peut-être gagné la Vie de celui que nous avons vu mourir.
Nos prières ont peut-être obtenu la réconciliation de ceux que nous avons vu s'éloigner,
nos douleurs ont peut-être reçu toutes consolations ??
mais nous l'ignorons.

Ne cessons pas de demander, prions sans cesse et sans fatigue, prions avec impudence, avec maladresse, demandons le plus gros, le plus grand, l'impossible, prions en fils et en disciples.
« quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvrira » !

Amen
Sylvain, diacre

Luc 10 38-42 / La bonne part / Une homélie


Dans la lettre de Paul aux Colossiens une phrase est particulièrement troublante.

« Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous. Car ce qu 'il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l'Eglise »

A la suite de St Paul , faudrait il donc se réjouir de souffrir pour ajouter notre petite participation à, l'oeuvre incomplète du Christ? Est ce qu il nous faut rechercher ou consentir la souffrance pour gagner le paradis comme nous avons parfois pu l'entendre ? Évidemment ce genre de proposition n 'est pas acceptable.
Et lorsque Paul écrit au colossien il est en prison à cause de son propre témoignage comme disciple. Paul ici revendique d être ministre, c ad d avoir reçu une mission de l’Église.Tout simplement à son tour il accomplit sa mission personnelle de témoignage, d éveilleur et d'éducateur de la foi au Christ. Il s engage de tout son être, il y consacre sa vie. C est ce qu il appelle achever dans sa chair. Cette mission , comme la mission de tout disciple, comporte des souffrances , et il est heureux d'être capable par la force de l'Esprit, reçu sur le chemin de Damas, de pouvoir participer au nom du Christ à son oeuvre , c'est là sa joie.
Paul après avoir été visité par le Seigneur est devenu un combattant de la foi, et il nous rappelle que nous avons un devoir d'agir au nom de notre foi.  Au nom de notre baptême nous sommes invités à être serviteur du projet de Dieu qui nous visite chaque jour.
Et aujourd’hui il nous visite sacramentellement dans cette eucharistie où nous l' accueillons par grâce.
Les autres textes de cette liturgie nous nous rejoignent en évoquant la joie de recevoir, et la joie de servir.Deux visitations nous sont racontées
La première est celle que Dieu fait à Abraham et Sarah son épouse stérile et dans l' évangile la visite de Jésus à Marthe et Marie.
Chaque fois cette visite donne lieu à,un repas. Comment ne pas penser justement au repas eucharistique.
Il y a dans les deux situations des similitudes frappantes.
D'abord le service :
A l' heure la plus chaude de la journée, l heure de la sieste,Abraham s' active, cherche de l'eau pour les ablutions des visiteurs ; et Sarah prépare un plantureux repas, qui lui donne bien du souci.
Marthe est accaparée par les multiples occupations du service. S'agissant de son activité elle utilise je terme de »diaconie » C'est sa façon de concevoir le service du Seigneur.Et elle le fait bien !

Et il y un autre versant
Pendant que les visiteurs d'Abraham mangeaient celui ci se tenait auprès d'eux sous le chêne de Mambré.
Pendant que Marthe s'affaire Marie s'étant assise aux pieds du Seigneur et écoutait sa parole.

Que pouvons nous entendre dans les réactions de Jésus devant l' agacement de Marthe
Jésus ne demande pas à Marthe d arrêter ce qu elle fait. « Marthe, Marthe, tu te soucis pour bien des choses,une seule est nécessaire » Simplifie ta façon de servir, Marthe, et choisit aussi la bonne part. N oublie pas la bonne part. Contrairement à ce que laisse supposer la traduction liturgique, Jésus n 'établit pas de hiérarchie entre le service de Marthe et le choix de Marie.
Nous entendons aujourd'hui cet appel, nous qui sommes dans un monde enfiévré, une société où l' 'on s agite beaucoup.
Et nous savons nous agiter, , dans les multiples projets personnels, dans les projets ecclésiaux, jusque dans nos activités liturgiques. Ce ne sont pas bien sûr les activités ou les projets eux mêmes qui sont en cause, mais notre façon de les mener.'
Merci Marthe : ta réaction d humeur dévoile combien les excès de notre générosité active tourne parfois à l'oubli du don de Dieu et de son projet pour les hommes. Merci Marie : ton attention à la Parole attire la nôtre sur l' inestimable cadeau de la proximité sacramentelle avec Jésus.
Il est heureux que ces choses nous soit rappelées au moment où nous allons nous unir dans cette Eucharistie au sacrifice du Seigneur et où nous sommes invités à choisir la Bonne Part pour participer aujourd'hui à l œuvre du Christ pour le monde en son corps qui est l Eglise..
(Au cours des rencontres en vue de sa communion Marguerita a exprimé plusieurs fois qu il lui manquait quelques chose. Peut être inconsciemment pensait elle à la bonne part qui lui est donnée aujourd'hui, jour de sa première communion)

( Que le geste de Marguerita ravive en nous le désir dune rencontre authentique avec le Seigneur )

«  Dieu très bon,reste auprès de ton peuple, car sans toi notre vie tombe en ruine ; fais passer à une vie nouvelle ceux que tu as initiés aux sacrements de ton royaume » AMEN

Robert Zimmermann
Diacre