La
scène est improbable : il y a d'abord la métamorphose de Jésus ; ses
vêtements sont d'une blancheur que nous ne connaissons pas sur
terre, et la lumière qui se dégage de son corps nous est inconnue.
Ensuite les époques de l'histoire sont contractées en un seul moment :
Moïse et Elie et Jésus discutent ensemble,
maintenant.
La
réaction de Pierre est plus normale. Il s'imagine qu'il a sous les yeux
la réalisation de ce qu'on lui avait appris : Moïse, celui
qui a conduit Israël hors d'Egypte et par lequel le peuple a reçu de
Dieu sa Loi ; Elie, le prophète qui est parti dans le ciel sur un char
de feu et qui doit revenir ; et enfin le Fils de
l'homme dont parle Daniel ; ils sont là tous les trois et le combat
pour la libération d'Israël est en marche. L'armée d'Israël est en ordre
de bataille, avec ses trois chefs. Les combattants
sont dans la plaine et il faut élever trois tentes pour les chefs
sur la montagne.
Pierre
avait tellement peur qu'il ne savait pas ce qu'il disait. Ou plutôt ce
qui lui vient, c'est le rêve de tout bon juif, son
imaginaire de croyant : ça va finir comme ça, et c'est le moment.
Mais la vision se brouille. Un nuage passe. Une voix se fait entendre : «
celui-ci est mon Fils bien aimé. Ecoutez-le ». Ce n'est
pas le général en chef de la lutte finale ; c'est le Fils bien aimé.
L'horizon se brouille : ce n'est pas ce qu'on croit voir venir, c'est
ce qu'il y a à écouter du Fils.
Voila maintenant deux choses que j'entends aujourd'hui et qui me réjouissent.
- Jésus vient à ses disciples dans l'état où l'appel de Dieu les a trouvés. Nous ne sommes pas montés comme Pierre, Jacques et Jean, sur la montagne sainte, mais la rencontre avec Jésus-Christ, avec la Parole de Dieu devenue Chair, avec l'approche du Royaume de Dieu, obéit aux mêmes conditions. II vient dans l'état où nous nous trouvons quand nous sommes appelés.
L'esprit
Saint n'attend pas que nous soyons purifiés. La lumière qui vient chez
nous ne provient pas du nettoyage de notre maison, mais
de ce que Dieu engendre : des fils à sa ressemblance, dans l'état de
nos corps mortels. Quels que soient l'état de notre chemin, quelles que
soient les images que nous ne faisons de notre présent
ou de notre avenir, quelles que soient les symboles de foi
auxquelles nous nous accrochons, il vient pour construire en nous une
forme de vie, qui porte sa présence. Quels que soient nos amours
ou nos peurs, il ne nous demande pas de quitter ce monde, mais d'en
faire usage de telle sorte que nos actes et nos paroles portent la
marque de son travail. Et si ne nous sommes pas fidèles, si
nous n'avons pas une doctrine chrétienne vraiment juste, si nos
moeurs très mélangés, en pensée, action et en omission, L'Esprit
n'attend pas que ça aille mieux. Il vient, quand il veut, dans
tours et les détours de notre vie. Il vient nous apprendre à vivre
la forme de vie singulière que lui-même fait émerger de nos fantasmes et
de nos blessures. L'Esprit ne déserte aucun endroit de
notre vie ; il vient dans le noir, dans le triste, dans
l'enthousiasme, dans l'assurance de soi. C’est là qu'Il parle, c'est là
qu'il nous apprend à mourir aux choses qui passent, et à nous
éveiller à ce qui ne passe pas.
2. Gardons
dans notre mémoire vive les Ecritures, la
Promesse de Dieu et l'avènement de Jésus-Christ tels qu'ils sont
écrits. Nous y apprendrons à contempler l'immense de l’Alliance, sa
largeur avec Abraham, sa force avec Moïse, sa ténacité avec
Elie, et la profondeur de l’amour du Père avec Jésus-Christ ? Avec
lui et par lui nous vivons la forme de vie qui est en train de larguer
les amarres avec nos idoles.
Jean-Pierre Duplantier
Gn 22,1 -18 // Ps 115 // Ro 8,31-34 //St Marc 9, 2-10