Si quelqu’un guérit un homme en mon nom / Marc 9 38..48 /Une homélie de JP Duplantier



Il nous arrive parfois d’être fier de l’Eglise, de la façon dont Jésus-Christ nous montre la force et la beauté de son amour pour le monde. Ce que nous offrent  les textes que nous venons d’entendre nous invite aujourd’hui.
 
D’abord, il y a le rêve de Moïse. L’Esprit s’est posé sur les 70 anciens qui étaient autour de lui. Mais deux hommes n’étaient pas là. Ils étaient dans le camp. Et l’Esprit s’est posé sur eux aussi. Quelqu’un prévient Moïse, « ils n’ont pas le droit. Arrête-les » Et Moïse répond : « ah ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur tout son peuple. » 
 
Avec ses disciples, Jésus se trouve dans une situation semblable. Pour eux, Jésus est le centre d’une nouvelle réorganisation et pacification du monde. Si quelqu’un guérit un possédé en son nom, alors qu’il n’est pas du groupe, il faut l’arrêter. Il n’a pas le droit. Jésus répond : « si quelqu’un guérit un homme en mon nom, il ne peut pas, juste après, mal parler de moi. » Question : est-ce que l’énergie de Jésus peut se manifester dans une personne ou un groupe qui n’est pas pratiquante, ni même chrétienne. Chez un musulman, un hindou ou un agnostique, par exemple ?  Qu’est-ce donc qu’agir en son nom ?
 
Dimanche dernier déjà, Sylvain nous a montré comment ce chapitre 9 de st. Marc, nous en parle. Il appelle un enfant, il l’embrasse et le place au milieu des disciples. Puis il dit : « celui qui accueille un enfant en mon nom, c’est moi qu’il accueille ; et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qui l’accueille, mais Celui mais Celui qui m’a envoyé. » Le sacrement, comme il disait, c’est l’enfant embrassé, c’est-à-dire l’impact sur un petit d’homme du baiser de Jésus. Là est la révélation première.
 
Supposez qu’il existe un réseau social, auquel tous les humains sont connectés depuis le commencement et sur toute la planète. Il ne s’appelle pas Facebook ou Twitter, mais « au nom du Père, du Fils et du saint Esprit ». Cette connexion est effective depuis que ces trois-là ont décidé que l’homme - une espèce d’animal, un primate en bout de son évolution, un être social et parlant - allait devenir fils de Dieu, et porter son image.
L’aventure humaine se présente alors comme une sorte de mutation, déclenchée par l’impact de l’amour du Père, la Parole du Fils et l’énergie de l’Esprit : l’homme est appelé à passer de la condition humaine, à la condition de fils de Dieu. Ce réseau social devient, non pas un club, dont l’importance se mesure à son nombre d’adhérents, mais un ensemble dont la cohésion est la force d’attraction du désir de Dieu. 
 
Dès lors, quand nous établissons un contact avec un membre de ce réseau, nous nous trouvons en présence de quelqu’un qui est touché déjà, à son insu ou non, par la dynamique de cette mutation. Il est comme l’enfant que Jésus place au milieu de nous, il est embrassé par Dieu lui-même depuis le commencement.
Jésus de Nazareth, par sa vie, sa mort et sa résurrection, réalise en ce geste sa fonction de Christ. Par fonction « Christ », il faut entendre l’inscription dans l’aventure humaine d’un point de non-retour de cette mutation de l’homme à la condition de fils de Dieu. Saint Paul le disait ainsi : « désormais toute la création aspire à la révélation des fils de Dieu ».
 
Jésus en nomme alors le premier effet : quand vous accueillez un enfant que Jésus embrasse, c’est le Christ que vous accueillez, et son Père. Vous accueillez toute la série d’un coup. Vous voilà en présence d’une chaîne, où tous les hommes se trouvent insérés selon la tendresse de Dieu, quelle que soit son époque ou la région où il vit.
 
Vient alors dans le récit de Marc, l’affirmation de Jésus :« celui qui donne un verre d’eau à l’un de ces petits qui croient, au nom de ce que vous êtes en Christ, il ne restera pas sans récompense ». Les petits qui croient, ce sont tous ceux qui ont fait l’expérience, à un moment ou l’autre de leur vie, de la beauté de l’amour de Dieu pour eux, et qui y  croient, même sans comprendre, même sans savoir le dire ni le montrer. Ils ont été embrassés par le Christ un jour, et ils s’accrochent à cet instant de vérité. Ils sont étonnés, éblouis, chaque fois qu’un coucher de soleil ou le sourire d’une femme déborde soudain ce qu’ils perçoivent de la vie et l’intelligence qu’ils en ont. Ceci suffit à réveiller en eux une petite espérance insubmersible. C’est le trésor des petits qui croient. Ni le ver de l’injustice, ni le feu des ambitions ne peuvent l’entamer. Quant à la récompense de celui qui les accueille, c’est de toucher lui-même l’éternité de la tendresse de Dieu. Il ne s’en remettra jamais. Sa mutation à la condition de fils est désormais en cours. 
 
Jésus ajoute un deuxième volet à l’expérience que nous faisons de notre appartenance commune à ce réseau, à cette dynamique de notre mutation. « Si quelqu’un, dit-il, est une occasion de chute pour un seul de ces petits qui croient en moi, il vaut mieux pour lui qu’on lui attache une meule au cou et qu’on le jette à la mer. » Pourquoi devient-il subitement si violent ? Est-ce une condamnation d’une partie notable des humains? C’est peu probable : Dieu a engagé cette mutation pour tous les hommes, et il n’a pas l’intention d’en laisser filer un seul. C’est peut-être un traitement. Un traitement nécessaire : pour passer à la condition de fils, il faut qu’une part de nous cesse de tenir le volant de notre vie. 
 
Dans la trajectoire de cette mutation, il y a en effet des ruptures inévitables. Continuer à vouloir être le plus grand, le plus beau, le plus fort n’est pas compatible avec la condition de fils de Dieu. Obéir à la pulsion de tout dévorer, ce qui est beau à voir, bon à manger, utile pour la connaissance, non plus. Joui de s’imposer tout le temps, jusqu’à écraser ceux qui nous gênent. Il faut que cette part de nous, le vieil homme comme dit Paul, bien visible souvent à la surface de nos relations et de nos comportements, plonge dans la mer, rejoigne tout ce qui s’en va de toute façon. Avec une meule de la taille de la grandeur que nous nous imaginons avoir. 
 
 Et Jésus poursuit : cette dynamique de notre mutation déborde notre attachement à des principes, à des valeurs ou des codes. Eux aussi passent, dès que nous traversons une frontière culturelle ou sociale. Il arrive parfois que, dans une famille, son capital matériel ou immatériel juge insupportable une « mésalliance ». Il est écrit : « l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme pour une seule chair ». Mais la « seule chair » en question devient souvent la reproduction du modèle familial antérieur, ou l’unité des époux, ou encore l’enfant qui y vient, mais plus difficilement la chair ressuscité du Christ, le corps dont il est la tête.
 
Visiblement, pour Jésus, la mutation vers le condition de fils de Dieu passe en réalité par l’usage que nous faisons de nos mains, de nos pieds et de nos yeux. Il faut donc couper avec nos façons dont nous mettons la main sur tout, sur les choses et les gens. Cela c’est pour les mains. Il faut couper avec nos courses à la consommation effrénée, la croissance sans limite, la jouissance folle du tout, tout de suite. Ceci c’est pour les pieds. Couper aussi avec nos regards mauvais, nos jugements qui détruisent l’autre. Là, c’est pour les yeux. Évidemment çà tranche dans la chair et c’est douloureux, mais c’est nécessaire. Car l’enjeu n’est pas la résistance à l’évolution des mœurs, mais l’acceptation de suivre le Christ, de porter sa croix. Et la sanction n’est pas seulement l’arrêt de notre marche dans son sillage ; c’est notre vie qui pourrit, mangé par les vers, comme Hérode,  ou se consumant indéfiniment dans les déchetteries du monde, comme dans ce ravin près de Jérusalem, qu’on appelait la géhenne. 
 
Oui, comme le dit le pape François, il y a une étroite connexion entre le respect de ces petits et l’usage que nous faisons des ressources de la nature. Il y va de notre vivre ensemble, dès maintenant. Là est notre témoignage dans le monde de notre foi en Christ, en sa mort et sa résurrection.
 
Au bout du compte, ce réseau social se révèle tout autre qu’un espace échangiste. Il tient sa puissance de communion de l’annonce heureuse de l’œuvre de Dieu en cours à l’intérieur du développement humain.
 
« Ah ! si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur tout son peuple ».  Prions ensemble : L’Esprit saint est en train de réaliser avec nous le rêve de Moïse. 
Jean-Pierre Duplantier