Lorsque dans la première lecture, Josué demande aux douze tribus d’Israël quel est le Dieu qu’ils choisissent, tout le peuple se range du côté du Dieu qui les a fait monter d’Egypte. Mais quand Jésus parle d’un corps, dont il est la tête et nous les membres, et que pour y prendre part il faut en passer par manger sa chair et boire son sang, tout le monde s’en va. Ce n’est vraiment pas ce que le peuple attend. Sauf pour les Douze, cette sorte de reste qui assure la maintenance de la structure des douze tribus d’Israël.
Qu’est-ce qui bloque ?
Pierre commence à l’entendre: « tu as des mots de vie éternelle ». C’est bien de cela qu’il s’agit : Jésus est vraiment homme et vraiment Dieu. Il parle le langage des hommes, il agit comme un homme, excepté le péché, mais c’est la Parole de Dieu qui se manifeste et sa puissance d’engendrement. Tout comme un homme, excepté le péché ; c’est çà qui bloque : le péché.
Le chemin de cette affaire mystérieuse de la condition humaine est raconté dans la Bible et nous la connaissons bien. Il y a dans l’homme, au commencement, ce que Dieu y a semé, dans son jardin : sa Présence, sa Parole, son amour, sa puissance : il nous a créé à son image. Mais ce qui apparaît en premier c’est qu’il y a du serpent entre nous. La semence de Dieu est toujours là, mais elle est encore enfouie, malmenée, déniée. Comme le serpent, l’homme se retrouve avec une langue fourchue ; comme le serpent, il rampe sur la terre, comme si c’était son plaisir de rester coller à cette terre ; il se dresse aussi comme s’il allait tout dévorer ou du moins le faire croire ; et son regard hypnotise, prend le contrôle de l’autre, le séduit, le fige, en fait sa chose.
Ce qui bloque est là, dans la condition humaine : dès qu’il ouvre les yeux, les oreilles et les mains, la convoitise s’affiche : tout ce qui passe à sa portée, il cherche à le saisir, à s’y lover, à l’étouffer et le digérer. Dieu s’est retiré de lui, et çà lui fait un grand vide, et Il lui faut combler ce vide, vite, et complètement. Mais, dès ce moment, il fait l’expérience que tout ce qu’il touche, qu’il met à la bouche, qu’il pense dans tête, qu’il embrasse avec ses mains et qu’il explore avec ses pieds, se révèle mal assorti à la présence qui lui manque. Il se retrouve seul.
Dans le livre de la Genèse, le premier traitement que Dieu offre à l’humain, c’est une « aide qui lui assortie ». Et, jusqu’au bout de la route, cette relation de l’homme et de la femme, sera un fil conducteur majeur, pour venir au Christ ou non, pour laisser venir en lui la vie éternelle, ou non.
Dans notre expérience, ce sont nos contradictions qui nous mettent sous le nez la réalité de notre condition humaine. Nous n’en finissons pas de comparer, d’opposer les choses, les idées et les gens. Chaque jour se lèvent en nous des oui qui ne sont pas oui, et des non qui ne sont pas des non. Au plus profond de nous, les choses se nouent et se dénouent sans cesse.
C’est dans la tête ou dans le cœur que çà se mélange et s’affronte ? Non ! selon Jésus c’est dans la chair. Et c’est là que Dieu l’envoie : la Parole de Dieu s’est faite chair en Jésus-Christ. C’est par Lui, avec Lui, en Lui, que nous pouvons revenir au Dieu qui nous connaît. Dieu aime la chair des hommes et Jésus mange avec les pécheurs. Il maintient dans notre chair l’espace pour l’accueillir.
C’est cela qui éclaire la façon dont Jésus s’y prend avec nous. Il nous révèle les contradictions qui ont pris pension chez nous et entre nous. Avec les paraboles il nous fait constater combien notre raison est soumise à des tensions entre le vrai et le faux. La raison est une capacité divine de mettre en ordre, de prévoir, d’expérimenter une voie dans tous les hauts et les bas, de notre existence ; mais elle se crispe ; elle ne supporte pas ce qui est contradictoire ; elle résiste à se laisser conduire au-delà d’elle-même. Avec les guérisons, Jésus nous fait constater combien nos passions aussi sont désordonnées et nous mettent dans des états pas possibles. Avec sa mort, il nous fait constater notre condition de grandeur-misère, de fragilité et de désir d’infini. Avec sa résurrection, Jésus devient le tourment de notre avenir : allons-nous le suivre ou non, si loin…
Beaucoup ont voulu renoncer aux passions, pour devenir des dieux, impassible, immuables ; d’autres ont voulu renoncer à la raison, pour devenir des hommes bruts de décoffrage. Mais ni les uns, ni les autres, n’y arrivent : les passions sont toujours vivantes même chez es religieux et la raison se réinstalle en force même chez les libres-penseurs. Jésus ne choisit ni contre les passions, ni contre la raison, il vient dans notre chair et fait de ce vide au milieu de nous, un lieu habitable par nous et habité par Lui.
Comment le Christ y vient-il ?
En premier lieu, ce n’est pas une décision de notre part, ni une saisie à force d’entrainement spirituel. Le Dieu de Jésus-Christ n’est pas un objet, une chose ou une explication globale définie une fois pour toutes. Il est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de la visite, de la rencontre. Il vient dans le cours de nos vies, à travers nos relations avec les autres, ce qui s’y découvre, ce qui s’y trouve déchirée aussi, à travers les façons inattendues, souvent rudes, parfois merveilleuses, dont les forces de la nature ou de notre environnement social nous secouent, nous délogent de nos acquis.
En second lieu, notre jardin secret est équipé d’origine pour cette rencontre. L’homme qui accueille cette visite en entrant dans sa chambre et en fermant la porte un moment, y trouve un chez soi habité par le souffle de l’Esprit, la présence du Christ et l’amour du Père. Loin de l’enfermer sur lui-même, cette présence l’ouvre à une communion inconnue : il appartient à un corps plein de membres, qui pensent et agissent parce qu’ils sont aimés du Christ.
C’est ce que nous vivons maintenant ici : en nous donnant sa Parole, il nous ouvre les yeux, et les oreilles et les mains et lave nos pieds. En nous faisant passer réellement du pain et du vin que nous connaissons à son corps et à son sang, il transforme notre chair, il nous rassemble dans un même corps, le sien.
Ce n’est pas un rite, c’est un événement à la taille de la création de Dieu. Que l’Esprit saint nous y conduise dans la paix.
Jean-Pierre Duplantier
26 août 2012
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