à qui irions-nous Seigneur ? / Jn 6 60-69 / Une homélie de JP Duplantier

Jésus vient de terminer son enseignement dans la synagogue de Capharnaüm : « De même que le Père m’en envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui mange ma chair et boit mon sang vivra par moi. ». Pour beaucoup des disciples s’en est trop. « Qui peut encore l’écouter ? »
Il y a donc un bon nombre de gens qui osent dire que ce que dit Jésus est incompréhensible. Mais pourquoi donc revenir encore une fois sur cette affaire, à la messe, aujourd’hui ?
Parce que c’est un moment de blocage dans la foi des disciples d’alors, et dans notre foi peut-être aussi. Un blocage discret, silencieux, mais tenace. 
 
Jésus le sait. D’emblée, il désigne où se tient ce blocage. « Quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était avant… » Jésus sait que nous lui collons facilement l’image d’un héros libérateur, d’un messie. Jésus sait que cette image peut enthousiasmer les disciples un certain temps et tenir en haleine les foules. Mais, en Lui, il y a d’abord d’où il vient et où il va. C’est vers la gloire de son Père, qu’il monte. Là est sa vraie vie. Et devant ce souffle qui l’habite, la chair, notre chair est déroutée, quasi infirme. 
 
            Pourtant cette chair, c’est bien Dieu qui l’a installée en nous, qui lui a creusée une place dans notre corps. Une chair capable de voir, d’entendre, de sentir ce qui nous vient des autres, de notre environnement, des évènements. Une chair qui ouvre nos lèvres, nos mains, notre cœur à l’au-delà de nous-mêmes. Mais capable aussi d’aimer ou de se refermer, de bénir ou de maudire, de croire ou de rejeter celui qui vient, de se laisser emporter n’importe où parfois, et de jouer avec sa liberté, droit devant, sans lever les yeux plus loin que son plaisir. Dès que Jésus s’approche, la crise s’accélère.
Nous le savons bien, ce n’est pas internet, la télé, la technique, les bonnes ou mauvaises rencontres qui sont dangereuses ; c’est ce que notre chair en fait. C’est notre étrange soumission à ce qui nous paraît beau et bon, à notre besoin de jouissance immédiate. Et on y met la main, et on le mange goulument et c’est, jour après jour, le dessous de nos âmes qui est dévoré.
Et Jésus le sait. Pour écouter ce qu’il dit, la chair ne sert de rien. C’est l’Esprit qui donne la vie. « Personne ne peut venir à moi, dit-il, si cela ne lui est donné par le Père. »
 
Mais alors, quand, où, et comment le Père nous le donne ?
Il y a longtemps que la réponse est là : la vie nous vient par la visite de la beauté et de la force de l’amour que Dieu nous porte. Le pape François ne cesse de le redire.
Depuis que j’ai lu ces textes, il y a quelques jours, j’ai demandé à Dieu de réveiller ma mémoire à propos des impacts dans ma vie de cette beauté de l’amour de Dieu. Et j’ai vu revenir une foule de petits détails que j’étais en train d’oublier. 
 
Il y a quelques semaines, je suis passé devant l’église, la nuit était tombée et la porte était fermée. Contre la porte était couché un homme. Il avait bu, trop. Je lui ai dit que j’allais prévenir la police, pour qu’on l’amène à l’hôpital, pour le soigner. Qu’il ne pouvait pas passer la nuit ici. C’était dangereux. Lentement, il a pris mes mains, les a serré et a dit : « s’il vous plait, mon père, laissez-moi ici, c’est là que je suis le plus prêt de Dieu. Et j’en ai besoin. »
 
Il y a quelques jours, nous recevions avec Christian Lafon, le fils et la fille d’une dame qui venait de mourir. Dans la conversation, sa fille nous dit tout à coup : « ma mère m’a laissé un trésor. Elle m’a dit : j’ai fait chaque jour ce que je croyais juste. J’ai essayé. Je sais maintenant que mes péchés sont pardonnés ; c’est Jésus qui les a enlevés, par sa mort, par sa résurrection. Je suis en paix. » Entre nous quatre, venait de se poser un petit coin de la beauté de l’amour que Dieu nous porte. La raison ne suffit pas à rendre compte de ces quelques mots. Chez cette femme, c’est la connaissance du cœur, comme disait Pascal, qui parlait ; cette intelligence de feu que l’Esprit saint réveille parfois dans notre chair. Ce n’est pas seulement l’émotion qui nous les a fait trouver belles. C’est le Père qui nous l’a donné.
 
Chacun de nous porte dans sa mémoire des moments de ce genre : dans les larmes d’une femme abandonnée, qui coulent soudain, enchâssées dans un sourire, comme une source nettoyée, qui coule à nouveau en elle. Dans le silence qui nous rassemble devant un coucher de soleil et que l’un de nous murmure : merci mon Dieu ! Dans la nouvelle d’une réconciliation inespérée, pour laquelle nous avions tant prié. Et tant d’autres choses, inscrites par le Seigneur dans notre mémoire.
 
… Des paroles vie éternelle venues dans notre chair. Je comprends mieux aujourd’hui ce que Pierre a dit : « A qui irions-nous ? Tu as les paroles de vie éternelle » Pas des paroles qui parlent, décrivent, expliquent ce qu’est la vie éternelle. Mais des paroles qui  révèlent, instaurent, nous installe dans la vie éternelle, maintenant. Comme un processus de la venue du Royaume de Dieu, où nous sommes pris, enlevés… quand vous verrez monter le Fils de l’homme, là où il était auparavant !
 
            En entrant maintenant dans la prière eucharistique, en communiant au pain et au vin, nous allons faire mémoire de la mort et de la résurrection du Christ Jésus. Ainsi s’accomplit pour nous la promesse que Dieu  a donné aux fils d’Israël. Josué dit aux tribus d’Israël, s’il ne vous plait pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir, le Dieu de vos pères, ou les dieux de ceux dont vous habitez le pays ? » Le peuple répondit : plutôt mourir que d’abandonner le Seigneur. C’est Lui qui nous a fait monter d’Egypte, cette maison d’esclavage ; c’est lui qui nous a protégés tout au long du chemin. »
 
La mémoire de la beauté et de la force de l’amour que Dieu nous porte est l’un des trois brins de l’A.D.N du peuple de Dieu. La foi est construite en nous par ce que Dieu nous donne et la mémoire que nous en gardons. Le second brin de cet ADN du peuple de Dieu est notre style de vie : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toutes tes forces, de tout ton cœur de toute ton intelligence et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et le troisième est notre destination véritable : c’est dans la lumière de Dieu, au soleil levant du Christ Jésus, que nous sommes attendus.
Voilà ce que nous vivons ici. Que la Paix soit avec vous.
Jean-Pierre Duplantier

la Cananéenne / Matthieu 15 21-28 / Une homélie de JP Duplantier

            Cela s’est passé au nord de la Syrie et du Liban, au sud de l’Irak : le cri d’une femme : « aie pitié de moi ; ma fille est en danger ; un démon est en train de la dévorer. » Et Jésus ne répond rien.
Les disciples semblent plus ouverts: « Donne lui ce qu’elle demande ! » Oui, mais c’est pour qu’on n’entende plus crier la femme. Quand la détresse se fait trop entendre, çà nous fait trembler à l’intérieur ; il faut arrêter cette horreur, en Irak, à Gaza, à Donietz ; çà devient trop dangereux ; c’est comme la fièvre Ebola ; elle va finir par arriver chez nous. La misère des autres ne doit pas se faire entendre trop fort, trop longtemps ; il faut au plus vite que les responsables règlent tous ces problèmes ; ce n’est pas bon pour la tranquillité du monde.
Passe pour les disciples. Ils nous ressemblent un peu ; n’insistons pas. Mais Jésus ? Pourquoi ces réactions dures, sectaires, « je ne suis venu que pour les brebis perdues d’Israël ». Des paroles incroyables dans sa bouche : « il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens » ; le même discours que ceux qui disent, à propos des étrangers, que le gouvernement leur en donne trop, plus qu’aux français ; tous ces immigrés nous envahissent ; ils nous sortent le pain de la bouche.
            Je n’ai pas de réponse rassurante. Je ne vais pas vous dire: ne vous inquiétez pas. Jésus est bien la bonté même. Il y a peut-être quelques petits détails à régler avec cette page d’évangile, mais rien de grave. Je ne peux pas m’en tirer comme çà. Il doit y avoir autre chose. Je ne vais pas savoir le dire. Je vais quand même essayer, en m’accrochant à la dernière phrase de Paul dans le morceau de lettre que nous venons d’entendre: « Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire miséricorde à tous les hommes. » Que veut-il dire ?
Il dit que nous sommes enfermés dans la région de la rébellion. Que, dans cette région, tout ce qui vient de Dieu, son amour, son désir de faire de nous des fils, est déformé, perverti. Dans cette région, même les brebis d’Israël s’y perdent. Elles ont pourtant tout ce qu’il faut, la loi, les prophètes, les patriarches, le Temple. Mais elles considèrent ces dons comme leur patrimoine, un bien dont elles sont propriétaires, gestionnaires. Elles ne supportent pas que d’autres en deviennent les bénéficiaires. Elles sont rebelles à toute extension de l’œuvre de Dieu en dehors d’elles-mêmes. Plus elles sont fidèles, je veux dire conservatrices, traditionnalistes, plus elles rejettent tous ceux qui ne sont pas de leur troupeau. La violence couve entre eux et les autres, parfois cette violence explose comme un volcan qu’on croyait éteint. Et ce ne sont pas les islamistes d’aujourd’hui qui en sont les seuls représentants. Les juifs et les chrétiens ont été très performants en ce domaine, en leur temps. La haine est toujours là tapie à leur porte, depuis Caïn. Les juifs ont fini par exécuter Jésus, puis, hébétés, ils ont regardé celui qu’ils avaient transpercé. Nous sommes tous de cette race. Nous habitons tous cette région de la rébellion, et çà n’en finit pas de pourrir nos regards, nos jugements, nos convictions, nos valeurs. Oui, Jésus est bien venu pour révéler cette part de nous qui grince des dents dès qu’un étranger passe par chez nous.
Et Jésus pousse les choses un peu plus loin encore. Il précise la zone particulièrement sensible, où sévit ce virus meurtrier, que les hommes sont incapables d’éradiquer par eux-mêmes. Dans la Bible, on l’appelle la convoitise. Dans nos sociétés contemporaines, on l’appelle la consommation. Chez les terroristes, elle devient la chasse à l’homme : massacrer devient une insatiable nécessité. En fait, c’est qu’Adam et Eve n’ont pas seulement croqué la pomme. Ils ont dévoré goulument tout ce qui était beau à voir, bon à manger, et utile pour discerner les choses, les comprendre, les maîtriser. Leurs enfants ne s’en sont pas remis. Ils ne mangent plus pour vivre ; ils vivent pour dévorer. C’est leur droit, disent-ils ; les droits de l’homme : se sentir exister par soi-même, disposer de son corps, de son argent, de notre science. Et ce droit-là il n’est pas question de le jeter aux petits chiens.
C’est à ce point terriblement sombre de l’aventure humaine, que se lève la parole lumineuse de la cananéenne : « c’est vrai, il n’est pas bien de prendre le pain aux enfants pour le jeter aux petits chiens ; mais les petits chiens justement, ils mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Les petits chiens ne revendiquent pas le droit de s’asseoir à la table des maîtres, ils mangent les miettes qui en tombent. Ils frétillent de recevoir ces miettes ; ils sont heureux d’être si près de leur maître et de recevoir de lui un petit peu de ce qui nourrit sa vie.
Ta foi est grande, lui dit Jésus. Il jubile, il vibre de tout son être. Elle est donc toujours là la semence de Dieu chez les humains. Elle perce chez cette femme au beau milieu des malheurs du monde. Elle témoigne du désir de son Père de voir son image s’éveiller dans notre chair. La vérité surgit de cette femme. Jésus l’entend, le voit. Cette femme ne cherche pas à ressembler à Dieu; elle sait que c’est Lui, Dieu et son envoyé, qui forme en elle la ressemblance de Dieu, son image. Ce n’est pas imiter Jésus ou les saints qui fait de nous des fils. C’est que tout en nous soit réglé peu à peu par l’amour du Père et de son fils et de l’Esprit. Ce n’est pas par notre action dans le monde que nous nous hissons à la condition de fils de Dieu. Ce n’est pas par la promotion de l’humain que vient le Royaume de Dieu. Il vient au fur et à mesure que l’amour de Dieu nous habite, au fur et à mesure que quelques miettes de sa passion pour nous tombent de sa table. C’est l’énergie de Dieu qui transforment nos regards, notre écoute des autres, l’intelligence de nos actions, les inventions de nos cœurs. C’est Lui qui nous transforme au-dedans, pour que nous soyons ses témoins au dehors.
A l’heure même, sa fille fut guérie !
Nous disons dans le Notre Père : « donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. » Ne nous y trompons pas. Le jour dont il est question ici, c’est celui de l’accomplissement de sa Parole. C’est le jour qui vient, le jour où l’amour de Dieu nous aura façonné pour toujours à son image. C’est le pain de ce jour-là que nous demandons. Nous demandons que chaque jour tombe quelques miettes de ce pain du ciel. C’est la seule nourriture qui puisse enlever le péché du monde, nous faire sortir de la région de notre rébellion. Elle est le corps et le sang du Christ.

Si Dieu nous fait passer par ce chemin escarpé, s’il nous a enfermé tous dans cette région de la rébellion, c’est pour que notre chair voit et entende que c’est de sa seule miséricorde que nous tenons d’être vivants. D’un bout à l’autre de la planète et du temps, nous sommes tous logés à la même enseigne. C’est Lui et Lui seul qui fait de nous des fils. C’est l’énergie de son amour qui nous engendre. C’est inscrit en nous. C’est pourquoi notre seule issue est de relire chaque jour en sa présence, chez nous et chez les autres, cette inscription indélébile. Donne-nous, Seigneur, des yeux pour voir et des oreilles pour entendre.

Matthieu 15,21-28 ; Isaïe 56,1-7 ; Rom.,11,13-32

Je suis le pain vivant / Jn 6 51-58 / Une homélie de JP Duplantier

« Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, en Lui ». Quelle est cette relation que le Christ demande, désire ? Que les juifs aient crié au fou et que beaucoup de ses disciples soient partis, n’est pas très étonnant. Prendre le repas comme moment de rencontre cela nous convient bien. Mais que la nourriture soit sa chair, cela déclenche chez nous d’abord une vraie incompréhension, et, secrètement, une réelle répulsion. Parce que la chair et le sang, dès qu’il s’agit de relation entre nous, c’est une vraie marmite où bouillonnent des choses contradictoires, des choses follement amoureuses, mais aussi des choses souvent horribles. Parce que la chair et le sang est une sorte de sanctuaire, intouchable et offerte en même temps.
 
De fait, la chair est en jeu dès que nous nous approchons physiquement les uns des autres. La chair est en nous un dispositif de réception et d’envoi et, en même temps, un réflexe de sauvegarde et un instinct de sauvagerie. Côté réception, elle se manifeste dans nos manières de voir, d’entendre, de sentir, de toucher, de suivre ce qui nous vient des autres. Côté envoi, elle désigne nos capacités de réponse à la demande des autres. Elle se manifeste dans nos manières de regarder, de parler, d’accompagner, d’aider, de soutenir, de partager et d’aimer. Côté sauvagerie, il y a une violence soudaine, le besoin d’écraser, de faire mal, d’éliminer l’autre. Non, chez les êtres humains, la chair ne peut être seulement de la viande.
 
Or, Dieu, notre Père, a envoyé sa Parole, son Fils bien aimé, dans la chair. Quelle est cette folie d’amour, ce désir d’y implanter sa ressemblance, et d’inscrire parmi les nations cette filiation totalement inattendue. 
 
Quant au sang, c’est presque encore plus redoutable.  Le sang n’est pas seulement un liquide qui transporte dans notre corps l’oxygène et tout ce qui est nécessaire à son fonctionnement. Il est aussi, et surtout, ce qui bat la chamade en nous ; ce qui nous donne des couleurs ou nous glace tout à coup ; ce qui pulse nos mouvements ou les arrête. Il est la vie en nous. Arrêter son flux sur nous-mêmes, l’enfermer dans l’image de moi-même, c’est mourir. Le verser pour ceux qu’on aime, c’est donner la vie.
Jésus a versé son sang pour la multitude en rémission des péchés. Par Lui, avec Lui et en Lui, la vie a englouti la mort. C’est le sang de l’alliance : il indique le projet commun qui nous rassemble dans le Christ. Quelle est donc cette aventure, dans laquelle il nous entraine ? De quelle nature sont les liens qu’il est venu tisser avec nous et entre nous ?

            Cette affaire prend une certaine urgence quand nous venons à la messe. Que faisons-nous à la messe ? A première vue, l’affaire est assez simple. A la messe, après avoir écouté sa Parole, nous faisons mémoire de l’offrande de Jésus à son Père pour nous, puis nous mangeons le pain et buvons le vin. Les choses nous arrivent donc par ce que nous connaissons de l’écoute d’un récit et du repas : écouter, manger et boire. Et c’est dans ce geste, à travers ce geste, que surgit  l’Esprit saint : Il dépose, en passant dans notre geste, ce qu’il veut, à savoir la présence du Corps et du sang du Christ. La messe n’est donc pas seulement un rite que nous faisons avec les autres selon la coutume de notre religion. C’est une action de Dieu dans laquelle nous sommes embarqués. Cette action nous échappe, tant dans notre corps que dans notre compréhension de ce qui se passe. La chair et le sang du Christ, son regard, sa façon d’écouter, de venir à nous se superpose à notre propre chair et à notre propre sang. Et cela sature complétement les idées ou les sentiments que nous pouvons en avoir.  Nous sommes saisis, habités, enlevés au-delà de nous-mêmes. Ce n’est pas la perception que nous en avons qui compte ; c’est son action, son énergie, son désir qui fait le travail ; il nous suffit d’être consentants.  
 
Puis nous sommes envoyés… Dans la dernière phrase de l’évangile que nous venons d’entendre, Jésus dit : « de même que mon Père m’a envoyé et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi ». Etre envoyé par son Père, c’est porter comme un fils le projet de son Père, son désir de faire de nous des femmes et des hommes qui portent sa ressemblance, dans sa chair, dans toutes les facettes de sa capacité d’entrer en relation avec les autres, de verser son sang au compte du projet commun du peuple de Dieu. 
 
Manger le pain et boire le vin c’est le geste qui est à notre portée. Etre nourri de sa chair et de son sang, c’est l’action du Christ : il plante sa tente chez nous ; il instaure en nous sa façon d’exister dans le monde selon le désir du Père, afin que nous devenions des témoins vivants de son œuvre.
 
Il existe dans la religion populaire des gestes qui peuvent nous aider à entrer dans cette action du Christ. Il y a des croyants qui touchent le rocher de la vierge à Lourdes, ou l’épaule de saint Jacques à Compostelle, ou le pied d’une statue de la vierge ou d’un saint dans une église. Nous pensons souvent que ces comportements religieux sont archaïques et pas très dignes de nous.
 
Mais en Argentine, par exemple, les églises disent de ces gestes que c’est « prendre grâce », s’agripper à la grâce de Dieu. Je n’ai pas dit «  rendre grâce », mais bien « prendre grâce ». Le pape François, le lendemain de son élection, est allé à la basilique Sainte-Marie-Majeur, dans la chapelle dite du « salut du peuple romain », et il a touché longuement l’icône de la vierge. Il a appris cette façon de vivre sa foi parmi les pauvres de Buenos Aires. Ce n’est pas du bois ou du plâtre qu’il a touché, mais à travers il a touché la sainteté de Marie. Il a pris grâce auprès d’elle. Et ceci n’est pas une spécialité d’Amérique latine, c’est au cœur de la foi catholique : la foi dans le Christ ressuscité est charnelle, incarnée, sacramentelle.
 
A la messe, c’est Jésus qui choisit le geste : manger le pain et boire la coupe. C’est ce que nous faisons matériellement, physiquement. Mais c’est Lui, le Seigneur, qui accomplit la rencontre. Il nous reste à mettre en pratique le principe de saint Paul : « m’efforcer de le saisir après avoir été saisi ». Apprendre à changer mon regard sur les autres, dans les occasions qui me sont données, devient alors une sorte de politesse à l’égard de Dieu, un respect amoureux du Christ. 
 
Ce n’est pas nous qui donnons une place à Dieu dans notre raisonnement et notre comportement dans le monde, c’est Lui qui nous fixe une place dans son œuvre. Et cette œuvre consiste à faire se lever parmi les nations un peuple selon le désir de Dieu. 
 
Nous avons appris à quoi se reconnait ce peuple de Dieu :
- D’abord, à sa mémoire. Faites ceci en mémoire de moi. Il ne s’agit pas seulement des souvenirs que nous avons de ce qu’a dit et fait Jésus, le Jésus de l’histoire, mais la reconnaissance de ce que fait Dieu, à travers sa création, l’histoire d’Israël et la vie, la mort et la résurrection du Christ, le Verbe de Dieu fait chair. Il s’agit de la mémoire vive du Christ ressuscité, agissant maintenant dans le monde.
- Puis, son style de vie : c’est là, dans nos comportements et nos paroles, que se montre la pratique de la chair et du sang du Christ, vers laquelle nous sommes enlevés comme témoins vivants : apprendre à regarder et à écouter les autres, comme le Christ les regarde et les écoute ; nous arrêter le temps qui convient auprès de celui que nous trouvons blessé, perdu, oublié sur notre chemin, comme l’a fait le bon samaritain ; pardonner ; travailler à maintenir la paix entre nous, et prier sans se lasser.
-         Enfin, son projet commun : espérer envers et contre tout dans ce rassemblement, à première vue impossible, auquel Dieu travaille depuis le commencement, et renoncer à limiter notre vie à l’horizon si souvent étriqué dans lequel nous nous sommes laissés enfermer.
C’est ainsi que le peuple de Dieu se nourrit de la chair et du sang du Christ, lui ressemble, et devient ce qu’il est : le corps du Christ. 
 
Et si vous avez besoin, comme moi, de vous accrocher à la main qu’il vous tend, ne ratez pas les occasions qui vous viennent de tel ou tel de vos frères, et profitez de ces moments de paix, de consolation et de joie profonde qui vous sont donnés, simplement parce que vous avez fait ou dit ce que le Seigneur vous a demandé et que vous vous en trouvez bien.
Jean-Pierre Duplantier

Homélie du 15 août - JP Duplantier


La fête de l’assomption de Marie nous offre des récits bibliques qui réveillent et questionnent en nous des zones tumultueuses de notre imaginaire : des forces extraterrestres envahissent notre espace. D’abord il y a une femme, avec le soleil pour manteau, la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête. Elle est enceinte et crie dans les douleurs de l’enfantement. Une sorte de reine fantastique, à admirer, à défendre. Devant elle, un dragon, rouge feu ; il a sept têtes et dix cornes ; sur chacune un diadème, l’insigne de son pouvoir de destruction ; il est posté devant la femme pour dévorer l’enfant dès sa naissance. 
 
Si la Bible utilise ce langage, c’est pour atteindre le fond de nos âmes, de nos peurs, et de nos rêves, tout ce qui est secrètement en désir ou en danger dans nos vies. Ce n’est pas de la superstition ou des terreurs archaïques. Bien sûr en Europe, et en France particulièrement, nous refoulons ces choses : notre raison ne supporte pas ce genre d’effraction dans la zone de notre maitrise de la vie et du monde. Mais la foi en Dieu et en son Christ, mort et ressuscité pour enlever le péché du monde, déborde, sature notre raison. Et Marie, et son assomption avec son corps dans le ciel, tient une place toute particulière dans cette irruption de la puissance de Dieu dans notre espace terrestre. C’est bien pour cela que la religion populaire, dont beaucoup chez nous se méfient, pousse des foules à aller toucher le rocher de la vierge à Lourdes, ou que nous bénissons les bateaux sur nos côtes aujourd’hui. 
 
Précisons un peu les choses : l’intervention de Dieu en Egypte pour en faire sortir le peuple d’Israël, la venue du Verbe de Dieu dans notre chair, pour que la puissance de sa vie engloutisse la mort, comme le dit saint Paul, sont bel et bien dans notre mémoire l’irruption d’un champ de force venue d’ailleurs, pour modifier et organiser autrement nos manières de voir, d’agir et de sentir. 
 
Tous ceux qui aiment regarder les films qui racontent des contacts entre notre planète et des visiteurs de l’espace, savent ce qu’est un champ de force : là où ils arrivent tout est troublé, en nous et entre-nous ; les envahisseurs s’infiltrent partout ; ils brouillent nos communications et détruisent nos centres de commandement. De même, ces jours-ci, les astronomes du monde entier ont les yeux rivés sur ce coin du ciel où la comète Tchouri entre dans le champ de force du soleil, pour en savoir plus sur ce genre d’événement. Oui, tout çà est en partie de l’imaginaire : nous avons vite fait d’en rajouter beaucoup. Mais notre foi en Dieu atteint cette partie de nous ; l’imaginaire est même une zone majeure de son Incarnation. Si nous voulons célébrer Marie, nous émerveiller d’elle et la prier vraiment, il vaudrait mieux de ne pas trop se tenir à l’écart de ce que porte d’invasif, de dérangeant, la mémoire du peuple de Dieu.
 
Quand Paul écrit : « Tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu notre Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute principauté, toute souveraineté et Puissance », de quoi parle-t-il sinon de la domination du champ de forces de Dieu sur l’organisation de notre monde ?
 
            Et Marie nous en apprend beaucoup sur ces choses-là. Le récit de la visitation nous en dévoile un moment majeur. Voici ce qu’écrit Christian de Chergé : « J’imagine assez bien que nous sommes dans cette situation de Marie qui va voir sa cousine Elisabeth et qui porte en elle un secret vivant qui est encore celui que nous pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle vivante. Elle l’a reçue d’un ange. C’est son secret et c’est aussi le secret de Dieu. Et elle ne doit pas savoir comment s’y prendre pour livrer ce secret. Va-t-elle dire quelque chose à Elisabeth ? Peut-elle le dire ? Comment le dire ? Comment s’y prendre ? Faut-il le cacher ? Et pourtant, tout en elle déborde, mais elle ne sait pas. D’abord, c’est le secret de Dieu. Et puis il se passe quelque chose de semblable dans le sein d’Elisabeth. Elle aussi porte un enfant. Et ce que Marie ne sait pas trop, c’est le lien, le rapport, entre cet enfant qu’elle porte et l’enfant qu’Elisabeth porte. Et ça lui serait plus facile de s’exprimer si elle savait ce lien. Mais sur ce point précis elle n’a pas eu de révélation, sur la dépendance mutuelle entre les deux enfants. Elle sait simplement qu’il y a un lien puisque c’est le signe qui lui a été donné : sa cousine Elisabeth… »
 
Il en est ainsi de notre Eglise qui porte en elle une Bonne Nouvelle ; il en est ainsi de chacun de nous. Nous sommes assez souvent un peu comme Marie, nous sommes venus d’abord pour rendre service, mais aussi, en portant cette Bonne Nouvelle, comment nous allons nous y prendre pour la dire… ? Et nous savons que ceux que nous rencontrons, ils sont un peu comme Elisabeth, ils sont porteurs d’un message qui vient de Dieu. Notre Eglise ne nous dit pas et ne sait pas quel est le lien exact entre la Bonne Nouvelle que nous portons et ce secret qui fait vivre l’autre. 
 
Mon Eglise ne me dit pas quel est le lien entre le Christ et cet adolescent que je ne comprends plus ; entre le Christ et ce voisin, un peu fruste, qui n’a pas la même culture, le même statut social ; entre le Christ et cet étranger qui cherche un logement ou qui fait la manche, entre le Christ et ce malade que je visite. Entre le Christ et ce musulman, ou ce juif, ou ce bouddhiste, ou cet incroyant. Et je vais vers ce frère, comme Marie vers sa cousine, sans savoir quel est ce lien.
 
« Et voici que, quand Marie arrive, c’est Elisabeth qui parle la première. Pas tout à fait exact car Elisabeth a entendu la salutation de Marie. Et ça c’est une chose que nous pouvons faire ! On peut dire la paix soit avec vous ! Et cette simple salutation a fait vibrer quelque chose, quelqu’un en Elisabeth. Et dans sa vibration, quelque chose s’est dit… qui était la Bonne Nouvelle, pas toute la Bonne Nouvelle, mais ce qu’on pouvait en percevoir dans le moment. D’où me vient-il que… l’enfant qui est en moi a tressailli ? Et vraisemblablement, l’enfant qui était en Marie a tressailli le premier. En fait, c’est entre les enfants que cela s’est passé cette affaire-là… Et Elisabeth a libéré le Magnificat de Marie. »
Finalement, si nous sommes attentifs et si nous situons notre rencontre avec l’autre à ce niveau-là, dans une attention et une volonté de le rejoindre, et aussi dans un besoin de ce qu’il est et de ce qu’il a à nous dire, vraisemblablement, il va nous dire quelque chose qui va rejoindre ce que nous portons, montrant qu’il est de connivence.
 
Là se découvre le champ de force de Dieu intervenant dans le petit coin de la planète que nous habitons. Dans notre rencontre avec notre frère, abordée comme Marie avec sa cousine, c’est le Verbe de Dieu qui prend chair, et nous y prenons la grâce ; je ne dis pas rendre grâce, mais prendre grâce. Ce qui veut dire le besoin où nous sommes de l’autre pour faire Eucharistie : pour vous et pour la multitude.
 
Saint Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. 
Jean-Pierre Duplantier

Homélie du 15 Août 2014 / Une homélie de JP Duplantier

  « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur »
Le plus clair de notre prière à Marie est la confiance que les enfants ont pour leur mère. Les appels lancés à Marie et les remerciements, qui sont exposés dans les innombrables chapelles qui lui sont dédiées, viennent autant des hommes que des femmes. Chez les marins, les mineurs de fond, les montagnards, aux carrefours des chemins ordinaires, au cœur des villes frappées par une épidémie ou des combats meurtriers, tous nous prions Marie lorsque nous sommes désemparés devant ce qui bouleverse notre vie, ou nous met en péril, tous nous remercions Marie pour le secours qu’elle nous a apporté. Elle est la mère de miséricorde.
Mais aujourd’hui nous ne la célébrons pas seulement pour ce qu’elle nous apporte, mais d’abord pour ce qu’elle a reçu de Dieu, pour ce que l’ange lui a dit : « sois heureuse, toi qui as la faveur de Dieu », pour la naissance de Jésus en elle, pour son assomption auprès de lui.
Lorsque Elisabeth a entendu la salutation de Marie, c’est ce qu’elle a vu. Et cela a fait bondir son enfant dans son ventre. Et l’Esprit saint a rempli le grand vide qui était en elle : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur »
Pour Elisabeth, c’est la révélation. Dans le langage de la Bible, on appelle cela l’apocalypse : une femme superbe, habillée de la lumière et de la force des étoiles ; une femme enceinte, dans le temps des douleurs, par laquelle vient Celui qui relève les hommes, Celui qui prend en main la cause des humains, le Fils bien aimé qui affronte le malheur qui sévit dans les peuples de la terre, et qui met sous ses pieds le dragon qui dévore les enfants.
L’apocalypse est devenue chez nous un mot qui désigne la catastrophe. Devant Marie, ce matin, laissons y venir la révélation heureuse. C’est elle, Marie, qui nous visite, qui nous salue. Que sa voix réveille dans nos corps la lumière que Dieu a semé en nous depuis le commencement, la vie qui attend d’émerger enfin dans notre chair malade, déformée, esclave des forces de la mort.
Personne ne sait ce que Marie a dit à Elisabeth ce matin-là. Ce qui nous est raconté, ce sont les effets de sa voix sur elle. Des effets physiques, somatiques comme on dit aujourd’hui. Elisabeth somatise, elle crie et son enfant bondit en elle. Leur joie, c’est la vie qui vient dans l’enfant et sa mère. Voilà ce que nous avons à offrir à Marie. Pour qu’elle voie, que ce qu’elle a reçue de Dieu, que ce qu’elle a porté en elle, continue à nous enfanter, à nous réveiller, à nous faire chanter comme je le faisais dans ma jeunesse avec Jean Jacques Goldmann et que je le chante encore : « enlève-moi, enlève-moi, loin de cette fatalité qui colle à ma peau. Montre-moi cette autre vie que je ne sais pas encore. »
Donne-nous Marie de nous ouvrir les yeux sur cette rébellion qui a grandi en nous, sur ce dragon qui dévore l’enfant de Dieu que nous sommes. Donne-nous de nous abandonner à ton Fils Jésus, le Christ. Qu’il sème en nous l’amour et la justice. Qu’il sème en nous son pardon et sa paix.

Voilà ce que nous t’offrons pour ta fête : la chanson, le cri que ton Fils, le Fils de Dieu, fait émerger de notre chair, encore et encore. Merci mille fois d’avoir cru à l’accomplissement des paroles qui te furent dites de la part du Seigneur »

Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus / Mt 14 22-33 / Une homélie


Dans nos souvenirs, on ne retient que Jésus marchant sur les eaux. Mais Pierre lui aussi a marché sur la mer. N'est-ce pas un exploit, ça aussi ? C'est un exploit parce que marcher sur l'eau c'est impossible. C'est impossible pour nous mais pas pour celui qui profite du miracle.

Et c'est aussi un exploit parce que Pierre fait ce que Jésus fait. Jésus demande toujours des choses impossibles. Ainsi, par exemple, nous demande-t-il : "aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés."

"Confiance" dit Jésus aux apôtres mal barrés sur la barque. "Confiance" leur dit-il alors qu'il les rejoint d'une manière plutôt singulière. Il les rejoint en marchant sur l'eau. Voilà qui est surprenant. Cela nous étonne. Et pourtant, en relisant notre vie, chacun individuellement, nous nous apercevons que le Christ nous rejoint toujours d'une manière un peu bizarre. Il nous rejoint alors qu'on ne l'attend pas, il est présent alors qu'on ne veut pas de lui, il se signale alors qu'on l'avait oublié.

"Confiance, c'est moi, n'ayez pas peur ! " Pierre entend ces mots. Pierre reconnaît le timbre de la voix. Mais la venue du Seigneur marchant sur l'eau est si troublante qu'il manque quand même un peu de confiance : "Seigneur, si c'est bien toi…"

Mais il semblerait que Pierre n'ait plus toute sa tête, car la preuve que demande Pierre à Jésus sur son identité c'est de l'appeler à marcher vers lui sur l'eau.

Mes amis, contemplons ensemble la scène. Jésus dit à Pierre "Viens !", Pierre a les yeux fixés sur le Seigneur, sur son Seigneur. Il enjambe la lisse de la barque, pose les pieds sur la mer et avance. Il a toujours les yeux sur Jésus, il marche sur l'eau. Combien fait-il de pas ? L'histoire ne le dit pas. Puis, il est distrait, son regard est distrait. Les éléments autour de lui le ramènent aux choses de la terre. Le vent, cette image de l'Esprit Saint, est cette nuit-là bien terre-à-terre. Pierre détourne son regard, mais où suis-je ? Que suis-je en train de faire ? Pierre sombre. Pierre sombre quand la communication avec le Seigneur est rompue. Il suffit d'un instant et Pierre s'enfonce dans l'eau.

Que veut dire pour nous aujourd'hui ce court passage ?

Comme nous le dit souvent Jean-Pierre Duplantier, Pierre et tous les êtres humains sont équipés d'un dispositif qui leur permet de faire de grandes choses, de reconnaître le passage du Seigneur parmi nous, en nous, entre nous. Ce dispositif se réveille en présence du Seigneur, quand mystérieusement, il entend sa parole.

Ce dispositif nous le tenons de notre création à l'image de Dieu. Pierre est ainsi capable de s'abandonner tout entier dans la confiance et l'amour du Seigneur. Il est capable comme nous de toutes les folies aux yeux du monde dans ces moments-là. Et Pierre marche sur l'eau à l'instar de Jésus. Il me semble que c'est là le miracle.

Mais, comme chacun de nous, Pierre est assailli par les soucis du monde. C'est ce qui nous fait oublier vers quoi nous pérégrinons.

Les soucis du monde nous les connaissons. Je voudrais juste évoquer celui de notre sécurité. Les humains veulent vivre en sécurité. Tout être humain veut vivre en paix. Là, où cela coince c'est quand nous voulons établir notre sécurité au détriment de notre prochain. De là, vient le proverbe, "si tu veux la paix, prépare la guerre". Ce proverbe vient d'une locution latine "si vis pacem para bellum", à cause de cela, on pourrait croire que cela vient de la Bible. Mais pas du tout, l'Evangile est à l'opposé de ce principe. Ce n'est pas ce que veut le Dieu de l'alliance.

Sa présence n'est pas dans l'ouragan, ni dans le tremblement de terre non plus dans le feu venu du ciel. Il est dans la brise légère qui rafraichit tous les hommes. C'est l'expérience d'Elie qui se tient à l'entrée de la caverne sur la montagne de l'Horeb.

Il y a un endroit sur terre bien particulier qu'on ne sait même pas comment le nommer sans créer des tensions, Israël, la Palestine, la Terre Sainte. Ce lieu est si particulier qu'il est comme un océan où tous ses habitants sombrent dans les eaux.

Mais plutôt que d'une seule voix, tous ils s'écrient " Seigneur, sauve-moi !", ils préfèrent les uns les autres s'appuyer sur leur prochain pour l'engloutir un peu plus et tenter ainsi de garder la tête péniblement hors de l'eau.

Et pourtant : " Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba."

Accueillons le Seigneur qui vient se joindre à nous dans la barque, il se fait présence à son autel. Accueillons avec force sa paix que nous échangeons entre nous. Que cette paix se transmette jusqu'en Terre Sainte. Prions le Christ pour que cette paix rafraîchisse les hommes de la Terre Sainte comme une brise légère.

J'écoute : Que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu'il dit, c'est la paix pour son peuple.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.
Amen !
Dominique Bourgoin, diacre.

Le prophete Elie / 1Roi 19 / Une homélie de JP Duplantier

La Parole de Dieu qui nous est adressée aujourd’hui commence par le récit de la déprime du prophète Elie : « maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. » C’est quoi la déprime d’un prophète ? Il croit en Dieu, lui. D’accord il a des adversaires, et une en particulier, la reine Jézabel, qui veut sa peau. Mais il a un rocher auquel s’accrocher dans la tempête.
Il croit en Dieu. Justement c’est peut-être là le problème. Dieu, le Père, personne ne l’a jamais vu, comme dit Jésus. Bien sur Jésus est venu ; il est venu de Dieu et il le connait Lui. Mais Jésus est mort. Oui mais il est ressuscité et il est apparu à ses apôtres et à bien d’autre, en chair et en os. Oui, mais il nous a été enlevé. Alors, au bout du compte, quelle relation nous reste avec Lui et par lui avec son Père.
 
Nous aimons Jésus. En tout cas nous le voulons. Mais pour ce qui de ce que je ressens pour Lui, de ce que je vois ou entends de Lui, c’est pas joué. Combien de fois est revenue la souffrance de constater que nous ne savons pas vraiment ce que veut dire aimer le Seigneur. Où est donc un vrai sentiment à son égard ; une véritable écoute de sa Parole vive ? J’ai beau dire et redire, avec le psaume 21 : « o toi mon Dieu, toi qui demeures en la louange, ne t’en va pas loin de mon cri. Ne t’en va pas des mots que je rugis le jour et qui la nuit me laisse sans repos. Ne t’en va pas. Ne sois pas loin », … c’est long de guérir. Il y  tant de contrefaçons de l’amour inscrites dans ma chair. Il y a bien quelques moments d’apaisement, de fulgurance même. Mais quand donc s’installera à demeure en moi l’amour qui ne passe pas, celui qui a sa source en Lui ?
 
Combien de fois nous nous sommes agenouillés devant lui, pour le supplier de se manifester plus distinctement, de nous montrer plus clairement quel est son œuvre en ce moment, qu’est-ce qu’il demande au juste. Certes il y a bien un certain consentement à faire ce que me demande l’Eglise, comme un fidèle serviteur. Mais il faut bien interpréter ces demandes. Reviennent alors, inlassablement, nos habitudes, nos propres manières de voir, nos stratégies préférées, et nos points d’honneur, comme disait Thérèse d’Avila. 
 
Bref, la déprime d’Elie, je connais et je ne suis pas les seul. J’essaie de m’en protéger, mais il y a des jours où, avec tout le monde autour de moi, j’entends : mais où est-il votre Dieu ? il est parti en vacances.
 
La relation au Christ, c’est bien une affaire de cœur, d’avoir des yeux pour le voir et des oreilles pour l’entendre. C’est notre chair en somme qui est malade.
Saint Paul écrit : «  amertume, irritation, colère, éclats de voix, insultes, méchanceté, tout cela doit être éliminé de votre vie ». D’accord il ne faut pas attrister l’Esprit saint. Mais, bon Dieu, comment çà marche.
 
            Elie a eu un ange, qui a lui a porté une galette, en lui disant : « lève-toi et mange ! il est long le chemin qui te reste. Et nous qu’avons-nous ?
C’est en cet endroit de notre vie que vient la parole de Jésus : « moi, je suis le pain de la vie ».
… et il faut que je vous en dise quelque chose. Alors je me risque et que l’Esprit fasse son travail. 
 
En premier ceci : Jésus est la Parole de Dieu. Mais, comme le dit Jean en toutes lettres, la Parole de Dieu ne parle pas, elle ne fait pas de discours, elle devient chair, elle agit, elle soigne, elle restaure des liens, elle accomplit l’œuvre du Père : faire de nous le corps du Fils qui porte son image.
 
Ceci suffit à tracer notre route : d’abord nous mangeons le pain et buvons le vin, comme il nous a dit de le faire. Puis nous écoutons : lève-toi, il est long le chemin qui te reste. Et sa présence vient, quand il veut, comme il veut, dans ce qui nous arrive dans notre chair, en famille, au travail, en vacances, et la nature de nos liens, heureux ou difficiles, quelques soient les circonstances, amis, étrangers, chrétiens, juifs, musulmans ou autres, brillants ou paumés, riches ou pauvres. 
 
A nous apprendre d’avoir des yeux pour voir et des oreilles pour entendre les détails dans lesquels le Christ montre sa présence, sa miséricorde, la sienne. Un peu comme lors de l’Exode : le jour c’est la nuée qui conduit le peuple ; la nuée c’est-à-dire l’ombre portée de son intrusion dans nos relations, nos principes, nos habitudes. Cette ombre n’annonce pas forcément un orage, mais signale son passage. Et la nuit, c’est le feu qui conduit le peuple. Alors si dans vos insomnies, vos rêves fous ou vos cauchemars, le feu surgit, levez-vous, agenouillez vous, peut-être vous verrez le bras de Jésus sur les épaules de Jean, comme s’est sculpté sur le portail nord de notre cathédrale. Profitez-en.
 
Car il n’y a pas que des déprimes dans nos vies, il y a parfois des fulgurances, de jour comme de nuit, comme me disait l’une d’entre nous il y a quelques jours, des surprises venue du ciel, la lumière d’en-haut. Si vous vous en méfiez ou en avez peur, laissez-vous faire, une fois. C’est pas une affaire de sentiment de nous vers Lui, c’est son amour pour nous qui fait le déplacement. C’est sa chair qu’il donne pour la vie du monde.

Jean-Pierre Duplantier

Jésus nourrit la foule / Mt 14 13-21 / Une homélie de JP Duplantier

Une invitation à ceux qui ont soif et faim…

De l’eau, du vin, du lait, des viandes savoureuses… une abondance de nourriture et de boisson. un festin sans rien payer…Venez à moi et écoutez : une présence et une parole ! ainsi parle Isaïe.
Nous sommes habitués à ce qu’un prophète dise l’avenir, peut-être mieux qu’une cartomancienne, mais çà y ressemble un peu dans notre tête. En fait, ici comme le plus souvent, Isaïe parle de l’alliance, du dispositif que Dieu a mis en place pour réaliser son désir : que tous les hommes soient à son image et à sa ressemblance.
Pour nous, l’alliance est en arrière : Dieu l’a conclue avec Abraham, Moïse et David. Mais elle a aussi un objectif, une dynamique : le désir créateur de Dieu, son travail d’hier, d’aujourd’hui et demain. Israël est le témoin de cette promesse en action pour toutes les nations.
 
S’il s’agit donc de devenir fils de Dieu tout au long de notre existence, alors cela passe forcément par notre corps. De fait, dans la Bible, le corps de l’homme est le lieu de l’élection, de l’alliance, de l’amour que Dieu nous porte. La figure la plus permanente du travail de Dieu chez nous est en effet celui de la naissance, de l’éducation, de sa conduite par la main, au jour le jour, à chaque âge, à chaque seuil franchi, à chaque crise traversé. « Par la bouche des enfants et des nourrissons, tu fondes ta force » chante le psaume 8.  Nous venons de prier avec le ps.144 : « Les yeux sur toi, tous ils espèrent : tu leur donnes la nourriture au temps voulu, tu ouvres ta main : tu rassasies avec bonté tout ce qui vit. » « Ouvre ta bouche, je l’emplirai… ah, si mon peuple m’écoutait » (ps.81). « Il étanche leur soif ; il comble de bien les affamés. » (Ps.107).
 
Pourquoi une telle insistance sur la nourriture et la boisson ? Pour un double motif que nous expérimentons chaque jour.
Le premier c’est que les humains ont des besoins comme tous les êtres vivants, mais leurs besoins mêmes sont porteurs d’une force d’attraction qui n’en finit pas de les tirer au-delà. Rappelez-vous Jacques Brel dans l’homme de la Mancha : « rêvez un impossible rêve, brûler d’une impossible fièvre, aimer jusqu’à la déchirure, aimer même trop, même mal, pour atteindre l’inaccessible étoile… ». Le désir a été semé dans l’être humain, dans son corps, mêlé intimement à ses besoins, comme une ligne de fuite irrépressible.
Dès que nous parlons, nous sommes en partance au-delà des choses, de la matière, du plaisir. Nous résistons, le pied bloqué sur le frein, mais à la moindre faille s’échappe une demande, un cri pour un regard, un signe, un mot d’amour. Le désir est dans nos corps la semence des fils de Dieu. S’il suffisait de croire à l’immortalité de l’âme, s’il suffisait d’affirmer que l’esprit survit à la chair, à quoi bon la longue patience des fils d’Israël, à quoi bon la venue de la parole de Dieu dans notre chair, à quoi bon l’exode de Jésus à Jérusalem, sa mort et sa résurrection, en chair et en os, comme l’écrit l’évangile de Luc. Voilà le premier élément du dispositif de l’Alliance et il est actif pas seulement dans le passé ou dans le futur. C’est maintenant ; nous y sommes.
 
Le second motif de cette insistance sur la nourriture et de la boisson sur le chemin de l’alliance c’est l’amnistie générale que le Seigneur ne cesse de déclarer en notre faveur. Il y a en effet une autre expérience qui pollue irrémédiablement notre corps et notre environnement. Manger et boire tout ce qui passe à notre portée. Dévorer des yeux tout ce qu’on découvre dans les magasins, dans les journaux, sur le net, et l’acheter, le consommer ou même le voler. Dévorer goulument tout ce qu’on peut savoir, tout ce qu’on peut maitriser. Se comporter comme des vautours qui dépècent et boivent le sang des millions de gens comme les rapaces de la finance internationale. Et il n’y a pas qu’eux qui vivent comme des prédateurs. Ils sont là dans la vie politique, dans nos histoires d’amour, dans tous les rouages de notre vie sociale. Jusques à quand ? crient les prophètes. Or, les mêmes prophètes, inspirés par un amour fou qui leur vient d’en-haut, ne cessent d’annoncer l’imminence d’un amnistie générale pour Israël s’ils reviennent à Dieu : la convoitise, incrustée dans la chair dès nos premiers balbutiements n’arrête pas le désir de Dieu sur nous. L’accomplissement de l’amour de Dieu dans l’histoire du monde passe par le traitement incessant des cicatrices de notre chair. L’alliance passe toute entière dans l’espace du corps, elle ne le quitte pas.
 
Venons-en à Jésus. Il fracture notre expérience du temps. Il plante sa tente parmi nous. Désormais le temps n’est plus la durée entre notre naissance et notre mort, il est le temps qui nous reste pour devenir fils de Dieu par Lui, avec Lui et en lui. La mort n’a plus le pouvoir de barrer l’œuvre de Dieu.
 
Jésus est donc parti en bateau pour un moment de solitude avec son Père. Il voit alors venir une foule, une foule d’infirmes. Il est remué jusqu’aux entrailles. Il voit qu’ils portent sur eux l’impuissance de vivre ensemble par eux-mêmes. Il guérit toute la journée. Le soir venu, les disciples trouvent que c’est le temps d’arrêter et de les renvoyer, manger dans les villes et les villages des alentours. « Donnez-leur vous-mêmes à manger » dit Jésus. Etonnement, ils n’ont que cinq pains et deux poissons. Jésus prend les cinq pains et les deux poissons, lève les yeux au ciel, dit la bénédiction, rompt les pains, et demande aux disciples de les distribuer.
Une petite série de geste : il lève les yeux au ciel : il établit le contact entre la terre et son Père ; il dit la bénédiction : il parle comme son Père ; il dit les choses bien, de sorte qu’elles prennent la dimension de son œuvre de création ; de la nourriture pour fils de Dieu. Il les rompt, comme on rompt avec ses habitudes, sa vision du monde, ses besoins terrestres ; et il les donne aux disciples. Cela suffit. Nous avons dans la tête que les pains se multiplient, comme par magie. En fait d’après le récit, il n’y a toujours que cinq pains et deux poissons. Mais 5000 hommes sont rassasiés et il y a 12 paniers de restes. 
 
Je n’ai rien à expliquer, simplement ceci à vous distribuer : Jésus, avec trois fois rien que nous avons déjà dans les mains, donne avec profusion, simplement par le regard avec lequel il présente ce quasiment rien à son Père, par sa parole de fils bien aimé de Dieu et par un geste il instaure la rupture avec la réalité concrète observable, avec ce qui est connu, admis. Les disciples vont porter ce geste de génération en génération. Et c’est l’abondance, la nourriture des enfants des hommes en train de devenir fils de Dieu, par elle la vie nous vient dans notre corps telle que Dieu nous la donne. C’est le corps du Christ livré pour nous, son sang versé pour la multitude, son chemin, sa vérité, sa vie pour que nous demeurions en nous et lui en nous. Le sacrement, avec quasiment rien, qui est déjà là entre nos mains, du pain et du vin.  Son Père, Lui-même et l’Esprit saint font le reste et nous entrons dans son royaume. Cela ne fait que passer, mais si nous ouvrons la bouche, accueillons sa présence et écoutons sa parole, ce qui se passe dans nos corps est la nourriture pour aujourd’hui de ce qui vient dans notre condition humaine selon l’amour de notre Dieu.
 
C’est le cœur brulant de ce qui nous est donné à vivre à chaque messe.

Jean-Pierre Duplantier