Si quelqu’un guérit un homme en mon nom / Marc 9 38..48 /Une homélie de JP Duplantier



Il nous arrive parfois d’être fier de l’Eglise, de la façon dont Jésus-Christ nous montre la force et la beauté de son amour pour le monde. Ce que nous offrent  les textes que nous venons d’entendre nous invite aujourd’hui.
 
D’abord, il y a le rêve de Moïse. L’Esprit s’est posé sur les 70 anciens qui étaient autour de lui. Mais deux hommes n’étaient pas là. Ils étaient dans le camp. Et l’Esprit s’est posé sur eux aussi. Quelqu’un prévient Moïse, « ils n’ont pas le droit. Arrête-les » Et Moïse répond : « ah ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur tout son peuple. » 
 
Avec ses disciples, Jésus se trouve dans une situation semblable. Pour eux, Jésus est le centre d’une nouvelle réorganisation et pacification du monde. Si quelqu’un guérit un possédé en son nom, alors qu’il n’est pas du groupe, il faut l’arrêter. Il n’a pas le droit. Jésus répond : « si quelqu’un guérit un homme en mon nom, il ne peut pas, juste après, mal parler de moi. » Question : est-ce que l’énergie de Jésus peut se manifester dans une personne ou un groupe qui n’est pas pratiquante, ni même chrétienne. Chez un musulman, un hindou ou un agnostique, par exemple ?  Qu’est-ce donc qu’agir en son nom ?
 
Dimanche dernier déjà, Sylvain nous a montré comment ce chapitre 9 de st. Marc, nous en parle. Il appelle un enfant, il l’embrasse et le place au milieu des disciples. Puis il dit : « celui qui accueille un enfant en mon nom, c’est moi qu’il accueille ; et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qui l’accueille, mais Celui mais Celui qui m’a envoyé. » Le sacrement, comme il disait, c’est l’enfant embrassé, c’est-à-dire l’impact sur un petit d’homme du baiser de Jésus. Là est la révélation première.
 
Supposez qu’il existe un réseau social, auquel tous les humains sont connectés depuis le commencement et sur toute la planète. Il ne s’appelle pas Facebook ou Twitter, mais « au nom du Père, du Fils et du saint Esprit ». Cette connexion est effective depuis que ces trois-là ont décidé que l’homme - une espèce d’animal, un primate en bout de son évolution, un être social et parlant - allait devenir fils de Dieu, et porter son image.
L’aventure humaine se présente alors comme une sorte de mutation, déclenchée par l’impact de l’amour du Père, la Parole du Fils et l’énergie de l’Esprit : l’homme est appelé à passer de la condition humaine, à la condition de fils de Dieu. Ce réseau social devient, non pas un club, dont l’importance se mesure à son nombre d’adhérents, mais un ensemble dont la cohésion est la force d’attraction du désir de Dieu. 
 
Dès lors, quand nous établissons un contact avec un membre de ce réseau, nous nous trouvons en présence de quelqu’un qui est touché déjà, à son insu ou non, par la dynamique de cette mutation. Il est comme l’enfant que Jésus place au milieu de nous, il est embrassé par Dieu lui-même depuis le commencement.
Jésus de Nazareth, par sa vie, sa mort et sa résurrection, réalise en ce geste sa fonction de Christ. Par fonction « Christ », il faut entendre l’inscription dans l’aventure humaine d’un point de non-retour de cette mutation de l’homme à la condition de fils de Dieu. Saint Paul le disait ainsi : « désormais toute la création aspire à la révélation des fils de Dieu ».
 
Jésus en nomme alors le premier effet : quand vous accueillez un enfant que Jésus embrasse, c’est le Christ que vous accueillez, et son Père. Vous accueillez toute la série d’un coup. Vous voilà en présence d’une chaîne, où tous les hommes se trouvent insérés selon la tendresse de Dieu, quelle que soit son époque ou la région où il vit.
 
Vient alors dans le récit de Marc, l’affirmation de Jésus :« celui qui donne un verre d’eau à l’un de ces petits qui croient, au nom de ce que vous êtes en Christ, il ne restera pas sans récompense ». Les petits qui croient, ce sont tous ceux qui ont fait l’expérience, à un moment ou l’autre de leur vie, de la beauté de l’amour de Dieu pour eux, et qui y  croient, même sans comprendre, même sans savoir le dire ni le montrer. Ils ont été embrassés par le Christ un jour, et ils s’accrochent à cet instant de vérité. Ils sont étonnés, éblouis, chaque fois qu’un coucher de soleil ou le sourire d’une femme déborde soudain ce qu’ils perçoivent de la vie et l’intelligence qu’ils en ont. Ceci suffit à réveiller en eux une petite espérance insubmersible. C’est le trésor des petits qui croient. Ni le ver de l’injustice, ni le feu des ambitions ne peuvent l’entamer. Quant à la récompense de celui qui les accueille, c’est de toucher lui-même l’éternité de la tendresse de Dieu. Il ne s’en remettra jamais. Sa mutation à la condition de fils est désormais en cours. 
 
Jésus ajoute un deuxième volet à l’expérience que nous faisons de notre appartenance commune à ce réseau, à cette dynamique de notre mutation. « Si quelqu’un, dit-il, est une occasion de chute pour un seul de ces petits qui croient en moi, il vaut mieux pour lui qu’on lui attache une meule au cou et qu’on le jette à la mer. » Pourquoi devient-il subitement si violent ? Est-ce une condamnation d’une partie notable des humains? C’est peu probable : Dieu a engagé cette mutation pour tous les hommes, et il n’a pas l’intention d’en laisser filer un seul. C’est peut-être un traitement. Un traitement nécessaire : pour passer à la condition de fils, il faut qu’une part de nous cesse de tenir le volant de notre vie. 
 
Dans la trajectoire de cette mutation, il y a en effet des ruptures inévitables. Continuer à vouloir être le plus grand, le plus beau, le plus fort n’est pas compatible avec la condition de fils de Dieu. Obéir à la pulsion de tout dévorer, ce qui est beau à voir, bon à manger, utile pour la connaissance, non plus. Joui de s’imposer tout le temps, jusqu’à écraser ceux qui nous gênent. Il faut que cette part de nous, le vieil homme comme dit Paul, bien visible souvent à la surface de nos relations et de nos comportements, plonge dans la mer, rejoigne tout ce qui s’en va de toute façon. Avec une meule de la taille de la grandeur que nous nous imaginons avoir. 
 
 Et Jésus poursuit : cette dynamique de notre mutation déborde notre attachement à des principes, à des valeurs ou des codes. Eux aussi passent, dès que nous traversons une frontière culturelle ou sociale. Il arrive parfois que, dans une famille, son capital matériel ou immatériel juge insupportable une « mésalliance ». Il est écrit : « l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme pour une seule chair ». Mais la « seule chair » en question devient souvent la reproduction du modèle familial antérieur, ou l’unité des époux, ou encore l’enfant qui y vient, mais plus difficilement la chair ressuscité du Christ, le corps dont il est la tête.
 
Visiblement, pour Jésus, la mutation vers le condition de fils de Dieu passe en réalité par l’usage que nous faisons de nos mains, de nos pieds et de nos yeux. Il faut donc couper avec nos façons dont nous mettons la main sur tout, sur les choses et les gens. Cela c’est pour les mains. Il faut couper avec nos courses à la consommation effrénée, la croissance sans limite, la jouissance folle du tout, tout de suite. Ceci c’est pour les pieds. Couper aussi avec nos regards mauvais, nos jugements qui détruisent l’autre. Là, c’est pour les yeux. Évidemment çà tranche dans la chair et c’est douloureux, mais c’est nécessaire. Car l’enjeu n’est pas la résistance à l’évolution des mœurs, mais l’acceptation de suivre le Christ, de porter sa croix. Et la sanction n’est pas seulement l’arrêt de notre marche dans son sillage ; c’est notre vie qui pourrit, mangé par les vers, comme Hérode,  ou se consumant indéfiniment dans les déchetteries du monde, comme dans ce ravin près de Jérusalem, qu’on appelait la géhenne. 
 
Oui, comme le dit le pape François, il y a une étroite connexion entre le respect de ces petits et l’usage que nous faisons des ressources de la nature. Il y va de notre vivre ensemble, dès maintenant. Là est notre témoignage dans le monde de notre foi en Christ, en sa mort et sa résurrection.
 
Au bout du compte, ce réseau social se révèle tout autre qu’un espace échangiste. Il tient sa puissance de communion de l’annonce heureuse de l’œuvre de Dieu en cours à l’intérieur du développement humain.
 
« Ah ! si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur tout son peuple ».  Prions ensemble : L’Esprit saint est en train de réaliser avec nous le rêve de Moïse. 
Jean-Pierre Duplantier

La prière du vendredi soir / Texte de 2015



Le Concile Vatican II nous invite à nous procurer une connaissance plus développée de la liturgie et de la Bible, et principalement des psaumes.

C’est dans cet esprit que chaque vendredi, à 19h dans le chœur de l’église, un temps de prière commune est offert. Cette prière prend appui sur les psaumes proposés par la prière des heures (vêpres) ainsi que sur les textes du dimanche suivant.
Il y a des psaumes qui apprennent à louer Dieu pour la beauté de la Création. Il y en a d’autres qui rappellent nos cris de souffrance vers Dieu, que l’on peut s’abandonner à lui dans les moments de détresse et d’angoisse et d’autres encore qui dérangent car mal compris … mais tout cela, avec des mots bien actuels qui peuvent résonner au plus profond de chacun.

« Parce que je me reconnais dans ce que dit le psalmiste, alors, avec lui, je rends grâce à Dieu pour des bienfaits qu’il m’a accordés ou je demande de l’aide pour une situation à laquelle je dois faire face. Des versets, imprimés en moi par la lecture et relecture souvent reviennent en pensée et les réciter au moment où j’en ai besoin m’apaise. C’est aussi parce que le Christ a prié ces psaumes en s’adressant à son Père que cette lecture me touche personnellement. J’apprends la confiance.»
« Chaque fois que j'y suis présente j'en ressens un grand bien être fait de paix et de joie de prier avec des frères au cœur de la ville. – C’est un moment unique »

Vient ensuite, pour ceux qui le souhaitent un temps d’échange autour d’un psaume, souvent celui du dimanche suivant. Nous l'entendons en entier, ce qui donne une autre dimension par rapport à ce qui est lu le dimanche.
« Quelle est en effet la surprise de découvrir alors l'apport d'une réflexion commune, qui dissipe la ténèbre individuelle du moi et irradie la pensée d'un éclat nouveau et fulgurant ! De cet assemblage inattendu, une prière collective peut alors surgir et prendre corps au sein d'un ensemble collectif, le "Corps du Christ", pour monter vers le Père.»

Nous repartons à 20h avec une sensation de paix. Le groupe apporte vie à ces textes grâce aux réflexions échangées, aux paroles et au partage.

Sérieux du groupe, ouvert à tous, sans pour autant se prendre au sérieux!!

Prends ce qui te revient, et va-t'en / Matthieu 20 / Une homélie

En préparant cette homélie, en lisant et relisant ce texte, en le tournant dans tous les sens, en m'appuyant sur le psaume, la première et la deuxième lecture, je n'ai pas pu me résoudre à regarder les hommes qui ont été embauchés les premiers autrement qu'avec compassion.
Ici, on sait combien le travail de la vigne est dur. On sait ce que c'est que travailler une journée entière aux intempéries, courbé devant la vigne pour en prendre soin.
La situation décrite dans l'Evangile de ce dimanche est toujours d'actualité. Chaque jour, des femmes et des hommes sont embauchés pour la journée. Parfois, ils travaillent au noir pour un petit salaire. Alors, il n'est pas question dans le contrat de travail de cotisation pour la protection sociale ou la retraite et encore moins de taxe sur le travail.
Et, comme à toutes les époques, le journalier loue ses bras pour nourrir sa famille. Plus même, il propose sa force de travail pour ne pas se sentir retrancher de la société des humains.
Cet homme-là connaît la valeur du smic horaire, 9,53€. Alors quand après avoir travaillé 8 heures de rang, il touche autant que celui qui n'a travaillé qu'une heure, il a de quoi récriminer. Le dernier embauché reçoit une pièce d'argent, le premier se voit bien en recevoir au moins 8 ou 9.
Logique, Le travail est une valeur comme, au même titre que le m2 de terrain, que le litre de gasoil, que la prestation intellectuelle ou le lingot d'or. Et une valeur cela se multiplie ou se divise. On peut lui appliquer des opérations arithmétiques.
Ma perplexité a grandi lorsque j'ai lu cette phrase " Prends ce qui te revient, et va-t'en". Comment le Christ peut-il nous enseigner que le royaume des cieux est comparable à un maître qui dit à un de ses employés " Prends ce qui te revient, et va-t'en" ? Quand bien même, cet employé proteste. Car il proteste avec son intelligence, il raisonne avec ce que le Seigneur lui a donné, sa capacité à calculer. Bon sang, mais c'est juste de recevoir neuf fois plus quand on a travaillé neuf fois plus !
Curieusement, ce qui a dénoué mon incompréhension, ce sont les mathématiques elles-mêmes. Une pièce d'argent n'était-ce pas beaucoup pour une journée de travail ? Une pièce d'argent cela ne suffit-il pas à prendre soin d'une famille pour longtemps ?
Il y a comme une promesse d'abondance à travailler pour le Royaume des Cieux. Tout devient plus clair à la lumière du don de Dieu. Que peut-on recevoir de plus que l'abondance de l'amour de Dieu ? Cela a-t-il un sens de recevoir neuf fois plus de l'amour de Dieu ? L'infini multiplié par neuf c'est toujours l'infini ?
Cela rappelle, le texte de l'exode dans l'épisode de la manne : "Celui qui en avait ramassé beaucoup n’eut rien de trop ; celui qui en avait ramassé peu ne manqua de rien. Ainsi, chacun en avait recueilli autant qu’il pouvait en manger" (Ex 16, 18)
On peut facilement imaginer qu'après des jours de privation dans le désert, les hébreux se sont précipités sur ce pain venu du ciel pour se gaver jusqu'à satiété. Là encore le don de Dieu était ni trop ni trop peu, juste ce qu'il faut pour vivre en homme digne.
La pièce d'argent c'est le salaire que chacun d'entre nous reçoit quand il travaille à la vigne du Seigneur. Car il n'y a pas de plus grande récompense que la joie de servir le Seigneur, que la joie de laisser venir l'Evangile se répandre dans le monde.
Annoncer l'Evangile, c'est le rôle qui est assigné à chaque baptisé qui reçoit le don de prophète.
Lors de notre baptême, le Seigneur est sorti au petit jour pour nous embaucher à sa vigne. Nous avons accepté le contrat qu'il nous proposait, à savoir le don de la vie qu'il nous a fait ce jour. Ce jour où nous avons été plongés dans la mort et la résurrection du Christ, nous sommes déjà ressuscités pour la vie éternelle. A quoi bon recevoir neuf fois la vie éternelle quand une fois la vie éternelle suffit ?
Il y en a qui sont baptisé bébé, d'autre au soir de leur vie et tous reçoivent l'abondance de la vie du Seigneur, tous nous sommes sauvés du péché qui nous pousse au calcul, à l'envie et à la comparaison.
Je voudrais maintenant m'adresser aux non baptisés. Il y en a peut-être dans l'assemblée. Ne tardez pas à venir à la rencontre du maître de la vigne ! La joie que procure le soin de la vigne du Seigneur est immense car c'est à ce jour que vous recevrez le salaire du Royaume des cieux. Lors de la rencontre du Seigneur au moment du baptême, vous entendrez "Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemin." Et cette parole vous délivrera de tout ce qui vous englue dans les logiques arithmétiques du monde.
Seigneur Jésus, toi qui as répandu ton sang pour la multitude, montre-nous le chemin de ta vigne où les pauvres attendent avec espérance l'annonce de ton Evangile.
Père, toi qui fais tout homme à ton image, donne-nous la force de sortir au petit jour pour travailler à ta vigne.
Esprit-Saint, toi qui visites les baptisés, ravive en nous la joie de notre baptême.
Amen !

Dominique Bourgoin, diacre.

La Croix glorieuse / Jean 3 13-17 / Une homélie de JP Duplantier

     Les trois textes que nous venons d’entendre nous offrent de contempler ce que nous faisons ici.
 
Le dispositif qu’il nous montre pour nous emmener à regarder, à prendre le temps de réfléchir c’est une succession de trois poteaux, en grec cela se dit stauros, chez nous çà se traduit par  la croix. Trois croix donc : chacune élève, expose la figure du commandement en chef de notre existence : un serpent de bronze,  le corps crucifié de Jésus, et le corps rayonnant du Fils de Dieu dans la lumière de son Père.
 
Les deux derniers sont ici, visibles, dans cette église. Le premier, le serpent de bronze sur le mat, nous venons de le quitter un moment en entrant ici. Les récits de l’ancien Testament nous sont donnés comme figures de là où nous venons.
 
     En deux mots : dans le désert, les fils d’Israël sont passés par une vraie déprime. Dieu et Moïse les avaient libéré de l’esclavage de l’Egypte ; et maintenant ils n’ont plus rien à se mettre sous la dent. Tout va mal. C’est la crise. Alors ils en veulent à Moïse, à Dieu, à tout le monde. Et Dieu en rajoute. Ce n’est pas seulement dans votre tête, dans votre âme que vous allez souffrit, être malheureux, c’est physiquement… des serpents brûlants se lèvent dans le désert et mordent les fils d’Israël et plusieurs en meurent. Alors là, quand çà vous touche dans votre corps, personne ne fait plus le malin ; on commence à comprendre que c’est peut-être lié à la vie que nous menons, qu’on a complètement lâché Dieu et ses commandements. On commence à relire le vieux récit de l’antique serpent dans le jardin. Il nous a trompés, comme disait Eve.  A l’Arbre de vie, nous avons préfère ce qui est beau à voir, bon à manger, utile pour connaitre, le bien, le mal et pour tout maîtriser. Une seule chose  nous inspire : dévorer la vie à belle dent et nous révolter ou déprimer quand le patron, ou un collègue, ou notre femme ou notre homme ou nos enfants ou n’importe quoi dans la société, nous met des bâtons dans les roues pour faire de notre vie ce qu’on veut. 
 
Mais cette chose-là qui nous est arrivé ne fait qu’empirer. Notre péché en fait c’est un ratage ; nous nous sommes trompés de maître et la cible de la belle vie, on est en train de la rater. Alors nous venons ici dans l’Eglise, comme les fils d’Israël vers Moïse. Et Dieu commence le traitement. Tu vas mettre sur un mat un serpent un bronze. Ils lèveront les yeux et ils verront : ce serpent qui pourrit le dessous de leur âme et qui maintenant les mord dans leur chair, c’est une sculpture, c’est du fabriqué par vos mains. C’est votre construction du monde qui vous tue.
 
     Regardons maintenant le Christ en croix. A la place du serpent en bronze, il y a le corps de Jésus. Un vrai corps d’homme. Il a été arrêté, condamné, flagellé et il est mort. Il est là sous nos yeux. Ce qui nous est donné à voir c’est un fils d’homme rejeté, défiguré et qui n’a pas un instant cessé d’aimer son Père et nous, de prier son Père de toute sa force, de toute son espérance, il nous a pardonné, sans raison, sans jugement, simplement parce qu’il est le fils de Dieu, l’envoyé du Père et qu’il obéit au désir de Dieu de faire de nous des fils qui portent sa ressemblance. Son désir est là sous nos yeux. Il n’appartient pas au passé, à l’histoire, à la culture d’un moment, il est libre de tout, il agit, hier, aujourd’hui et demain. 
 
Il défait nos liens, il pardonne notre rébellion. Il le fait maintenant pour peu que nous acceptions de voir que c’est nous qui l’avons mis dans cet état et qu’il faut changer de route. Vite. Clairement. Le mystère du pardon et de la guérison de nos vie est là ; nous y sommes entrés sans trop savoir comment ; nous y habitons ensemble maintenant.
 
       Déjà se profile, si nous levons les yeux, et regardons devant, le corps du Christ glorieux, sa croix glorieuse, et dans le fond, en arrière de son corps, les bras largement ouverts, démesurément ouverts, une lumière pour nous, la présence de notre Père qui nous attend. Ce n’est pas l’avenir. L’attente du Père, la lumière d’en-haut, le désir du Christ de nous prendre, c’est là sous nos yeux. A nous de nous y offrir, de communier…
 
     Alors quand nous sortirons tout à l’heure d’ici, ce ne sera pas le ciel sur la terre, le paradis revenu, mais il y aura des hommes et des femmes dans ce monde, qui portent le reflet de la lumière de Dieu par laquelle ils viennent de passer, physiquement, en chair et en os.
 
Parce que c’est pour le monde, pour nous, que toutes ces choses sont ici dans cette église, ces croix, ces récits, nos offrandes et ce que le Christ va en faire, la Parole de Dieu qui nous est adressé, la prière du Christ, la lumière d’en haut. C’est pour nous. Nous sommes entrés sou le signe du serpent, nous sortons sous le sacrement du Corps du Christ. Nous sommes entrés marqués par ce que nous faisons du monde et de la vie ; nous allons sortir marqués de ce que Dieu fait de nos corps mortels.

Voilà ce que nous faisons ici, maintenant, nous sommes en train de passer dans le mystère de l’œuvre de Dieu.
Jean-Pierre Duplantier

Jésus nous échappe / Une homélie de JP Duplantier

Un jour, alors qu’il marchait avec ses disciples, dans la région de Césarée, il leur demanda qu’est-ce qu’on pensait de lui. Ils répondirent : Jean-Baptiste, celui qu’Hérode avait fait exécuter, ou Elie, ou un autre prophète. Mais Jésus précise : je ne vous demande pas de me comparer à des personnages, envoyés par Dieu, et dont vous avez déjà une idée plus ou moins juste. Dites ce que je suis pour vous.
Dans la bouche de Pierre vient le mot Christ. Dans notre traduction, on écrit Messie. Mais nous savons bien qu’il y a un écart entre Jésus-Christ et le messie que les juifs attendent. Alors Jésus précise les choses. Il est celui qui vient après l’homme. Il est le Fils de l’homme.
Et voici le parcours, la dynamique de ce Fils de l’homme : souffrir, être rejeté, être tué et, le troisième jour, se lever, ou ressusciter comme nous disons. Nous pouvons trouver des causes à ses souffrances, à son rejet et à sa mort. Mais pour « se lever d’entre les morts », nous sommes dépassés, notre raison s’affole, la structure de notre connaissance se révèle limitée, incomplète.
Jésus, le Christ, le Fils de l’homme, nous échappe dans son chemin, dans sa vérité, dans sa vie.
            Le suivre alors, qu’est-ce que c’est pour nous ? Là encore nous pouvons répondre avec des choses que nous connaissons déjà : prier, venir à la messe, lire la Bible et agir en conséquence, comme le dit l’apôtre Jacques : partager avec ceux qui sont dans le besoin, tenir sa langue et pratiquer la justice. C’est un bon programme. Mais souvent c’est le moteur qui est en panne. Il faudrait une force à l’intérieur de nous qui nous pulse à la suite du Christ. Surtout si le parcours du Fils de l’homme passe par perdre ce qui fait notre vie, notre générosité personnelle, notre convoitise, notre volonté de maitrise et bien d’autres choses encore, pour sortir vers le Royaume de Dieu.
Or cette force est déjà en nous, et ce n’est pas celle de notre volonté et de notre connaissance. C’est l’impact mystérieux de l’Esprit au plus profond ; c’est la façon dont il a inscrit la Parole vive de Jésus-Christ et la volonté de notre Père de nous conduire par la main jusqu’à lui. Cette expérience étonnante de la venue du Fils de l’homme dans la vie des apôtres a eu lieu à travers ce qu’ils ont vu et entendu de Jésus. Mais Jésus leur a été enlevé et c’est l’Esprit, le jour de la Pentecôte, qui leur fait reconnaitre que Jésus accomplissait tout ce qui avait été annoncé dans les Ecritures, et que le propos de Dieu visait tous les hommes. Et dès la deuxième génération, avec ceux qui n’avaient pas connu Jésus, c’est cette venue en eux, de la Parole vive du Fils de l’homme, et celle de la force de son Esprit qui a changé leur existence et la nature de leur désir. Ils l’ont reçu à travers le témoignage des apôtres et des disciples. Mais la foi leur a été donnée par Dieu, à travers ces témoins.
            Je nous souhaite que cette année nous appliquions à reconnaître ce don de Dieu, reçu par chacun sans que nous n’ayons encore rien fait, ni rien demandé. Sans doute nous ne souvenons pas des moments décisifs de cette venue du Christ en nous. Mais ce n’est pas de souvenir qu’il s’agit, c’est de reconnaissance de son initiative dans notre vie.
C’est cet acte de Dieu en nous qui nous fait entendre la Parole qui nous est donnée à chaque eucharistie. C’est ce don de Dieu qui nous fait passer, à chaque messe, du pain et du vin que nous mangeons et buvons, à la nouvelle condition humaine de membres du Corps du Christ, à la nouvelle condition humaine de fils de Dieu. C’est ce don de Dieu en nous qui passe à travers nos actions de partage, de justice et d’intelligence. C’est ainsi que le Fils de l’homme, lui-même, élargit sa présence et son amour à tous ceux que nous rencontrons. C’est lui, à travers nous, qui évangélise. Suivre Jésus-Christ, c’est vivre de lui.

Luc 14 25-33 / Une homélie

Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ?
Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ?
Le rêve de l'homme : percer le mystère de Dieu. A la fois désir de puissance et d'intimité avec le Créateur.
Mais un rêve qui ne se réalise pas, l'homme n'est rien, sa pensée est mesquine et chancelante. Une pensée qui naît et s'épanouit dans un corps mortel promis à la poussière et pourtant ce grand mystère est à portée de main.
Mais qu'elle est donc cette Sagesse ?
L'Évangile d'aujourd'hui est bien mystérieux lui aussi. Dans un premier temps, Jésus nous demande de le préférer à toutes les relations qui font de nous ce que nous sommes, parents, épouses, enfants. Puis, viennent ces histoires de la construction d'une tour et d'un roi qui s'engage dans une guerre de conquête.
Tout d'abord, Jésus semble remettre en cause les liens du sang et les liens d'alliance. Des liens qu'il nous demande de faire passer après lui. C'est comme si à partir du moment où l'on prend sa suite les liens qu'il énumère sont seconds. Le premier lien à entretenir c'est celui qui nous attache à Lui. Il nous annonce un nouveau lien qui s'entretient entre le maître et le disciple, un lien qu'il faut préférer même si ce lien ne nous délivre pas des difficultés de la vie et du passage par la mort. Une certaine sagesse que nous dévoile Jésus, si vous vous me suivez, ne me suivez pas à moitié. Mais sachez que rien ne vous sera épargné.
Ensuite, les deux mini paraboles sont certes plus compréhensibles mais à première vue sans rapport avec ce qui précède. Elles correspondent à des situations actuelles même avec le décalage temporel. Elles parlent de nos projets, établir un budget, évaluer les risques d'une action périlleuse.
Voilà qui relève de la compétence des humains. Cet homme est bien stupide. Il commence sa construction sans avoir planifié un minimum son projet. Compter, évaluer, planifier, il s'agit bien là de compétence dont nous sommes équipées et que le monde nous enseigne. Alors qui, d'entre nous, agirait comme cet homme ? Et quand bien même, que risque cet homme ? Il risque qu'on se moque de lui. Avouez, que ce n'est pas si grave. Là encore, Jésus ne nous enseigne-t-il pas une sagesse ? Ne nous dit-il pas la solution est proche ?
La seconde parabole. Le désir de puissance, le désir de conquête. Ce roi s'engage dans une guerre perdue d'avance. Les forces en présence sont beaucoup trop déséquilibrées. Ce roi n'agirait-il pas comme quelqu'un qui s'engage dans une action dont il fait son combat sans mesurer toute l'étendue de l'impact ? Après tout, son engagement correspond peut-être à un besoin légitime. Il est peut-être justifié par des convictions tout-à-fait honorables. Mais il semble n’évaluer la situation qu’à travers sa propre vision, ses propres intérêts.
Ce qui se passe en Syrie est révélateur. Après avoir appris l'utilisation d'armes chimiques et biologiques, Une partie des grandes puissances étaient prêtes, il y a quelques jours à réunir leurs armées pour punir le gouvernement Syrien tandis que l'autre partie s'y refuse. Chacun adoptant une attitude en fonction de ses intérêts.
Puis cette semaine dans la douceur, un homme nous appelle à nous asseoir pour prier en faveur de la Syrie pour que se taisent les armes, Cet homme c'est François, le pape. Une prière pour que soit pris un chemin vers la paix au-delà des intérêts particuliers.
Ainsi, Jésus, dans les petites paraboles et l’attachement qu’il nous demande, nous invite à plus de sagesse. C'est comme s'il nous demandait de laisser venir la Sagesse. Une Sagesse tout simple. S'asseoir, compter, s'attacher à lui et voir le monde selon la volonté du Père.
Jésus nous engage à vivre à travers son regard. Il nous demande de porter un jugement sur le monde et nos projets avec ses yeux, au tamis de la volonté de son Père. Et cela concerne même nos relations les plus proches, celles que nous entretenons avec nos parents, avec nos enfants et avec nos épouses.
Le Christ nous enseignerait-il une sagesse ?
Non, il ne nous enseigne pas une sagesse. Le Christ nous révèle qu'IL EST LA SAGESSE, il est la Sagesse de Dieu annoncée dans le premier testament. Cette Sagesse n'est pas un savoir acquis par notre propre raisonnement à partir d'une longue expérience. Elle n'est pas le fruit des relations du monde mais l'enfantement d'une autre vie. La Sagesse c'est le Christ quand, nous lui laissons prendre toute la place qui lui revient en nous. La Sagesse c'est le chemin que nous prenons à la suite du Christ quand nous nous dépouillons du trop-plein de nous-mêmes. Alors le royaume vient et les volontés du Seigneur se révèlent :
Rassasie-nous de ton amour au matin,
que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu !
Consolide pour nous l'ouvrage de nos mains. (
Ps 89)
AMEN !
Dominique Bourgoin.
23° dim du TO – Année C

Sg 9,13-18 // Ps 89 // Phm 9b-10. 12-17 // Lc 14, 25-33

En route pour une nouvelle nomination ! / JP Ranga / Sept 2014

Je suis engagé sur le chemin du ministère presbytéral afin de concrétiser les propositions de l'évêque pour la vie et la mission de l'Eglise locale. Avec les autres croyants nous faisons Eglise et nous vivons la communion en Christ.
J’étais très heureux de cette expérience d'Eglise ici à Gradignan durant les quatre années passées. Je devais de temps en temps donner des nouvelles aux prêtres et aux chrétiens de Fenerive sur ce que je partageais ici avec les chrétiens.
Il me fallait passer par des tâtonnements, des hésitations durant le temps d'adaptation. Puis on ne sait trop ni pourquoi ni comment, il y a un déclic qui fait que vous retrouvez la confiance. La date référente pour moi est le rassemblement au Fronton du 22 mai 2011. La qualité de l'échange en même temps que la simplicité des questions m'ont aidé à me remettre en piste pour vivre le service dans la joie et la confiance !
C'est seulement plus tard qu'Alain Dagron m'a suggéré d'accepter de devenir curé de la paroisse et de collaborer avec les prêtres, le diacre, les divers conseils qui fonctionnent et soutiennent la vie de la paroisse. Bien plus tard nous avons tous eu la joie de voir l’un de nous choisi pour le service du diaconat. L'ensemble de ceux et celles qui avaient accepté le rôle de veilleurs dans la paroisse a permis de trouver un certain rythme dans la marche de l'ensemble.
Je me suis aperçu très vite que nous devions compter les uns sur les autres, même s'il y avait de fréquentes absences : pour des raisons familiales ou professionnelles, ceux qui pouvaient venir un dimanche ne pouvaient pas revenir le dimanche d'après. Ceci n'empêchait pas à ceux qui pouvaient venir d'assurer le service de la liturgie et le service de la charité. Ceci n'empêchait pas les responsables de rappeler les obligations nécessaires pour la vie d'une paroisse.
Les propositions pastorales nous ont aidés à trouver la respiration dans le rythme de notre vie paroissiale : les lectures de l'Ecriture, les préparations des grands dimanches, la mise en place progressive de B'abba et de ses interventions au milieu de nous, la régularité des divers ateliers, la fidélité dans les célébrations en maison de retraite et la visite aux malades.
En plus de ces pratiques régulières des uns et des autres pour la vie de la paroisse, il y a eu les temps de grâce qui étaient donnés comme des dons de Dieu et des clins d'oeil pour nous aider à repartir : le 50° anniversaire du Concile, le 10° de la consécration de l'autel, la suggestion de revisiter le renouveau liturgique, l'intérêt apporté à des actions de solidarité et d'entraide ainsi que le temps donné pour le repas organisé par le chantier solidarité.
Je n'ai pas la prétention de reparler de tout ce qui a été accueilli ensemble comme don de Dieu chez les uns et les autres dans la paroisse. J’évoque ces quelques événements pour fonder l'action de grâces, et pour la compléter avec les prières d'offrande et de réconciliation. C'est toujours en confessant les merveilles de Dieu que nous prenons une plus vive conscience de ce manque à combler, de ce désir à faire vivre. Et tout cela nous le remettons entre ses mains pour recevoir sa bénédiction. Et tout cela nous le présentons devant lui avec le souvenir vivant de ceux qui ont été appelés dans la maison du Père avant nous.

Nous avons la chance d'avoir reçu «un bâton qui nous guide et nous conduit»comme le dit le psalmiste. Avançons dans la joie de la foi et l'assurance de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ. Comme dit saint Paul rien ne peut nous séparer de cet amour de Dieu manifeste dans le Christ, pas même les séparations et les distances qui vont s'interposer entre nous.
Je vous remercie de l’accueil que j’ai trouvé dans la paroisse et vous dis à tous au revoir dans la communion de toute l'Eglise....
Jean-Pierre Ranga

Pour info : L’installation de Jean-Pierre Ranga à Saint Amand de Caudéran se fera le dimanche 14 septembre à 16h30.



Dialogue avec Pierre / Matthieu 16 21-27 / Une homélie de JP Duplantier

         A longueur de journée, Jérémie doit crier de la part de Dieu : « violence et pillage » et cela ne lui attire que des injures. Pierre, de son côté, ne supporte pas que Jésus annonce ses souffrances de la part des chefs, sa mort et sa résurrection : « Dieu t’en garde, Seigneur, cela ne t’arrivera pas. » Pierre n’a pas du entendre le dernier mot de Jésus, à propos de sa résurrection. Sa vision de la vie s’arrête à la mort, après… il n’y a pas vraiment de place pour çà dans sa tête.
Et nous-mêmes, y a-t-il chez nous des choses que nous ne supportons pas dans ce que Dieu nous montre? Des choses, dans le secret de notre cœur, qui nous font murmurer : « Non pas çà… »
La réaction de Jésus vis-à-vis de Pierre laisse à penser que l’enjeu est peut-être plus grand que nous le pensons. « Passe derrière moi, Satan, dit-il à Pierre, tu es un obstacle sur ma route, tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
            C’est quoi les pensées des hommes ? C’est compliqué. Trop compliqué pour une homélie, je sais. Je me suis donc réfugié derrière ce que le pape François a dit aux chrétiens de Corée du sud, ce mois-ci. C’était pas une conférence ou un enseignement, c’était une homélie : « Il a y un danger, dit-il, il y a une tentation qui vient aux moments de prospérité : c’est le danger que la communauté chrétienne se ‘‘socialise’’, c’est-à-dire qu’elle perde cette dimension mystique, qu’elle perde la capacité de célébrer le Mystère et se transforme en une organisation spirituelle, chrétienne, avec des valeurs chrétiennes, mais sans levain prophétique. Là se perd la fonction qu’ont les pauvres dans l’Église... Et ceci au point de se transformer en une communauté de classe moyenne, dans laquelle les pauvres arrivent à éprouver même de la honte : ils ont honte d’entrer. C’est la tentation du bien-être spirituel, du bien-être pastoral.... On ne chasse pas les pauvres mais l’on vit de telle manière qu’ils n’osent pas entrer, et qu’ils ne sentent pas chez eux... Que le diable ne sème pas cette ivraie, cette tentation d’ôter les pauvres de la structure prophétique même de l’Église et qu’il ne vous fasse devenir une Église aisée pour les personnes aisées, une Église du bien-être… En de telles circonstances, les agents pastoraux sont tentés d’adopter non seulement des modèles efficaces de gestion, de programmation et d’organisation issus du monde des affaires, mais aussi un style de vie et une mentalité guidés plus par des critères mondains de succès, voire de pouvoir, que par les critères énoncés par Jésus dans l’Évangile. Malheur à nous si la croix est vidée de son pouvoir de juger la sagesse de ce monde (cf. 1 Co 1, 17). Puissions-nous être sauvés de cette mondanité spirituelle et pastorale, qui étouffe l’esprit, remplace la conversion par la complaisance, et finit par dissiper toute ferveur missionnaire! »
            Croyez-vous que cela fasse partie de ce que Jésus dit à Pierre, « tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ». Si j’en juge par moi-même, je n’ai aucun doute.
Chez nous, il y a l’attrait du plaisir et la peur de la catastrophe. Et çà tourne en boucle, et c’est bien ordonné. Dans nos rêves se succèdent et s’entrechoquent des moments de jouissance, où je me prends pour le meilleur en ceci ou cela, avec les femmes, les hommes, la famille, la profession, la culture, la forme physique ou l’argent et le pouvoir; puis d’autres moments où la peur est terrible, comme pour un accident de santé, la disparition d’un être cher, la perte de son travail ou une grosse bêtise qu’on est en train de faire. Entre les deux, des rancœurs, des jalousies. A l’état de veille, çà continue et çà commande à notre insu nos impressions, nos rencontres, nos décisions et tout le reste.
C’est une déchirure à l’intérieur. Les uns s’y soumettent ; ils naviguent à vue, au jour le jour, souvent ils surnagent, parfois ils coulent à pic. D’autres refusent d’être esclaves de cette histoire, celle du dehors et celle du dedans. Seul ou ensemble, ils décident de changer les conditions, les lois, et se définissent un cap dont rien ni personne ne les fera dévier. Une seule chose compte : garder la maitrise de sa vie.
Mais ce va-et-vient épuisant entre le bon et le mauvais, le juste et l’injuste, ne dit pas tout de ce que nous sommes. Il reste en nous, enfoui, malmené, mais tenace, le dispositif que Dieu a instauré en chaque homme, pour qu’il devienne à son image, fils de Dieu. Ce dispositif émerge chez nous dès qu’une porte s’ouvre dans notre forteresse, individuelle ou collective. Il y a un avant, et un après, et un extérieur à notre propre existence. Il y a des rencontres, des visages, des paroles et des blessures qui laissent des traces. Il y a de l’étranger chez les autres qui vient secouer l’étranger qui est en moi. Une fois découvert chez les autres et chez moi, cet étranger ne me lâche pas. Je ne suis pas celui que j’imagine, je ne maitrise pas tout, je ne sais pas tout ni sur moi, ni sur les autres. Là se révèle notre véritable condition : je suis un pauvre ! Un pauvre, en attente d’une visite, d’un regard, d’un autre que moi. « Heureux les pauvres dans l’Esprit ».
Or la puissance de cette pauvreté centrale ne se révèle concrètement que si nous y consentons. Et notre consentement consiste à offrir l’hospitalité à cet étranger. Parce que des témoins nous l’ont manifesté, nous croyons que Jésus est cet étranger. Lui, Jésus n’est pas seul. Il est tourné vers son Père ; ils s’aiment. Il est tourné vers nous ; il nous aime. Et il vient à nous chaque fois que nous reconnaissons dans un autre sa demande d’être écouté, regardé, aimé. Il vient à nous chaque fois que nous reconnaissons, en nous et chez les autres, notre pauvreté commune.
            Cette aptitude à l’hospitalité offerte à celui qui vient de la part du Seigneur nous est donnée depuis le commencement. Mais elle doit être cultivée pour porter du fruit. Cette culture régulière s’appelle la « contemplation ». Devenir contemplatif n’est pas réservé aux moines ou aux religieux, c’est le chemin de tout baptisé. Ce n’est pas une option pour les croyants. C’est, comme le dit Paul, « l’offrande de notre personne, de notre vie, de nos pensées et de nos sentiments au travail de l’Esprit ». 
J’en reviens aux paroles du pape François « Pour qu’il y ait dialogue, il faut qu’il y ait empathie. Empathie sur le terrain de notre pauvreté commune. L’empathie consiste à ne pas se limiter à écouter les paroles que les autres prononcent, mais de saisir la communication non dite de leurs expériences, de leurs espérances, de leurs aspirations, de leurs difficultés et de ce qui leur tient le plus à cœur. Une telle empathie exige de nous un authentique esprit ‘‘contemplatif’. » Seule cette capacité d’empathie que nous donne l’Esprit saint, quand nous lui laissons le temps de modifier nos idées et notre regard, nous rend capables d’un vrai dialogue humain, dans lequel des paroles, des idées et des questions jaillissent d’une expérience de fraternité et d’humanité partagée ».

Je prie, avec vous j’en suis sûr, pour qu’un certain bien-être spirituel ne gomme pas l’empathie chez nous, pour que nous reconnaissions notre pauvreté commune comme un don de Dieu, pour que la croix du Christ ne perde pas sa puissance d’interroger la sagesse du monde.
Jérémie 20,7-9 ; Rom. 12,1-2 ; Mt. 16,21-27