Voici l'époux, sortez à sa rencontre / Mt 25 1-13 / Une homélie


J'ai bien eu du mal à méditer le texte d'Evangile d'aujourd'hui. A la première lecture il parait évident et en y regardant de plus près, il m'est apparu comme rempli d'incohérences.
Les jeunes filles sont invitées à une noce et elles s'endorment, on peut trouver cela curieux. Les jeunes filles dites prévoyantes ne veillent pas plus que les insouciantes, c'est curieux qu'elles dorment elles aussi. Les jeunes filles insouciantes n'ont plus d'huile, c'est comme si elles avaient laissé leurs lampes allumées pendant leur sommeil. Et d'où vient-elle cette voix qui crie : "Voici l’époux, sortez à sa rencontre ". Et la conclusion : "Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure." Les jeunes filles prévoyantes assistent à la noce alors qu'elles n'ont pas veillé.
Et le plus difficile pour nous les hommes, c'est que cette parabole nous invite à nous mettre dans la peau de dix jeunes filles. Habituellement, Jésus ne nous demande pas tant d'effort car le plus souvent il s'agit de serviteurs ou bien de vignerons. Donc pour souligner l'effort, dans la suite, j'emploierais le féminin au détriment du masculin.
Mais revenons au début, Jésus laisse ses consignes pour après son départ. La passion du Seigneur est proche, Jésus prépare ses disciples. Il les prépare à son départ. Il les prépare à son absence physique et déjà il les invite à entrer dans l'espérance de son retour. A noter, son retour est annoncé comme une noce.
Ce temps de l'espérance, ce temps de l'attente de son retour est le temps où les jeunes filles sont invitées à participer au royaume des cieux. Ce temps n'est pas un moment compliqué à passer c'est le temps de la préparation de chacun au retour du Christ. Et on va le voir, le Seigneur se montre compréhensif sur notre manière de l'attendre.
Les premiers temps de l'Eglise, après la Pentecôte, tous croyaient le retour du Christ très proche. C'est un temps d'effervescence spirituelle, c'est le temps des actes des apôtres, c'est le temps des lettres de Paul. Mais depuis, on s'est habitué à l'absence du Christ, on s'est habitué à attendre alors on baisse la garde et on ne veille peut-être pas autant qu'il est nécessaire. Et même, on peut s'interroger pour savoir si nous croyons au retour du Christ, mais n'allons pas trop vite, je suis un peu insouciante.
Deux mille ans que Jésus est mort et ressuscité. Et bien c'est pour cela que Jésus nous adresse cette parabole. Car nous sommes bien les destinataires de cette parabole, nous les jeunes filles du deuxième millénaire. C'est de notre temps dont il parle. Car qu'on soit prévoyante ou insouciante, Jésus sait que la force de veiller nous manque. Qu'on soit prévoyante ou insouciante, à un moment ou à un autre, nous nous endormons, oubliant de veiller, de scruter au loin l'arrivée de l'époux.
C'est ainsi que Jésus exprime la miséricorde de Dieu. Le Seigneur dit à chacun de nous : tu m'oublies, d'autres priorités occupent ta vie, alors j'envoie quelqu'un t'avertir du retour de l'époux, et ce quelqu'un va crier fort, "IL ARRIVE", et ça va te secouer, ça va te réveiller, que tu sois prévoyante ou insouciante.
Et nous pouvons bien nous reconnaitre dans les jeunes filles insouciantes. N'ont-elles pas allumé trop tôt leurs lampes et consumé de l'huile pendant leur sommeil ? Ne sont-elles pas un peu trop démonstratives ? Ne cherchent-elles pas à paraître devant le monde plus qu'à enraciner l'appel qui leur est fait dans leur cœur ?
"Le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux." Nous y sommes. Le royaume des cieux est comparable à dix jeunes filles. Nous sommes de ces dix jeunes filles. Nous sommes dans le temps où le royaume des Cieux vient. Et ce temps c'est le temps de l'absence et le temps de l'attente. Ce temps durant lequel, il est tentant d'oublier celui qui nous crée, celui qui nous fait vivre.
Mais c'est aussi le temps de la nourriture de l'Eucharistie pendant lequel le Christ se sacrifie pour nous.
C'est aussi le temps de la nourriture de la parole durant lequel Dieu nous rejoint dans notre chair.
C'est aussi le temps du pardon auquel nous invite le Seigneur.
C'est aussi le temps de la prière, de la louange, de l'expression de notre gratitude vers celui qui fait tant pour nous.
En fait, c'est le temps pour faire le plein d'huile.
C'est le temps pour nous préparer et c'est aussi le temps du combat contre la tentation.
Cette année, nous allons particulièrement réfléchir à ce combat contre la tentation. Car c'est pour le temps de l'avent que la prière du Notre Père évolue.
Nous ne dirons plus « Ne nous soumets pas à la tentation », mais « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Cette modification du sixième verset du « Notre Père » entrera en vigueur le dimanche 3 décembre, comme l’ont décidé les évêques de France réunis à Lourdes en assemblée plénière le printemps dernier.
[Demain,] ce seront les enfants du catéchisme et les jeunes de l'aumônerie qui vont nous apprendre ce nouveau notre Père.
Ce sont eux qui vont nous aider à prendre un peu d'huile pour le chemin avec l'époux.
Amen !
Dominique Bourgoin, diacre.

Au risque de la Parole / Mt25 14-30 / Une homélie


« Il est où le bonheur, il est où ?» (Christophe Maé)
Je ne prétends pas que par cette homélie je puisse vous donner une réponse à cette question.
Les textes proposés par l’Eglise nous font faire comme un grand écart entre des paroles de Bonheur et « les pleurs et les grincements de dents ».
Dans le psaume que nous avons prié (ps127) les mots « heureux », »bonheur »,  « bénie » s’y répètent. Quant aux images, elles évoquent ce que l’on peut rêver de mieux sur terre ; l’assurance de la subsistance, la paix dans la ville, la paix dans la maison etc…
Même message dans le livre de Proverbes où l’auteur rédige ce qu’on pourrait appeler les deux béatitudes de la femme : »Heureuse est tu toi qui aimes et sers le Seigneur (crains) » et encore «  Heureuse es-tu, avec tout ton travail humble, tu crées le bonheur ».
C’est simple, non ? Quoi dire de plus….Ces textes nous orientent vers les questions du rapport entre notre foi et la recherche du bonheur dans la vie des hommes. Mais nous nous trompons si nous en restons là. La parabole rapportée aujourd’hui par Matthieu nous est si bien connue que spontanément on pourrait qualifier cet évangile d’éloge du profit. Il vanterait en effet les astucieux gérants de portefeuilles. Il inviterait au rendement maximum
Mais nous ne sommes pas ici en présence d’un plan de développement, mais d’une révélation en vue de « la venue du Seigneur ». Ce temps de la venue du seigneur c’est aujourd’hui.
La parabole est construite sur les rapports d’un maître et de trois types de serviteurs.
Quelque chose du maître est « confié » ( confiance) à chacun des serviteurs dans l’attente de son retour. Confiance du maître. A l ‘époque de Jésus un talent est un capital important, un lingot d’or qui vaut trente années de salaire : quasiment toute une vie.
Dans la construction de la parabole vous avez sans doute été frappés par la répétition, presque mots pour mots de la façon dont les deux premiers serviteurs ont fait fructifier ce qui leur était confié, selon la capacité de chacun, et comment au retour du maître ils étaient invités à entrer dans la joie du maître. Voilà le bonheur!!
Les deux premiers serviteurs ont fait fructifier les dons reçus du maître ; Ils ont géré les biens confiés comme s'ils étaient leurs biens.
Ce qui nous pose problème et nous interpelle c’est ce qui est raconté à propos du 3e serviteur.

Pour celui-ci l’argent du Maître est au Maître qu’il s’en arrange. Il pense n’avoir rien à voir avec cet argent. Et ce qui le bloque c’est sa relation agressive par rapport au Maître. SA PEUR. Il s’est laissé enfermer dans un sentiment de peur, car il a porté sur son maître un regard de défiance. Il s’enferme dans le » je sais ». » je savais que tu es un homme dur ; tu moissonnes là où tu n’as pas semé. » aussi n’ai-je pris aucun risque, et je me suis bien gardé de m’occuper de tes affaires. Certes les mains de cet hommes sont restées propres, mais elles sont aussi restées vides car même le talent confié lui sera enlevé.
S’occuper des affaires de Dieu, pourrait être une des questions que soulève cette parabole.Jésus la propose peu de temps avant sa passion. Il va en effet partir et confier à ses disciples et à leurs successeurs la mission de poursuivre l'oeuvre du Père. Aujourd'hui nous sommes en Eglise les dépositaires de cette mission.
Quel regard portons nous sur Dieu ? C’est notre regard sur le Seigneur, qui conditionne notre engagement.
La confiance fait oser et entreprendre, se dépasser. Sommes-nous actifs ou inactifs ?
« Endormis ou vigilants » comme nous y invite St Paul dans la 2e lecture.
Comment nous risquons-nous dans les affaires Seigneur au contact avec la Parole, en acceptant que cette parole nous interroge et peut être nous bouscule, sans nous enfermer dans ce que nous croyons savoir, à propos du Maître.

Voilà plusieurs dimanches que les paraboles nous parlent d’un dedans et d’un dehors. Dans celle d’aujourd’hui, le retrait de l’unique talent du 3e serviteur vient consacrer sa séparation avec le Maître.Il est voué au dehors «  la où sont les pleurs et les grincements de dents ». il a perdu le bonheur. Cette séparation est sans doute nécessaire et même salutaire.
Les grincements de dents seuls pourraient être le signe d’une colère contre ce Maître dur et exigent. Associés aux pleurs ces grincements ne seraient-il pas aussi, une colère contre lui- même au moment où il découvre ce qu’il a perdu… et où la séparation lui révèle la vérité à propos de ce maître. Ces pleurs ne sont-ils pas le premier signes de la conversion et d’un changement de regard. Une possibilité de retrouver le bonheur de la relation.
Dans cette parabole Jésus nous place dans le mouvement de sa venue. Ici rassemblés nous sommes un lieu privilégié de cette venue. Mais nous ne sommes pas rassemblés pour garder jalousement un dépôt, celui de notre foi (Credo) comme on garderait un beau et riche trésor dans un musée. Nous sommes convoqués pour nous occuper des affaires du Seigneur partout, où nous vivons, travaillons, luttons, aimons. Le seigneur nous demande de gérer le trésor de la Parole de Dieu, il faudra savoir prendre des initiatives pour qu'elle porte du fruit.
Nourris de la Parole et du Corps et du sang du Christ nous sommes non seulement les témoins de sa résurrection mais aussi les artisans de la joie du Maître pour tous les humains.
Tâche exigeante aujourd’hui, pour laquelle nous demandons que soit renouvelés les dons venus du Seigneur que nous allons recevoir dans le sacrement qui nous unis ce matin..

Robert Zimmermann
(Photo : trésor enterré à Cluny,  retrouvé en novembre 2017)

Ne vous faîtes pas appeler... / Matthieu 23 1-12 / Une homélie

Quelle est la cible de Jésus dans ce texte ?
On pourrait répondre assez vite : les scribes et les pharisiens, c'est à dire les religieux, les garants de la Loi divine... ceux qui se sont assis sur le fauteuil de Moïse comme dit le texte.
On a alors vite fait de faire de cet évangile une sorte de brûlot anti-clergé : « regardez-les, ils disent mais ne font pas, ils font tout pour faire les malins devant la galerie, pour se payer de titres et de privilèges, ils seront bien attrapés quand ils seront rabaissés ».

C'est une lecture. Elle n'est pas à négliger.
Si elle peut secouer un peu les clercs sur leurs pratiques et leurs motivations, elle n'est peut-être pas inutile (et je rappelle que les diacres font partie du clergé).

Mais c'est un peu court. Des détails dans le texte rendent cette affaire plus fine qu'une simple charge contre les élites religieuses.
Au début, on entend quelque chose comme « faites ce qu'ils disent, pas ce qu'ils font »

En effet, les scribes et les pharisiens sont porteurs d'une parole qui est juste et vraie, parce qu'elle ne vient pas d'eux. C'est le siège de Moïse qui dit la justesse de leur parole. C'est le lieu d'où ils parlent qui légitime leur parole.
C'est très beau cette histoire de siège, parce que ça dit qu'on peut asseoir n'importe qui sur le siège de Moïse, le siège est plus important que l'homme, la fonction dépasse l'homme.

Mais déjà quelque chose est perverti chez eux, quelque chose qui n'est pas réservé aux religieux : c'est l'usage qu'ils font de la loi.
Ils la transforment en lourd fardeau pour les autres. En appeler à la loi pour courber le dos de l'autre, notre monde ne cesse de le faire, nous-même ne cessons de le faire, parfois sans même nous en apercevoir, à coup de « il faut, il ne faut pas », « c'est permis, c'est interdit »...

Et voilà que Jésus s'adresse à nous directement :
- Ne vous faites pas appeler Rabbi
- N'appelez personne Père
- Ne vous faites pas appeler maître ou guide
 
La cible de Jésus dans ce texte, ce pourrait être alors l'usage que nous faisons tous de la parole... Il semble pointer un écart de vérité entre les mots et les choses... et sur ce terrain, nous sommes à nouveau tous convoqués, ce n'est pas seulement une affaire de religieux.
Méfions-nous de comment nous nous désignons, de comment nous nous appelons, ou nous nous faisons appeler. Méfions-nous de l'étiquette que nous collons sur le bocal...
Le bocal et ce qu'il contient importent peu, le danger pour nous, c'est ce que nous écrivons sur l'étiquette.
C'est le mot sur l'étiquette qui est empoisonné !
(...)
● Méfions-nous des mots... En multipliant des Rabbis à volonté, on remplace la fraternité par la mondanité...
L'Eglise aujourd'hui est malade d'un usage mondain de la parole.
Il est des lieux d'Eglise où l'on devrait plus souvent faire l'économie de se donner du « frère » sur tous les tons quand on a oublié l'enjeu d'un tel mot.
Peut-être devrions-nous être un peu plus prudents quand on fait de « disciple-missionnaire » un slogan ou un titre dont on voudrait à toute force se prévaloir... est-ce qu'on oublie que le Christ lui-même ne nous appelle plus « disciples » mais « amis » ? est-ce qu'on oublie que personne ne se donne une mission à soi-même, mais que nous avons toujours à la recevoir d'un autre ?

● Méfions-nous des mots... ne mélangeons pas les pères ! Nous sommes parfois un peu rapides pour nous créer des pères, pères biologiques, pères symboliques, pères spirituels...
Et si j'assoie un de ces pères dans les cieux, je suis en danger.
Si j'oublie que c'est de notre père qui est aux cieux que je reçois la vie, je suis aussi en danger.
Enfin si j'appelle un prêtre « Père », c'est parce que je lui reconnaît une vraie fécondité spirituelle... pas parce que c'est un titre honorifique.

● Méfions-nous des mots... si je multiplie les guides et que je me fais moi-même guide, je renie le Christ, le seul qui soit vraiment digne d'être guide, parce-que c'est le seul qui m'aime, en vérité.

- Le plus grand parmi nous qui devient notre serviteur, c'est lui
- Celui qui s'abaisse pour être élevé, c'est lui

Rendons grâce à Dieu qui nous fait « accueillir la parole pour ce qu'elle est réellement, non pas une parole d'homme mais la parole de Dieu qui est à l'œuvre en nous »(1Thé2 13)

╬ Amen
Sylvain, diacre
Photo : Rocher suspendu dans l'église des jésuites de Vienne. « to be in limbo » 2015 Steinbrener/Dempf & Huber