Jésus nous échappe / Une homélie de JP Duplantier

Un jour, alors qu’il marchait avec ses disciples, dans la région de Césarée, il leur demanda qu’est-ce qu’on pensait de lui. Ils répondirent : Jean-Baptiste, celui qu’Hérode avait fait exécuter, ou Elie, ou un autre prophète. Mais Jésus précise : je ne vous demande pas de me comparer à des personnages, envoyés par Dieu, et dont vous avez déjà une idée plus ou moins juste. Dites ce que je suis pour vous.
Dans la bouche de Pierre vient le mot Christ. Dans notre traduction, on écrit Messie. Mais nous savons bien qu’il y a un écart entre Jésus-Christ et le messie que les juifs attendent. Alors Jésus précise les choses. Il est celui qui vient après l’homme. Il est le Fils de l’homme.
Et voici le parcours, la dynamique de ce Fils de l’homme : souffrir, être rejeté, être tué et, le troisième jour, se lever, ou ressusciter comme nous disons. Nous pouvons trouver des causes à ses souffrances, à son rejet et à sa mort. Mais pour « se lever d’entre les morts », nous sommes dépassés, notre raison s’affole, la structure de notre connaissance se révèle limitée, incomplète.
Jésus, le Christ, le Fils de l’homme, nous échappe dans son chemin, dans sa vérité, dans sa vie.
            Le suivre alors, qu’est-ce que c’est pour nous ? Là encore nous pouvons répondre avec des choses que nous connaissons déjà : prier, venir à la messe, lire la Bible et agir en conséquence, comme le dit l’apôtre Jacques : partager avec ceux qui sont dans le besoin, tenir sa langue et pratiquer la justice. C’est un bon programme. Mais souvent c’est le moteur qui est en panne. Il faudrait une force à l’intérieur de nous qui nous pulse à la suite du Christ. Surtout si le parcours du Fils de l’homme passe par perdre ce qui fait notre vie, notre générosité personnelle, notre convoitise, notre volonté de maitrise et bien d’autres choses encore, pour sortir vers le Royaume de Dieu.
Or cette force est déjà en nous, et ce n’est pas celle de notre volonté et de notre connaissance. C’est l’impact mystérieux de l’Esprit au plus profond ; c’est la façon dont il a inscrit la Parole vive de Jésus-Christ et la volonté de notre Père de nous conduire par la main jusqu’à lui. Cette expérience étonnante de la venue du Fils de l’homme dans la vie des apôtres a eu lieu à travers ce qu’ils ont vu et entendu de Jésus. Mais Jésus leur a été enlevé et c’est l’Esprit, le jour de la Pentecôte, qui leur fait reconnaitre que Jésus accomplissait tout ce qui avait été annoncé dans les Ecritures, et que le propos de Dieu visait tous les hommes. Et dès la deuxième génération, avec ceux qui n’avaient pas connu Jésus, c’est cette venue en eux, de la Parole vive du Fils de l’homme, et celle de la force de son Esprit qui a changé leur existence et la nature de leur désir. Ils l’ont reçu à travers le témoignage des apôtres et des disciples. Mais la foi leur a été donnée par Dieu, à travers ces témoins.
            Je nous souhaite que cette année nous appliquions à reconnaître ce don de Dieu, reçu par chacun sans que nous n’ayons encore rien fait, ni rien demandé. Sans doute nous ne souvenons pas des moments décisifs de cette venue du Christ en nous. Mais ce n’est pas de souvenir qu’il s’agit, c’est de reconnaissance de son initiative dans notre vie.
C’est cet acte de Dieu en nous qui nous fait entendre la Parole qui nous est donnée à chaque eucharistie. C’est ce don de Dieu qui nous fait passer, à chaque messe, du pain et du vin que nous mangeons et buvons, à la nouvelle condition humaine de membres du Corps du Christ, à la nouvelle condition humaine de fils de Dieu. C’est ce don de Dieu en nous qui passe à travers nos actions de partage, de justice et d’intelligence. C’est ainsi que le Fils de l’homme, lui-même, élargit sa présence et son amour à tous ceux que nous rencontrons. C’est lui, à travers nous, qui évangélise. Suivre Jésus-Christ, c’est vivre de lui.