Quelle bonne heure ! …. Le Grand Dimanche

Si vous n’avez pas encore participé, je vous fais part de «ma» lecture de ce que nous appelons « le Grand Dimanche », une fois par mois.

Il s’agit d’abord de sortir du lit et de sa maison un peu plus tôt … pour être là à 9h. Pas toujours facile, mais quand je pense aux enfants de tous âges, aux adolescents et à leurs parents qui le font, ça me donne du courage.
Nous nous retrouvons souvent peu nombreux, à l’église peu avant 9 heures… le temps de se reconnaître dans cette démarche, d’échanger quelques mots avec le bonjour... de se voir «sans fard».
Après le début de la célébration et la liturgie de la parole, nous nous installons (en déplaçant quelques bancs) pour former trois ou quatre groupes de 12 à 15 personnes. Le tour des prénoms nous permet de les associer à un visage.
Là, nous prenons le temps ensemble de nous remémorer le texte de l’Evangile entendu, nous le relisons (texte polycopié à disposition de chacun) et nous essayons de nous laisser toucher par cette parole, nous lisons à plusieurs voix en suivant l’ordre donné par le déroulement du texte. Comme l’écrit Luc 1(1 ; 4) « Il m’a paru bon … d’en écrire pour toi, cher Théophile, un récit ordonné ». Nous nous laissons surprendre par les résonances différentes pour chacun(e) les particularités et détails du texte.
Une bonne heure pour laisser ce texte nous parler, nous déranger, nous questionner et peut-être nous accompagner car il va nous rester dans la mémoire et le coeur, nous éclairer sur le chemin, nous rendre sensibles au «Verbe venu en notre chair »(Prologue de Jean)

A 10h30, les enfants, adolescent(e)s, parents et catéchistes qui ont fait la même démarche avec des médiations adaptées nous rejoignent… Nous réécoutons ensemble l’Evangile et une courte homélie pour nous introduire dans le prière Eucharistique, l’offrande du pain et du vin. Les créations apportées par les enfants sont très parlantes rendant certains aspects plus tangibles. La célébration se poursuit et se termine à l’heure habituelle.

Il reste que nous avons partagé la Parole (comme) le pain du Christ.

à qui irions-nous Seigneur ? / Jn 6 60-69 / l'homélie

Jésus vient de terminer son enseignement dans la synagogue de Capharnaüm : « De même que le Père m’en envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui mange ma chair et boit mon sang vivra par moi. ». Pour beaucoup des disciples s’en est trop. « Qui peut encore l’écouter ? »
Il y a donc un bon nombre de gens qui osent dire que ce que dit Jésus est incompréhensible. Mais pourquoi donc revenir encore une fois sur cette affaire, à la messe, aujourd’hui ?
Parce que c’est un moment de blocage dans la foi des disciples d’alors, et dans notre foi peut-être aussi. Un blocage discret, silencieux, mais tenace. 
 
Jésus le sait. D’emblée, il désigne où se tient ce blocage. « Quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était avant… » Jésus sait que nous lui collons facilement l’image d’un héros libérateur, d’un messie. Jésus sait que cette image peut enthousiasmer les disciples un certain temps et tenir en haleine les foules. Mais, en Lui, il y a d’abord d’où il vient et où il va. C’est vers la gloire de son Père, qu’il monte. Là est sa vraie vie. Et devant ce souffle qui l’habite, la chair, notre chair est déroutée, quasi infirme. 
 
            Pourtant cette chair, c’est bien Dieu qui l’a installée en nous, qui lui a creusée une place dans notre corps. Une chair capable de voir, d’entendre, de sentir ce qui nous vient des autres, de notre environnement, des évènements. Une chair qui ouvre nos lèvres, nos mains, notre cœur à l’au-delà de nous-mêmes. Mais capable aussi d’aimer ou de se refermer, de bénir ou de maudire, de croire ou de rejeter celui qui vient, de se laisser emporter n’importe où parfois, et de jouer avec sa liberté, droit devant, sans lever les yeux plus loin que son plaisir. Dès que Jésus s’approche, la crise s’accélère.
Nous le savons bien, ce n’est pas internet, la télé, la technique, les bonnes ou mauvaises rencontres qui sont dangereuses ; c’est ce que notre chair en fait. C’est notre étrange soumission à ce qui nous paraît beau et bon, à notre besoin de jouissance immédiate. Et on y met la main, et on le mange goulument et c’est, jour après jour, le dessous de nos âmes qui est dévoré.
Et Jésus le sait. Pour écouter ce qu’il dit, la chair ne sert de rien. C’est l’Esprit qui donne la vie. « Personne ne peut venir à moi, dit-il, si cela ne lui est donné par le Père. »
 
Mais alors, quand, où, et comment le Père nous le donne ?
Il y a longtemps que la réponse est là : la vie nous vient par la visite de la beauté et de la force de l’amour que Dieu nous porte. Le pape François ne cesse de le redire.
Depuis que j’ai lu ces textes, il y a quelques jours, j’ai demandé à Dieu de réveiller ma mémoire à propos des impacts dans ma vie de cette beauté de l’amour de Dieu. Et j’ai vu revenir une foule de petits détails que j’étais en train d’oublier. 
 
Il y a quelques semaines, je suis passé devant l’église, la nuit était tombée et la porte était fermée. Contre la porte était couché un homme. Il avait bu, trop. Je lui ai dit que j’allais prévenir la police, pour qu’on l’amène à l’hôpital, pour le soigner. Qu’il ne pouvait pas passer la nuit ici. C’était dangereux. Lentement, il a pris mes mains, les a serré et a dit : « s’il vous plait, mon père, laissez-moi ici, c’est là que je suis le plus prêt de Dieu. Et j’en ai besoin. »
 
Il y a quelques jours, nous recevions avec Christian Lafon, le fils et la fille d’une dame qui venait de mourir. Dans la conversation, sa fille nous dit tout à coup : « ma mère m’a laissé un trésor. Elle m’a dit : j’ai fait chaque jour ce que je croyais juste. J’ai essayé. Je sais maintenant que mes péchés sont pardonnés ; c’est Jésus qui les a enlevés, par sa mort, par sa résurrection. Je suis en paix. » Entre nous quatre, venait de se poser un petit coin de la beauté de l’amour que Dieu nous porte. La raison ne suffit pas à rendre compte de ces quelques mots. Chez cette femme, c’est la connaissance du cœur, comme disait Pascal, qui parlait ; cette intelligence de feu que l’Esprit saint réveille parfois dans notre chair. Ce n’est pas seulement l’émotion qui nous les a fait trouver belles. C’est le Père qui nous l’a donné.
 
Chacun de nous porte dans sa mémoire des moments de ce genre : dans les larmes d’une femme abandonnée, qui coulent soudain, enchâssées dans un sourire, comme une source nettoyée, qui coule à nouveau en elle. Dans le silence qui nous rassemble devant un coucher de soleil et que l’un de nous murmure : merci mon Dieu ! Dans la nouvelle d’une réconciliation inespérée, pour laquelle nous avions tant prié. Et tant d’autres choses, inscrites par le Seigneur dans notre mémoire.
 
… Des paroles vie éternelle venues dans notre chair. Je comprends mieux aujourd’hui ce que Pierre a dit : « A qui irions-nous ? Tu as les paroles de vie éternelle » Pas des paroles qui parlent, décrivent, expliquent ce qu’est la vie éternelle. Mais des paroles qui  révèlent, instaurent, nous installe dans la vie éternelle, maintenant. Comme un processus de la venue du Royaume de Dieu, où nous sommes pris, enlevés… quand vous verrez monter le Fils de l’homme, là où il était auparavant !
 
            En entrant maintenant dans la prière eucharistique, en communiant au pain et au vin, nous allons faire mémoire de la mort et de la résurrection du Christ Jésus. Ainsi s’accomplit pour nous la promesse que Dieu  a donné aux fils d’Israël. Josué dit aux tribus d’Israël, s’il ne vous plait pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir, le Dieu de vos pères, ou les dieux de ceux dont vous habitez le pays ? » Le peuple répondit : plutôt mourir que d’abandonner le Seigneur. C’est Lui qui nous a fait monter d’Egypte, cette maison d’esclavage ; c’est lui qui nous a protégés tout au long du chemin. »
 
La mémoire de la beauté et de la force de l’amour que Dieu nous porte est l’un des trois brins de l’A.D.N du peuple de Dieu. La foi est construite en nous par ce que Dieu nous donne et la mémoire que nous en gardons. Le second brin de cet ADN du peuple de Dieu est notre style de vie : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toutes tes forces, de tout ton cœur de toute ton intelligence et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et le troisième est notre destination véritable : c’est dans la lumière de Dieu, au soleil levant du Christ Jésus, que nous sommes attendus.
Voilà ce que nous vivons ici. Que la Paix soit avec vous.
Jean-Pierre Duplantier

Je suis le pain vivant / Jn 6 51-58 / l'homélie

« Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, en Lui ». Quelle est cette relation que le Christ demande, désire ? Que les juifs aient crié au fou et que beaucoup de ses disciples soient partis, n’est pas très étonnant. Prendre le repas comme moment de rencontre cela nous convient bien. Mais que la nourriture soit sa chair, cela déclenche chez nous d’abord une vraie incompréhension, et, secrètement, une réelle répulsion. Parce que la chair et le sang, dès qu’il s’agit de relation entre nous, c’est une vraie marmite où bouillonnent des choses contradictoires, des choses follement amoureuses, mais aussi des choses souvent horribles. Parce que la chair et le sang est une sorte de sanctuaire, intouchable et offerte en même temps.
 
De fait, la chair est en jeu dès que nous nous approchons physiquement les uns des autres. La chair est en nous un dispositif de réception et d’envoi et, en même temps, un réflexe de sauvegarde et un instinct de sauvagerie. Côté réception, elle se manifeste dans nos manières de voir, d’entendre, de sentir, de toucher, de suivre ce qui nous vient des autres. Côté envoi, elle désigne nos capacités de réponse à la demande des autres. Elle se manifeste dans nos manières de regarder, de parler, d’accompagner, d’aider, de soutenir, de partager et d’aimer. Côté sauvagerie, il y a une violence soudaine, le besoin d’écraser, de faire mal, d’éliminer l’autre. Non, chez les êtres humains, la chair ne peut être seulement de la viande.
 
Or, Dieu, notre Père, a envoyé sa Parole, son Fils bien aimé, dans la chair. Quelle est cette folie d’amour, ce désir d’y implanter sa ressemblance, et d’inscrire parmi les nations cette filiation totalement inattendue. 
 
Quant au sang, c’est presque encore plus redoutable.  Le sang n’est pas seulement un liquide qui transporte dans notre corps l’oxygène et tout ce qui est nécessaire à son fonctionnement. Il est aussi, et surtout, ce qui bat la chamade en nous ; ce qui nous donne des couleurs ou nous glace tout à coup ; ce qui pulse nos mouvements ou les arrête. Il est la vie en nous. Arrêter son flux sur nous-mêmes, l’enfermer dans l’image de moi-même, c’est mourir. Le verser pour ceux qu’on aime, c’est donner la vie.
Jésus a versé son sang pour la multitude en rémission des péchés. Par Lui, avec Lui et en Lui, la vie a englouti la mort. C’est le sang de l’alliance : il indique le projet commun qui nous rassemble dans le Christ. Quelle est donc cette aventure, dans laquelle il nous entraine ? De quelle nature sont les liens qu’il est venu tisser avec nous et entre nous ?

            Cette affaire prend une certaine urgence quand nous venons à la messe. Que faisons-nous à la messe ? A première vue, l’affaire est assez simple. A la messe, après avoir écouté sa Parole, nous faisons mémoire de l’offrande de Jésus à son Père pour nous, puis nous mangeons le pain et buvons le vin. Les choses nous arrivent donc par ce que nous connaissons de l’écoute d’un récit et du repas : écouter, manger et boire. Et c’est dans ce geste, à travers ce geste, que surgit  l’Esprit saint : Il dépose, en passant dans notre geste, ce qu’il veut, à savoir la présence du Corps et du sang du Christ. La messe n’est donc pas seulement un rite que nous faisons avec les autres selon la coutume de notre religion. C’est une action de Dieu dans laquelle nous sommes embarqués. Cette action nous échappe, tant dans notre corps que dans notre compréhension de ce qui se passe. La chair et le sang du Christ, son regard, sa façon d’écouter, de venir à nous se superpose à notre propre chair et à notre propre sang. Et cela sature complétement les idées ou les sentiments que nous pouvons en avoir.  Nous sommes saisis, habités, enlevés au-delà de nous-mêmes. Ce n’est pas la perception que nous en avons qui compte ; c’est son action, son énergie, son désir qui fait le travail ; il nous suffit d’être consentants.  
 
Puis nous sommes envoyés… Dans la dernière phrase de l’évangile que nous venons d’entendre, Jésus dit : « de même que mon Père m’a envoyé et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi ». Etre envoyé par son Père, c’est porter comme un fils le projet de son Père, son désir de faire de nous des femmes et des hommes qui portent sa ressemblance, dans sa chair, dans toutes les facettes de sa capacité d’entrer en relation avec les autres, de verser son sang au compte du projet commun du peuple de Dieu. 
 
Manger le pain et boire le vin c’est le geste qui est à notre portée. Etre nourri de sa chair et de son sang, c’est l’action du Christ : il plante sa tente chez nous ; il instaure en nous sa façon d’exister dans le monde selon le désir du Père, afin que nous devenions des témoins vivants de son œuvre.
 
Il existe dans la religion populaire des gestes qui peuvent nous aider à entrer dans cette action du Christ. Il y a des croyants qui touchent le rocher de la vierge à Lourdes, ou l’épaule de saint Jacques à Compostelle, ou le pied d’une statue de la vierge ou d’un saint dans une église. Nous pensons souvent que ces comportements religieux sont archaïques et pas très dignes de nous.
 
Mais en Argentine, par exemple, les églises disent de ces gestes que c’est « prendre grâce », s’agripper à la grâce de Dieu. Je n’ai pas dit «  rendre grâce », mais bien « prendre grâce ». Le pape François, le lendemain de son élection, est allé à la basilique Sainte-Marie-Majeur, dans la chapelle dite du « salut du peuple romain », et il a touché longuement l’icône de la vierge. Il a appris cette façon de vivre sa foi parmi les pauvres de Buenos Aires. Ce n’est pas du bois ou du plâtre qu’il a touché, mais à travers il a touché la sainteté de Marie. Il a pris grâce auprès d’elle. Et ceci n’est pas une spécialité d’Amérique latine, c’est au cœur de la foi catholique : la foi dans le Christ ressuscité est charnelle, incarnée, sacramentelle.
 
A la messe, c’est Jésus qui choisit le geste : manger le pain et boire la coupe. C’est ce que nous faisons matériellement, physiquement. Mais c’est Lui, le Seigneur, qui accomplit la rencontre. Il nous reste à mettre en pratique le principe de saint Paul : « m’efforcer de le saisir après avoir été saisi ». Apprendre à changer mon regard sur les autres, dans les occasions qui me sont données, devient alors une sorte de politesse à l’égard de Dieu, un respect amoureux du Christ. 
 
Ce n’est pas nous qui donnons une place à Dieu dans notre raisonnement et notre comportement dans le monde, c’est Lui qui nous fixe une place dans son œuvre. Et cette œuvre consiste à faire se lever parmi les nations un peuple selon le désir de Dieu. 
 
Nous avons appris à quoi se reconnait ce peuple de Dieu :
- D’abord, à sa mémoire. Faites ceci en mémoire de moi. Il ne s’agit pas seulement des souvenirs que nous avons de ce qu’a dit et fait Jésus, le Jésus de l’histoire, mais la reconnaissance de ce que fait Dieu, à travers sa création, l’histoire d’Israël et la vie, la mort et la résurrection du Christ, le Verbe de Dieu fait chair. Il s’agit de la mémoire vive du Christ ressuscité, agissant maintenant dans le monde.
- Puis, son style de vie : c’est là, dans nos comportements et nos paroles, que se montre la pratique de la chair et du sang du Christ, vers laquelle nous sommes enlevés comme témoins vivants : apprendre à regarder et à écouter les autres, comme le Christ les regarde et les écoute ; nous arrêter le temps qui convient auprès de celui que nous trouvons blessé, perdu, oublié sur notre chemin, comme l’a fait le bon samaritain ; pardonner ; travailler à maintenir la paix entre nous, et prier sans se lasser.
-         Enfin, son projet commun : espérer envers et contre tout dans ce rassemblement, à première vue impossible, auquel Dieu travaille depuis le commencement, et renoncer à limiter notre vie à l’horizon si souvent étriqué dans lequel nous nous sommes laissés enfermer.
C’est ainsi que le peuple de Dieu se nourrit de la chair et du sang du Christ, lui ressemble, et devient ce qu’il est : le corps du Christ. 
 
Et si vous avez besoin, comme moi, de vous accrocher à la main qu’il vous tend, ne ratez pas les occasions qui vous viennent de tel ou tel de vos frères, et profitez de ces moments de paix, de consolation et de joie profonde qui vous sont donnés, simplement parce que vous avez fait ou dit ce que le Seigneur vous a demandé et que vous vous en trouvez bien.
Jean-Pierre Duplantier

Homélie du 15 août


La fête de l’assomption de Marie nous offre des récits bibliques qui réveillent et questionnent en nous des zones tumultueuses de notre imaginaire : des forces extraterrestres envahissent notre espace. D’abord il y a une femme, avec le soleil pour manteau, la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête. Elle est enceinte et crie dans les douleurs de l’enfantement. Une sorte de reine fantastique, à admirer, à défendre. Devant elle, un dragon, rouge feu ; il a sept têtes et dix cornes ; sur chacune un diadème, l’insigne de son pouvoir de destruction ; il est posté devant la femme pour dévorer l’enfant dès sa naissance. 
 
Si la Bible utilise ce langage, c’est pour atteindre le fond de nos âmes, de nos peurs, et de nos rêves, tout ce qui est secrètement en désir ou en danger dans nos vies. Ce n’est pas de la superstition ou des terreurs archaïques. Bien sûr en Europe, et en France particulièrement, nous refoulons ces choses : notre raison ne supporte pas ce genre d’effraction dans la zone de notre maitrise de la vie et du monde. Mais la foi en Dieu et en son Christ, mort et ressuscité pour enlever le péché du monde, déborde, sature notre raison. Et Marie, et son assomption avec son corps dans le ciel, tient une place toute particulière dans cette irruption de la puissance de Dieu dans notre espace terrestre. C’est bien pour cela que la religion populaire, dont beaucoup chez nous se méfient, pousse des foules à aller toucher le rocher de la vierge à Lourdes, ou que nous bénissons les bateaux sur nos côtes aujourd’hui. 
 
Précisons un peu les choses : l’intervention de Dieu en Egypte pour en faire sortir le peuple d’Israël, la venue du Verbe de Dieu dans notre chair, pour que la puissance de sa vie engloutisse la mort, comme le dit saint Paul, sont bel et bien dans notre mémoire l’irruption d’un champ de force venue d’ailleurs, pour modifier et organiser autrement nos manières de voir, d’agir et de sentir. 
 
Tous ceux qui aiment regarder les films qui racontent des contacts entre notre planète et des visiteurs de l’espace, savent ce qu’est un champ de force : là où ils arrivent tout est troublé, en nous et entre-nous ; les envahisseurs s’infiltrent partout ; ils brouillent nos communications et détruisent nos centres de commandement. De même, ces jours-ci, les astronomes du monde entier ont les yeux rivés sur ce coin du ciel où la comète Tchouri entre dans le champ de force du soleil, pour en savoir plus sur ce genre d’événement. Oui, tout çà est en partie de l’imaginaire : nous avons vite fait d’en rajouter beaucoup. Mais notre foi en Dieu atteint cette partie de nous ; l’imaginaire est même une zone majeure de son Incarnation. Si nous voulons célébrer Marie, nous émerveiller d’elle et la prier vraiment, il vaudrait mieux de ne pas trop se tenir à l’écart de ce que porte d’invasif, de dérangeant, la mémoire du peuple de Dieu.
 
Quand Paul écrit : « Tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu notre Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute principauté, toute souveraineté et Puissance », de quoi parle-t-il sinon de la domination du champ de forces de Dieu sur l’organisation de notre monde ?
 
            Et Marie nous en apprend beaucoup sur ces choses-là. Le récit de la visitation nous en dévoile un moment majeur. Voici ce qu’écrit Christian de Chergé : « J’imagine assez bien que nous sommes dans cette situation de Marie qui va voir sa cousine Elisabeth et qui porte en elle un secret vivant qui est encore celui que nous pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle vivante. Elle l’a reçue d’un ange. C’est son secret et c’est aussi le secret de Dieu. Et elle ne doit pas savoir comment s’y prendre pour livrer ce secret. Va-t-elle dire quelque chose à Elisabeth ? Peut-elle le dire ? Comment le dire ? Comment s’y prendre ? Faut-il le cacher ? Et pourtant, tout en elle déborde, mais elle ne sait pas. D’abord, c’est le secret de Dieu. Et puis il se passe quelque chose de semblable dans le sein d’Elisabeth. Elle aussi porte un enfant. Et ce que Marie ne sait pas trop, c’est le lien, le rapport, entre cet enfant qu’elle porte et l’enfant qu’Elisabeth porte. Et ça lui serait plus facile de s’exprimer si elle savait ce lien. Mais sur ce point précis elle n’a pas eu de révélation, sur la dépendance mutuelle entre les deux enfants. Elle sait simplement qu’il y a un lien puisque c’est le signe qui lui a été donné : sa cousine Elisabeth… »
 
Il en est ainsi de notre Eglise qui porte en elle une Bonne Nouvelle ; il en est ainsi de chacun de nous. Nous sommes assez souvent un peu comme Marie, nous sommes venus d’abord pour rendre service, mais aussi, en portant cette Bonne Nouvelle, comment nous allons nous y prendre pour la dire… ? Et nous savons que ceux que nous rencontrons, ils sont un peu comme Elisabeth, ils sont porteurs d’un message qui vient de Dieu. Notre Eglise ne nous dit pas et ne sait pas quel est le lien exact entre la Bonne Nouvelle que nous portons et ce secret qui fait vivre l’autre. 
 
Mon Eglise ne me dit pas quel est le lien entre le Christ et cet adolescent que je ne comprends plus ; entre le Christ et ce voisin, un peu fruste, qui n’a pas la même culture, le même statut social ; entre le Christ et cet étranger qui cherche un logement ou qui fait la manche, entre le Christ et ce malade que je visite. Entre le Christ et ce musulman, ou ce juif, ou ce bouddhiste, ou cet incroyant. Et je vais vers ce frère, comme Marie vers sa cousine, sans savoir quel est ce lien.
 
« Et voici que, quand Marie arrive, c’est Elisabeth qui parle la première. Pas tout à fait exact car Elisabeth a entendu la salutation de Marie. Et ça c’est une chose que nous pouvons faire ! On peut dire la paix soit avec vous ! Et cette simple salutation a fait vibrer quelque chose, quelqu’un en Elisabeth. Et dans sa vibration, quelque chose s’est dit… qui était la Bonne Nouvelle, pas toute la Bonne Nouvelle, mais ce qu’on pouvait en percevoir dans le moment. D’où me vient-il que… l’enfant qui est en moi a tressailli ? Et vraisemblablement, l’enfant qui était en Marie a tressailli le premier. En fait, c’est entre les enfants que cela s’est passé cette affaire-là… Et Elisabeth a libéré le Magnificat de Marie. »
Finalement, si nous sommes attentifs et si nous situons notre rencontre avec l’autre à ce niveau-là, dans une attention et une volonté de le rejoindre, et aussi dans un besoin de ce qu’il est et de ce qu’il a à nous dire, vraisemblablement, il va nous dire quelque chose qui va rejoindre ce que nous portons, montrant qu’il est de connivence.
 
Là se découvre le champ de force de Dieu intervenant dans le petit coin de la planète que nous habitons. Dans notre rencontre avec notre frère, abordée comme Marie avec sa cousine, c’est le Verbe de Dieu qui prend chair, et nous y prenons la grâce ; je ne dis pas rendre grâce, mais prendre grâce. Ce qui veut dire le besoin où nous sommes de l’autre pour faire Eucharistie : pour vous et pour la multitude.
 
Saint Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. 
Jean-Pierre Duplantier

Le prophete Elie / 1Roi 19 / l'homélie

La Parole de Dieu qui nous est adressée aujourd’hui commence par le récit de la déprime du prophète Elie : « maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. » C’est quoi la déprime d’un prophète ? Il croit en Dieu, lui. D’accord il a des adversaires, et une en particulier, la reine Jézabel, qui veut sa peau. Mais il a un rocher auquel s’accrocher dans la tempête.
Il croit en Dieu. Justement c’est peut-être là le problème. Dieu, le Père, personne ne l’a jamais vu, comme dit Jésus. Bien sur Jésus est venu ; il est venu de Dieu et il le connait Lui. Mais Jésus est mort. Oui mais il est ressuscité et il est apparu à ses apôtres et à bien d’autre, en chair et en os. Oui, mais il nous a été enlevé. Alors, au bout du compte, quelle relation nous reste avec Lui et par lui avec son Père.
 
Nous aimons Jésus. En tout cas nous le voulons. Mais pour ce qui de ce que je ressens pour Lui, de ce que je vois ou entends de Lui, c’est pas joué. Combien de fois est revenue la souffrance de constater que nous ne savons pas vraiment ce que veut dire aimer le Seigneur. Où est donc un vrai sentiment à son égard ; une véritable écoute de sa Parole vive ? J’ai beau dire et redire, avec le psaume 21 : « o toi mon Dieu, toi qui demeures en la louange, ne t’en va pas loin de mon cri. Ne t’en va pas des mots que je rugis le jour et qui la nuit me laisse sans repos. Ne t’en va pas. Ne sois pas loin », … c’est long de guérir. Il y  tant de contrefaçons de l’amour inscrites dans ma chair. Il y a bien quelques moments d’apaisement, de fulgurance même. Mais quand donc s’installera à demeure en moi l’amour qui ne passe pas, celui qui a sa source en Lui ?
 
Combien de fois nous nous sommes agenouillés devant lui, pour le supplier de se manifester plus distinctement, de nous montrer plus clairement quel est son œuvre en ce moment, qu’est-ce qu’il demande au juste. Certes il y a bien un certain consentement à faire ce que me demande l’Eglise, comme un fidèle serviteur. Mais il faut bien interpréter ces demandes. Reviennent alors, inlassablement, nos habitudes, nos propres manières de voir, nos stratégies préférées, et nos points d’honneur, comme disait Thérèse d’Avila. 
 
Bref, la déprime d’Elie, je connais et je ne suis pas les seul. J’essaie de m’en protéger, mais il y a des jours où, avec tout le monde autour de moi, j’entends : mais où est-il votre Dieu ? il est parti en vacances.
 
La relation au Christ, c’est bien une affaire de cœur, d’avoir des yeux pour le voir et des oreilles pour l’entendre. C’est notre chair en somme qui est malade.
Saint Paul écrit : «  amertume, irritation, colère, éclats de voix, insultes, méchanceté, tout cela doit être éliminé de votre vie ». D’accord il ne faut pas attrister l’Esprit saint. Mais, bon Dieu, comment çà marche.
 
            Elie a eu un ange, qui a lui a porté une galette, en lui disant : « lève-toi et mange ! il est long le chemin qui te reste. Et nous qu’avons-nous ?
C’est en cet endroit de notre vie que vient la parole de Jésus : « moi, je suis le pain de la vie ».
… et il faut que je vous en dise quelque chose. Alors je me risque et que l’Esprit fasse son travail. 
 
En premier ceci : Jésus est la Parole de Dieu. Mais, comme le dit Jean en toutes lettres, la Parole de Dieu ne parle pas, elle ne fait pas de discours, elle devient chair, elle agit, elle soigne, elle restaure des liens, elle accomplit l’œuvre du Père : faire de nous le corps du Fils qui porte son image.
 
Ceci suffit à tracer notre route : d’abord nous mangeons le pain et buvons le vin, comme il nous a dit de le faire. Puis nous écoutons : lève-toi, il est long le chemin qui te reste. Et sa présence vient, quand il veut, comme il veut, dans ce qui nous arrive dans notre chair, en famille, au travail, en vacances, et la nature de nos liens, heureux ou difficiles, quelques soient les circonstances, amis, étrangers, chrétiens, juifs, musulmans ou autres, brillants ou paumés, riches ou pauvres. 
 
A nous apprendre d’avoir des yeux pour voir et des oreilles pour entendre les détails dans lesquels le Christ montre sa présence, sa miséricorde, la sienne. Un peu comme lors de l’Exode : le jour c’est la nuée qui conduit le peuple ; la nuée c’est-à-dire l’ombre portée de son intrusion dans nos relations, nos principes, nos habitudes. Cette ombre n’annonce pas forcément un orage, mais signale son passage. Et la nuit, c’est le feu qui conduit le peuple. Alors si dans vos insomnies, vos rêves fous ou vos cauchemars, le feu surgit, levez-vous, agenouillez vous, peut-être vous verrez le bras de Jésus sur les épaules de Jean, comme s’est sculpté sur le portail nord de notre cathédrale. Profitez-en.
 
Car il n’y a pas que des déprimes dans nos vies, il y a parfois des fulgurances, de jour comme de nuit, comme me disait l’une d’entre nous il y a quelques jours, des surprises venue du ciel, la lumière d’en-haut. Si vous vous en méfiez ou en avez peur, laissez-vous faire, une fois. C’est pas une affaire de sentiment de nous vers Lui, c’est son amour pour nous qui fait le déplacement. C’est sa chair qu’il donne pour la vie du monde.

Jean-Pierre Duplantier