Luc 14 / Une homélie de JP Duplantier

Aujourd'hui, les invités à une noce sont placés selon l'organisation des tables faites à l'avance par les mariés. Ceci n'empêche pas bien des invités d'essayer de se faire voir du jeune couple et d'accrocher leur attention, ou de râler parce qu'ils n'ont pas une place qui leur convient. Quel est donc cet écart entre le geste de ceux qui nous invitent pour nous faire partager leur joie, et la réaction fréquente des invites de chercher dans la fête leur propre satisfaction. Je sais que chacun de nous ou presque pense qu'il n’est pas comme çà, Quoique ! En tous cas, Jésus a sûrement quelque chose à nous dire dans cette parabole.
 
D’où nous vient donc ce goût du premier rang ? Je vais peut-être vous étonner, mais cela est en nous depuis la création de l'homme par Dieu. En effet, Dieu a façonné l'homme, lui a parlé et l'a mis dans les conditions lui permettant d'enter lui-même en dialogue. C'est cet homme tout équipé qu'on appelle Adam. Sa première réaction est de se projeter lui-même dans la femme que Dieu lui présente : elle est l'os de mes as et la chair de ma chair. Il comprend, en le disant, qu'il est fait, lui-même et sa femme, d'un élément du monde - les os - et d'un autre élément - la chair - qui le rend apte au dialogue. Dans la foulée, il nous est raconté que la femme, qui n’est pas encore Eve, et qui a été tirée de l'homme, c'est-à-dire de tout l'équipement que Dieu a mis dans l'homme, est affrontée a un type de dialogue inattendu. Sa chair lui apparaît disponible à deux partenaires : Dieu d'une part, et le serpent d'autre part, un élément du monde des vivants, un animal. Elle désire parler avec son homme et avec Dieu, mais elle n’est pas indifférente au discours du serpent. La chair est ainsi faite : elle dialogue avec tous ceux qui lui parlent. C'est comme si Dieu avait voulu que nous soyons devant un choix entre Lui et le prince de ce monde, et qu'il nous faille décider à perdre une part de nous-même pour nous attacher à lui. Pas de quitter le monde, mais de perdre un trop grand attachement au monde. Vous connaissez la suite : la femme mange de l’arbre, en donne à son mari. Dieu revient alors dans le jardin et ils ont peur et se cachent. Ils ont donc conscience qu'une faille s'est produite dans leur relation avec Dieu. Il m'a trompé, dit la femme. Ils se sont trompes de cible. C'est cela que nous appelons le péché : pas une faute, mais un attrait excessif pour ce qu'on peut saisir et manger. La faute vient quand nous persistons et signons : les choses du monde c'est quand même plus intéressant que le projet de Dieu sur nous : vers une seule chair, vers le corps du Christ. Qui va nous enlever cet excessif attrait pour les choses qui passent ?
 
Ce que nous offre le Christ c'est de desserrer l'étau de la passion de réussir notre propre vie et de nous redonner la soif de la rencontre, celle de Jésus et celle des autres. Comme le dit Paul, « quand nous étions enfants nous étions soumis aux éléments du monde. Quand Dieu envoie son Fils, il nous est donné de devenir fils adoptifs.» L'entant, en effet, est un être blessé. Il n’est plus seul au monde dans le ventre de sa mère. Il est dehors, à la merci de ceux qui l'entourent. Combien d'entre nous portent en secret l’image d'avoir été mal aimé. Combien d'entre nous supportent mal avec le temps les alliances qu'ils ont contractées avec un autre ou des autres, et se disent en eux-mêmes : « l'autre exagère, il ne pense qu'a lui, ou qu'a elle. Il est grand temps que je me défende et vive ma propre vie. »
Et cela n’est pas vrai seulement individuellement. Il en est de même entre les nations. II y a quinze ans, la France avait des relatons diplomatiques et des contrats avec la Lybie et la Syrie. Mais ils ont exagéré. Le temps est venu de défendre nos valeurs et de les punir pour leur comportement et leur arrogance.

Jésus-Christ vient dans cette blessure des enfants. La blessure d'être mal aimé et de compenser en mettant la main sur tout ce qui passe à leur portée. Cela n’en finit pas de ronger les liens qu'ils tissent avec les autres en grandissant. Jésus, lui, aussi est mal aimé par les siens, de Nazareth à Jérusalem. Il est mal vu, mal entendu, puis maltraité et crucifié. Mais il traverse cette version humaine de la mort. Il obéit à son Père, il pleure sur les siens, il les aime jusqu'au bout. Et il nous donne de nous nourrir de sa force d'aimer, de sa chair et de son sang. II fait de nous des fils, pour lesquels l'oeuvre du Père prend le pas sur notre lutte pour vivre, pour exister par nos propres forces.
 
Les pauvres sont parmi nous l'indice que le monde ne s'intéresse qu'aux nantis et privilégie les relations que nous avons avec ceux qui ne peuvent nous renvoyer l’ascenseur, nous apporter des contreparties. Jésus ne juge pas. Il révèle un autre chemin - celui du travail de son Père ; c'est son Père qui décide des places. Dans la Parabole, celui qui invite dit a celui qui est a. la dernière place viens mon ami, et à celui qui s'est mis à la première, « laisse ta place ». C'est la place que Dieu nous donne dans le monde, qui est le réel de notre vie aujourd'hui, pas celle que nous prenons ou que nous souffrons de ne pas avoir.
 
Pour le moment mangeons et buvons la nourriture qu'il nous offre. C'est de Lui que nous tenons la vie qui ne passe pas.

Jean-Pierre DUPLANTIER

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire