En Esprit et Vérité / Jn 4 / Une homélie

Il est midi et Jésus a soif.
Il a soif et ses disciples sont allés chercher à manger.
Voilà donc Jésus seul dans sa soif et personne pour répondre à son manque.

(...)
La soif, c’est la grande figure du désir
La soif c’est l’expression du manque et le désir est manque
On ne peut désirer que si un vide se creuse en nous. Comment désirer si il ne nous manque rien ?
Cette femme vit sa soif comme une corvée.
Elle n’en peut plus de désirer, elle n’aspire qu’à une chose : ne plus avoir soif
« Donne-moi de cette eau que je n’ai plus soif »
Sa vie amoureuse est l’expression du désordre de sa soif, d’une vie de désir qu’elle ne semble pas maîtriser et qui l’épuise… elle accumule les hommes comme elle vient puiser l’eau du puits : c’est la corvée sans cesse recommencée, la répétition sans joie qui ne comble jamais le désir.

Mais ce n’est pas encore fini, il faut descendre encore avec elle plus profond dans le puits.
Voilà que se révèle la grande question de cette femme, son vrai grand désir, sa soif la plus intime : « Où est Dieu ? »
« Où doit-on l’adorer ? »
« Les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité »
Ce lieu porte un nom double : Esprit et Vérité

Il y a dix jours, j’étais en Italie au moment où les églises commençaient à fermer à cause du virus.
Les gens étaient profondément déstabilisés. Pas seulement dans leurs habitudes et leurs pratiques mais dans quelque chose de très intime de leur foi.
Aujourd’hui, nous avançons nous-même vers une situation très semblable.
Aujourd’hui nous vivons des restrictions, demain peut-être vivrons-nous le manque complet (je ne l’espère pas mais c’est tout à fait possible)*.

Les questions entendues en Italie il y a dix jours seront alors les nôtres, elles le sont déjà en partie :
- Comment fera-t-on pour célébrer le Seigneur si les églises sont fermées ?
- Va-t-on nous refuser l’accès au lieu de sa présence ?
- Va-t-on nous tenir éloignés de Lui au moment où nous en avons le plus besoin ?

Et pour certains, voilà que pointe une grande colère :
- « nous n’avons plus assez de foi pour croire que le virus ne nous atteindra pas dans une église ! »
- « Nous devrions avoir honte d’avoir si peu de foi pour penser que l’eau du bénitier peut nous transmettre une maladie ! »

Et si ce moment étrange et douloureux était le moment pour interroger nos pratiques ?
Et si c’était l’occasion d’interroger notre foi ? d’interroger notre soif ?
Notre désir de Dieu ?

On peut attraper un virus dans une église.
Simplement parce que nos corps sont proches… l’église n’est pas un lieu magique.
C’est le lieu du rassemblement, c’est la salle commune.
Un microbe peut se balader dans l’eau du bénitier.
Parce que ce n’est pas de l’eau magique.
Cette eau n’est bénie que pour notre foi, le virus lui, ne croit en rien… pour lui, cette eau c’est simplement de l’eau… il peut y nager en toute tranquillité.
Ne culpabilisons pas !
Ne condamnons pas trop vite notre supposé manque de foi !
Nous devons nous protéger et protéger les autres, et nous devons croire ! Et il ne faut pas tout mélanger.

Il y a un lieu pour adorer
Un lieu qu’aucun virus ne peut pénétrer
Un lieu dont personne ne peut décréter la fermeture
Un lieu que ce temps peut raviver en nous
Ce lieu, c’est « esprit et vérité »

Jésus a soif et les disciples sont aller chercher à manger
Jésus a soif et les disciples lui disent « viens manger ! »
Les disciples n’ont rien compris au manque de Jésus.
Ils n’entendent pas le désir de Jésus.
Ne soyons pas comme eux.
(...)

Que ce temps de carême tellement étrange cette année, marqué de cette antique crainte, soit l’occasion pour nous de retrouver l’adresse où Dieu habite : « Esprit et Vérité ».
Marchons sans craintes, dans les jours et les semaines à venir, n’oublions jamais que si nous sommes en « esprit et vérité », où que nous soyons, nous sommes chez Lui.
Plutôt que de nous lamenter sur ce que, pendant un temps, nous ne recevrons plus, inquiétons-nous de ce que nous ne lui donnons pas.
Prions pour que nous sachions lui donner l’eau qu’il nous demande.
Amen
Sylvain, diacre
*homélie rédigée avant le 15 mars et prononcée seulement le samedi 14

Nous ne pouvons en rester là / Mt 17 1-9 / Une homélie

L’histoire sainte nous a conduit au Sinaï, au désert et aujourd’hui sur la montagne, où Jésus monte avec Pierre Jacques et Jean. Le Thabor c’est la montagne de la splendeur, de l’éblouissement, de la métamorphose.
Les hommes du Sinaï et de l’Horeb entourent Jésus.
Moïse, qui dans le fracas de l’orage est entré dans la nuée pour recevoir la loi et sceller l’alliance, et Elie dont la rencontre avec le Seigneur fut un subtil silence, le bruit d’une brise légère, un souffle fragile. Et les trois apôtres sont là ils ne savent pas pourquoi. Ils avaient tout quitté pour suivre Jésus.
Au long des mois passés avec lui sur les routes de Palestine ils l’ont vu vivre, avec eux, comme eux, comme un homme. Parfois ils ont pris conscience du mystère de leur maître, au prix de conversions successives parfois éphémères ou de quelques reniements, mais comme Pierre l’a exprimé peu avant ils ont reconnu qu’il était le Christ, le messie.
Mais voilà que Jésus les bouscule, les déboussole en leur annonçant sa passion et sa mort.
Là sur montagne la vision qui leur est offerte est troublante. 

« Le visage de Jésus devient brillant comme le soleil et ses vêtements blancs comme la lumière. »

La face de Jésus, ses vêtements, son corps lui- même devient lumière, il est la lumière.
Jésus éclaire Moise, la loi et Elie, les prophètes.
Nous pensions que ces deux personnages étaient présents pour attester que Jésus est bien celui que les Écritures annoncent. Nous sommes obligés aujourd’hui de faire une lecture différente. Celui que les Écritures annonçaient, illumine de sa propre clarté la loi et les prophètes qui l’annonçaient.
C’est clair, tout est en ordre, que demander de plus, restons-en là

« Il est heureux que nous soyons ici je vais dresser trois tentes une pour toi, une pour Moïse une pour Elie »

Nous le comprenons bien Pierre, nous qui sommes si souvent tentés d’en rester là.
Nous sommes si bien ici ensemble à contempler et louer notre Dieu, si loin des bruits de la ville et du monde. En ces temps que nous vivons ou nous sommes nous-même déboussolés, perturbés, angoissé : épidémie certes, mais aussi violence, tensions sociales, incertitudes et où même certains événements récurrents au sein de l’Eglise nous déboussolent.
Oui nous sommes si bien ici. Restons-en là
Mais la bonne nouvelle n’en reste pas là.

« Il parlait encore lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre »

La nuée bien que lumineuse les plonge dans l’ombre, elle les aveugle et les prive de vision.
Ils sont tous les trois face contre terre et ils sont saisis d’une grande frayeur (comme les bergers la nuit de la nativité.) Dans la nuée qui vient interrompre leur installation plus rien à voir mais une parole à entendre.

« Celui-ci est mon fils bien aimé, en qui je trouve ma joie, écoutez-le !
Répétition de la Parole du Père au moment du baptême de Jésus par Jean le Baptiste. Mais cette fois-ci cette parole semble s’adresser aux trois apôtres. Pour eux et à travers eux pour l’humanité et donc pour nous, est révélé le lien unique entre le Père et le Fils.
Dans ce Jésus qu’ils pensaient connaître surgit une figure nouvelle, celle du Fils.
Et voici les trois apôtres définitivement impliqués dans l’aventure de Jésus. « Ecoutez le » Ils vont avoir à écouter et à suivre dans une confiance aveugle ce fils bien-aimé qui va entamer sa marche vers la mort.

Le carême est un des temps d’écoute que l’Eglise nous offre.
Ecouter c’est bien plus qu’entendre. Ceux qui pratiquent une écoute vraie, sincère, par fonction ou par nature, savent ce qu’elle demande en disponibilité, en dépouillement de soi, en empathie profonde.
Je témoigne qu’écouter transforme celui qui écoute. Ici il s’agit d’écouter le Fils, je le rappelle.

« Jésus s’approcha les toucha et leur dit relevez-vous et n’ayez pas peur »
Par ce geste et ces paroles il les réintroduit dans la vie ordinaire. Où il leur faudra écouter.
Dans quelques temps quand Pilate présentera Jésus en disant « Voici l’homme » il se souviendront en voyant Jésus défiguré sur la croix de Jésus transfiguré sur la montagne.
Dans sa transfiguration Jésus ne révèle-t -il pas la vérité sur l’homme ?

La face et le corps lumineux de Jésus projettent sur nous l’éclat de notre vocation de fils de Dieu, au-delà de tout ce qui brouille ou défigure l’image de Dieu en nous. Nous sommes si souvent des miroirs déformants où il devient impossible de reconnaître Dieu.

Nous ne pouvons pas nous installer et en rester là. Comme Abraham dans la première lecture nous sommes appelés à quitter notre zone de confort. Et dans la lettre a Thimothée Paul le dit à sa façon : « Fils bien aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Evangile ? »

Rappelons-nous, nous sommes la lumière du monde, car en nous est la lumière divine.
C’est notre mission de faire entrevoir et grandir la lumière en tout humain, même dans les ténèbres qui parfois nous envahissent. Dans toutes les situations et tous les lieux où il s’agit d’aimer, de servir de rencontrer les autres pour le partage, la solidarité, la fraternité. Dans tous les combats que nous avons à mener. Nous ne pouvons en rester là.
Si le carême est chemin vers croix il est aussi chemin vers la lumière de Pâques.

Redescendons de la montagne, faisons silence, pour entendre la Parole qui nous éclaire et transforme.
Et Rendons grâce à Dieu pour cette Eucharistie qui nous unit à la divinité de celui qui a pris notre humanité et qui illumine notre être et nos chemins humains.

Robert Zimmermann, diacre