Cette nuit,
sur tous les habitants du pays, une lumière se lève. Les frontières de la vie
que nous menons sont ouvertes. Il faut se frotter un peu les yeux, parce que
nous nous sommes habitués à vivre à l’étroit. Dans le petit monde de la rue, où
les gens passent, sans visage, sans voix, courant vers leur travail, les
courses, leurs affaires. Dans le petit monde de la famille, où le temps pour
s’écouter, se parler, s’accompagner, est dévoré par les soucis, les enfants qui
changent, la peur de manquer, la peur de grandir, la peur de vieillir. Dans le
petit monde des associations, des entreprises et des églises, où les
mondanités, les jalousies et les rumeurs détruisent nos liens. Dans le petit
monde où les écrans ont pris la main, où s’affiche trop souvent le côté sombre
du monde, et où les plus jeunes se prennent pour des héros solitaires, jouant
avec leurs fantasmes, leurs amours imaginaires, leurs rêves de puissance
jusqu’à des gestes de violence insensées.
La nuit de
Noël n’efface pas ce petit monde-là ; ce n’est pas une trêve, un moment de
répit, pour oublier, pour souffler un peu. Dans cette nuit, quelque chose
désobéit, insolemment, impudemment au monde dans lequel nous vivons : Dieu
nous sourit, quel que soit l’état de notre chemin, de notre foi, de nos
prières. Il réveille en nous son empreinte, ce que nous avons en commun,
l’énergie de son amour et de sa justice pour tous.
Ce que les
anges dans le ciel racontent aux bergers cette nuit-là se glisse à nouveau ce
soir en chacun de nous, au plus profond de nous, là où notre véritable désir
est enfoui, en attente, en souffrance. Les bergers les entendent dire qu’un
sauveur leur est né, qu’il est de la lignée de David, que son règne n’aura pas
de fin. Mais les anges ajoutent ceci : vous trouverez un nouveau-né
emmailloté et couché dans une mangeoire. L’état de cet enfant, le lieu où il
est posé, voilà ce qui nous est donné à voir.
Emmailloté.
Inséré, dépendant comme nous, dans les conditions historiques, politiques,
sociales, religieuses où il est né. Pour Jésus, c’est le temps du recensement
ordonné par l’empire romain par souci de contrôle, d’organisation et de
maîtrise de ses sujets. Ce sont les circonstances d’une auberge où il n’y a pas
de place pour ses parents. Et cela va continuer toute sa vie. Les foules
chercheront à l’enfermer dans un rôle de guérisseur, de chef de bande. Les
hommes religieux ne supporteront pas ce qu’il dit ni son comportement. Jésus
sera emmailloté dans le petit monde de son temps jusqu’à être condamné et cloué
sur une croix. Mais ni la peur ni la violence ne le détourneront de ce qu’il
porte dans sa chair.
Ce n’est pas
que cet enfant soit super doué, indépendant, déjà rebelle. C’est à cause de sa
parenté. Il est bien sorti du ventre de Marie, sa mère, mais il est né de Dieu.
Toute l’énergie d’amour et de justice de Dieu coule dans ses veines, éclaire
déjà son intelligence, commande son cœur, vibre dans son corps tout entier.
C’est en
cela d’abord qu’il désobéit au monde dans lequel il est né. Et le lieu même où
il naît en est le signe. Sa mère l’a déposé dans une mangeoire. Là où les
animaux trouvent leur nourriture. Cet enfant ne sera pas comme Caïn, le premier
fils d’Adam et Eve, assoiffé de mettre la main sur tout ce qui bouge autour de
lui, tenté indéfiniment de dévorer les personnes, les gens, la connaissance et
tout ce qui peut alimenter son pouvoir. Jésus sera notre nourriture. Il vient
pour nourrir tous les hommes de sa vie, de la parole de Dieu faite chair en
lui, de sa force d’aimer, de sa puissance à traverser tout ce qui instaure la
mort chez nous.
Ne vous y
trompez pas. La lumière de cette nuit est inséparable de celle de la
résurrection du Christ, de notre acceptation que ce fils de Dieu continue
aujourd’hui de faire se lever chez les hommes, quels qu’ils soient, l’énergie
d’amour et de justice que Dieu a semée chez eux dès l’origine. Noël n’est pas
un conte qui fait rêver les enfants et ne fait plus rire personne quand les
enfants sont grands. Cette nuit se lève à nouveau l’invitation à chacun d’entre
nous d’apprendre à voir et à entendre, chez les uns et les autres, et dans ce
qui nous arrive, les petites lumières qui sortent de leur cachette,
désobéissantes à la grisaille du temps, et qui nous viennent de Dieu.
Accueillir ce don de Dieu est un travail patient, besogneux, rigoureux. C’est
le plus souvent une affaire de détails plutôt qu’une grande envolée. C’est
toujours lié à ce qui se passe dans notre chair, dans notre cœur, dans nos
mains, dans nos paroles et nos gestes, plutôt que dans notre tête ou dans nos
émotions. Avec cet enfant de Noël, la parole de Dieu est venue dans notre
chair, une fois pour toutes.
Osons
trouver le temps et les moyens de faire plus ample connaissance avec Lui. Nous
ne sommes plus seuls. Il maintient sa présence active au milieu de nous, avec
Lui et entre nous. Le suivre devient notre chemin, notre vérité et notre vie.
Il est notre nourriture.
Et ce n’est
pas pour que nous prenions un quelconque pouvoir politique, culturel ou même
religieux dans notre pays ou ailleurs, mais pour témoigner, au jour le jour, de
l’énergie d’amour avec laquelle le désir de Dieu façonne les fils d’homme à son
image.
La terre
cesse alors d’être étrangère ; elle nous devient familière, quand cette
présence de Jésus y est plantée, … et les enfants y sont heureux, parce qu’ils
y a un avenir pour eux.
Jean-Pierre Duplantier
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