Je
voulais faire une homélie qui serait un grand cri de joie, une
homélie exaltée qui proclamerait la victoire de la vie, le règne
de la lumière….
Et
puis, j’ai senti que quelque chose ne tournait pas rond, tout ce
que j’écrivais me semblait sonner faux, je n’étais plus très
sûr d’être vraiment dans ces phrases...
Comment
va-t-on crier notre joie dans un monde qui va si mal ? Dans un
pays si plein d’angoisses, contraints par cette pandémie qui n’en
finit pas ?
N’est-ce
pas artificiel de proclamer la victoire de la vie quand la mort
semble à l’œuvre partout ?
J’étais
donc dans une impasse, et, au fond, je crois que ça venait toucher
aux limites de ma foi.
Si
je vous dis tout ça, ce n’est pas parce que ma vie est
intéressante, mais parce que ça rejoint peut-être une impression
commune, particulière au temps que nous traversons.
C’est
l’évangile qui m’a tiré de là.
C’est
la fin de cet évangile, la toute fin, le dernier verset que, de
manière étrange, la liturgie ne voulait pas nous faire entendre
mais que j’ai rajouté :
« Elles
sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient
toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à
personne, car elles avaient peur. »
Voilà
la clef.
Elles
ont vu le tombeau vide, elles ont entendu le message, elles sont les
premières informées de l’événement, elles venaient trouver un
mort, on leur confirme un vivant, elles prennent de plein fouet
l’indescriptible joie…. Et elles repartent pétries de peur,
tremblantes et silencieuses.
Ce
n’est pas parce que nous croyons profondément à la réalité de
la résurrection, que nous sommes libérés de nos angoisses.
Nous
pouvons être sincèrement convaincus de la victoire de la vie sur la
mort, et trembler devant la mort.
Il
n’y a pas à avoir honte, cette faiblesse est inscrite dans
l’évangile lui-même : le silence et les tremblements de ces
femmes ressemblent aux nôtres….
La
joie de Pâques ne peut que dépasser notre entendement, elle ne peut
que nous dérouter, au fond, croire à la résurrection c’est le
grand rendez-vous de notre foi.
Être
désarmé par cette joie ne doit pas nous empêcher de l’affirmer
au cœur même de nos contradictions !
Le
Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité !
En
le proclamant dans ce monde tel qu’il est, dans notre monde malade,
nous ne faisons pas semblant, ce n’est pas du théâtre, ce n’est
pas de l’auto-suggestion… cette joie est possible en vérité
…
dans la foi.
Si
nous sommes sortis ce matin quand il faisait encore nuit, c’est que
nous fêtons la victoire de la lumière sur les ténèbres. Nous
fêtons la victoire définitive du matin.
Pourtant...
il y a la nuit
Le
soleil levant qui nous réjouit ce matin, dès ce soir, va se
coucher.
Dès
ce soir, deux hommes, sur le chemin d’Emmaüs, sentiront les
angoisses du soir qui tombe.
Dès
ce soir, nous-même, nous verrons revenir avec la nuit nos
préoccupations et nos propres angoisses.
Bien
sûr il y aura encore des nuits, bien sûr nous aurons nos
nuits.
Ce
matin n’est pas la négation de nos nuits à venir….
Il
ne les efface pas.
Il
n’efface pas la grande nuit du monde.
Alors ?
qu’est-ce que c’est que cette victoire ? Quelle est la
nouveauté ? Sur quoi repose notre Joie ?
La
pierre du tombeau est roulée ! Et celui qui était dedans est
désormais dehors !
Libéré
du tombeau, il habite nos nuits, il reste avec nous quand le soir
tombe.
La
grande nouveauté, ce qui fait que nous vivons un nouveau matin,
l’aube d’un premier jour, la possibilité d’une vrai joie,
c’est qu’aucune nuit désormais ne se vivra sans lui.
Dans
nos ténèbres, il descend
Dans
nos angoisses du soir, il nous rejoint
Dans
le très-bas de nos nuits, il nous précède
A
l’heure de notre mort, il est là.
…
dans la foi.
Qui
roulera la pierre de nos angoisses ?
Elle
est déjà roulée
Qui
roulera pour nous la pierre de nos échecs, de nos manquements, de
notre nullité ?
Elle
est déjà roulée
Qui
roulera pour nous la pierre de nos morts quotidiennes ?
Elle
est déjà roulée
Ne
lâchons pas ce dernier verset : « Elles ne
dirent rien à personne, car elles avaient peur »
Ça
nous dit : « ne vous inquiétez pas de vos silences !
Ne culpabilisez pas de ne pas être des héros ! »
Ces
femmes, témoins éblouies du matin de pâques n’ont pas réussi à
dire un mot de ce qui leur était demandé ! Et pourtant nous
sommes là ce matin ! 2000 ans plus tard !
Regardez
ces catéchumènes qui se présentent partout aux portes de nos
églises ? Sont-ils venus grâce à nous ? Non.
Sont-ils
venus parce que l’Église donne un spectacle séduisant de ce
qu’elle est ? j’imagine que non.
Ils
viennent parce qu’ils ont entendu que le Seigneur les précède en
Galilée.
Ils
viennent parce qu’ils ont vu de la lumière !
Le
Christ est ressuscité !
Il
est vraiment ressuscité !
Osons
nous laisser prendre par la joie
- Joie
d’être ici ce matin ensemble !
Souvenez-vous
l’année dernière
- Joie
de vivre l’évangile à l’heure de l’évangile !
De
finir la grande traversée de la nuit non pas pour aller se coucher,
mais pour sortir dans la lumière d’un jour nouveau !
- Joie
de célébrer dans une église construite à l’envers !!
Vous
le savez, normalement toutes les églises sont tournées vers le
soleil levant. Eh bien nous non ! A Gradignan nous avons la tête
à l’ouest et les pieds à l’Est.
Quelle
merveille !
Parce
qu’en sortant tout à l’heure, nous sortirons vers la lumière,
nous serons accueillis au monde dans le grand éblouissement du
soleil levant !
Pensez-y
quand vous sortirez tout à l’heure… prenez le temps de faire
face à la lumière.
Au
fond, tout ce que nous vivons ce matin dans cette église se trouvera
accompli à ce moment-là : le moment où l’on est mis dehors,
le moment où l’on se disperse dans le monde, porteur pour le monde
de la certitude que le Christ est ressuscité, signes pour le monde
de la Joie de Pâques, signes insignifiants comme l’étaient ces
femmes.
Que
cette lumière du matin s’inscrive en nous, pour qu’au temps de
la nuit, nous y puisions la Joie.
╬ Amen
Alleluia !
Sylvain,
diacre