Un matin / Mc 16 1-8 / Une homélie de veillée pascale


Je voulais faire une homélie qui serait un grand cri de joie, une homélie exaltée qui proclamerait la victoire de la vie, le règne de la lumière….
Et puis, j’ai senti que quelque chose ne tournait pas rond, tout ce que j’écrivais me semblait sonner faux, je n’étais plus très sûr d’être vraiment dans ces phrases...
Comment va-t-on crier notre joie dans un monde qui va si mal ? Dans un pays si plein d’angoisses, contraints par cette pandémie qui n’en finit pas ?
N’est-ce pas artificiel de proclamer la victoire de la vie quand la mort semble à l’œuvre partout ?

J’étais donc dans une impasse, et, au fond, je crois que ça venait toucher aux limites de ma foi.
Si je vous dis tout ça, ce n’est pas parce que ma vie est intéressante, mais parce que ça rejoint peut-être une impression commune, particulière au temps que nous traversons.

C’est l’évangile qui m’a tiré de là.
C’est la fin de cet évangile, la toute fin, le dernier verset que, de manière étrange, la liturgie ne voulait pas nous faire entendre mais que j’ai rajouté :
« Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. »

Voilà la clef.
Elles ont vu le tombeau vide, elles ont entendu le message, elles sont les premières informées de l’événement, elles venaient trouver un mort, on leur confirme un vivant, elles prennent de plein fouet l’indescriptible joie…. Et elles repartent pétries de peur, tremblantes et silencieuses.

Ce n’est pas parce que nous croyons profondément à la réalité de la résurrection, que nous sommes libérés de nos angoisses.
Nous pouvons être sincèrement convaincus de la victoire de la vie sur la mort, et trembler devant la mort.
Il n’y a pas à avoir honte, cette faiblesse est inscrite dans l’évangile lui-même : le silence et les tremblements de ces femmes ressemblent aux nôtres….

La joie de Pâques ne peut que dépasser notre entendement, elle ne peut que nous dérouter, au fond, croire à la résurrection c’est le grand rendez-vous de notre foi.
Être désarmé par cette joie ne doit pas nous empêcher de l’affirmer au cœur même de nos contradictions !
Le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité !
En le proclamant dans ce monde tel qu’il est, dans notre monde malade, nous ne faisons pas semblant, ce n’est pas du théâtre, ce n’est pas de l’auto-suggestion… cette joie est possible en vérité
      … dans la foi.
 
Si nous sommes sortis ce matin quand il faisait encore nuit, c’est que nous fêtons la victoire de la lumière sur les ténèbres. Nous fêtons la victoire définitive du matin.
Pourtant... il y a la nuit
Le soleil levant qui nous réjouit ce matin, dès ce soir, va se coucher.
Dès ce soir, deux hommes, sur le chemin d’Emmaüs, sentiront les angoisses du soir qui tombe.
Dès ce soir, nous-même, nous verrons revenir avec la nuit nos préoccupations et nos propres angoisses.
Bien sûr il y aura encore des nuits, bien sûr nous aurons nos nuits.
Ce matin n’est pas la négation de nos nuits à venir….
Il ne les efface pas.
Il n’efface pas la grande nuit du monde.

Alors ? qu’est-ce que c’est que cette victoire ? Quelle est la nouveauté ? Sur quoi repose notre Joie ?
La pierre du tombeau est roulée ! Et celui qui était dedans est désormais dehors !
Libéré du tombeau, il habite nos nuits, il reste avec nous quand le soir tombe.
La grande nouveauté, ce qui fait que nous vivons un nouveau matin, l’aube d’un premier jour, la possibilité d’une vrai joie, c’est qu’aucune nuit désormais ne se vivra sans lui.
Dans nos ténèbres, il descend
Dans nos angoisses du soir, il nous rejoint
Dans le très-bas de nos nuits, il nous précède
A l’heure de notre mort, il est là.
     … dans la foi.

Qui roulera la pierre de nos angoisses ?
       Elle est déjà roulée
Qui roulera pour nous la pierre de nos échecs, de nos manquements, de notre nullité ?
       Elle est déjà roulée
Qui roulera pour nous la pierre de nos morts quotidiennes ?
       Elle est déjà roulée

Ne lâchons pas ce dernier verset : « Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur »
Ça nous dit : « ne vous inquiétez pas de vos silences ! Ne culpabilisez pas de ne pas être des héros ! »
Ces femmes, témoins éblouies du matin de pâques n’ont pas réussi à dire un mot de ce qui leur était demandé ! Et pourtant nous sommes là ce matin ! 2000 ans plus tard !

Regardez ces catéchumènes qui se présentent partout aux portes de nos églises ? Sont-ils venus grâce à nous ? Non.
Sont-ils venus parce que l’Église donne un spectacle séduisant de ce qu’elle est ? j’imagine que non.
Ils viennent parce qu’ils ont entendu que le Seigneur les précède en Galilée.
Ils viennent parce qu’ils ont vu de la lumière !

Le Christ est ressuscité !
Il est vraiment ressuscité !
Osons nous laisser prendre par la joie

- Joie d’être ici ce matin ensemble !
Souvenez-vous l’année dernière
- Joie de vivre l’évangile à l’heure de l’évangile !
De finir la grande traversée de la nuit non pas pour aller se coucher, mais pour sortir dans la lumière d’un jour nouveau !
- Joie de célébrer dans une église construite à l’envers !!
Vous le savez, normalement toutes les églises sont tournées vers le soleil levant. Eh bien nous non ! A Gradignan nous avons la tête à l’ouest et les pieds à l’Est.
Quelle merveille !
Parce qu’en sortant tout à l’heure, nous sortirons vers la lumière, nous serons accueillis au monde dans le grand éblouissement du soleil levant !

Pensez-y quand vous sortirez tout à l’heure… prenez le temps de faire face à la lumière.
Au fond, tout ce que nous vivons ce matin dans cette église se trouvera accompli à ce moment-là : le moment où l’on est mis dehors, le moment où l’on se disperse dans le monde, porteur pour le monde de la certitude que le Christ est ressuscité, signes pour le monde de la Joie de Pâques, signes insignifiants comme l’étaient ces femmes.

Que cette lumière du matin s’inscrive en nous, pour qu’au temps de la nuit, nous y puisions la Joie.

╬ Amen Alleluia !
Sylvain, diacre
 


 

2 commentaires:

  1. Je n'étais pas présent ce matin, mais une femme silencieuse, après s'être dispersée vers le soleil levant, m'a transmis ton homélie qui touche au coeur. Merci maman, merci Sylvain. Joyeuses Pâques

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  2. Je savais que je ne profiterai pas de cette homelie en celebrant Pâques à 11h dimanche... Mais mon esperance était de la lire.
    C est fait, MERCI Sylvain de tes mots qui nous deculpabilisent toujours et nous donnent tant de courage et d'esperance.
    A bientôt j espere pour lire ensemble.

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