Il
va falloir abandonner l’idée que Jésus nous décrit le tri entre
les gentils et les méchants. Les gentils qui reçoivent leur
récompense parce qu’ils ont été gentils avec les petits et les
faibles et les méchants qui sont jetés au feu parce qu’ils ont
ignoré les petits et les faibles.
Il
va falloir abandonner l’idée que nous serions des gentils ou des
méchants.
Que
nous serions ceux qui voient Jésus dans les petits et les pauvres et
donc voués au bonheur, ou ceux qui ne voient rien et donc condamnés
à souffrir pour l’éternité.
Il
va falloir abandonner les images du moyen-âge. Et ça ne va pas être
facile !
Le texte est beaucoup plus étrange, infiniment plus fin,
et à y regarder de plus près, ce n’est pas du tout ça qu’il
raconte.
Le
fils de l’homme vient pour séparer. Il sépare ce qui est brebis
de ce qui est bouc.
La
brebis on connaît dans l’évangile… elle a souvent à voir avec
la part aimée de Dieu, la part qu’il s’est choisie, c’est ce
que nous raconte le psaume qu’on connaît si bien : la brebis
qui traverse les ravins de la mort sans craindre aucun mal.
Le bouc, c’est plus surprenant. Je vous propose, pour faire
simple, que l’on prenne le bouc comme la part grossière, celle qui
ne sent pas très bon, celle qui fonce dans le tas tête baissée, la
part violente, la part colérique, celle qui exerce son pouvoir
bêtement.
Normalement
la brebis et le bouc ne se connaissent pas, ils n’ont rien à faire
ensemble (la brebis devrait aller avec son bélier et le bouc avec sa
chèvre).
Le
fils de l’homme sépare ce qui se trouve mélangé par erreur :
ce qui est brebis de ce qui est bouc.
Ce
qui est brebis a pris soin de l’affamé, de l’assoiffé, de
l’étranger, du dénudé, du malade et du prisonnier. Il ne reçoit
pas de récompense pour cela, il reçoit un héritage (un
héritage n’est pas une récompense, c’est un effet de
filiation), et il reçoit aussi un royaume préparé pour lui depuis
toujours.
Faisons
l’hypothèse que la part brebis a fait son boulot de brebis.
Elle
l’a fait non pas parce qu’elle est gentille, mais parce qu’elle
est faite pour ça. Elle porte ça en elle.
Ce
qui est bouc n’a pas pris soin de l’affamé, de l’assoiffé, de
l’étranger, du dénudé, du malade et du prisonnier. Il n’est
pas puni pour ça : il rejoint un feu préparé pour un autre (le
texte dit pour le diable et ses anges).
Faisons
l’hypothèse que la part bouc a fait son boulot de bouc… c’est
à dire qu’elle n’a rien fait.
Elle
n’a pas rien fait parce qu’elle est méchante, elle n’a rien
fait parce qu’un bouc, ce n’est pas doué, ce n’est pas malin.
Ni
la part brebis, ni la part bouc n’a vu le fils de l’homme dans
les petits rencontrés sur son chemin. Du côté des yeux, elles sont
aussi aveugles l’une que l’autre. Aucune n’a reconnu dans
l’affamé, l’assoiffé, l’étranger, le dénudé, le malade et
le prisonnier, la présence du roi. Du roi de l’univers.
Ce
n’est pas l’histoire du prince changé en crapaud ou de la fée
déguisée en vieille mendiante, qui se révèlent à ceux qui ont su
passer au-delà des apparences. Non, ici, ce n’est pas un
déguisement, ce n’est pas un piège : ces malheureux sont
présence réelle du roi.
Au
jour du jugement, ce roi séparera, en chacun de nous, la
part-qui-a-fait et celle qui n’a rien fait. La part qui a servi le
roi sans le savoir et celle qui n’a servi personne sans s’en
rendre compte. Au jour du jugement, nous serons heureux de voir
partir au feu notre part défaillante et nous serons heureux de
recevoir le royaume-même de ce roi, un royaume préparé pour notre
part brebis.
Jésus
nous libère de toute culpabilité et de toute tentation d’héroïsme.
Il nous prévient : « vous ne me verrez pas : Ne
servez pas les pauvres et les petits pour me servir moi.
Servez-les pour les servir eux ! Laissez faire en vous ce
qui saura donner à manger et à boire, ce qui saura accueillir,
habiller, soigner et visiter. Laissez bosser la brebis et tant pis
pour le bouc. »
Un
jour vient, où le roi fera le tri
Et
nul ne sera condamné
« Au
roi des siècles, Dieu immortel, invisible et unique, honneur et
gloire pour les siècles des siècles ! »
(1Th1 17)
╬ Amen !
Sylvain
diacre
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