La crucifixion / Marc 15-16 / Une homélie de JP Duplantier

L’officier romain voit Jésus mourir, en poussant un grand cri, et il dit : « cet homme est le Fils de Dieu ». Qu’a-t-il vu de particulier, que les autres ne semblent pas avoir vu ? Que veut-il dire ? « Cet homme est le Fils de Dieu ». Aucun commentaire, aucune explication dans le récit de l’évangile.
 
C’est comme cela dans toute la Bible : il n’y a pas d’explication sur Dieu, ou de définition du Fils de Dieu ; il y a le témoignage d’hommes et de femmes qui ont vu de leurs yeux, entendu de leurs oreilles, reçu dans leur cœur, la visite de Dieu. Comme Job, par exemple : « Je sais que mon libérateur est vivant et qu’à la fin,  je me tiendrai debout et de mes yeux de chair je verrai Dieu. » Comme l’officier romain et comme pour nous aussi. Parce que nous aussi nous avons vu et entendu. Toute la création, dit Paul, attend avec impatience la révélation des fils de Dieu, c’est-à-dire la nôtre.
La Bible ne fait que mettre en scène des témoins, comme Abraham, Moïse, les prophètes, mais aussi une veuve et son fils qui n’ont plus rien à se mettre sous la dent, ou un paysan à qui on vole sa vigne, ou une population déplacée, exilée en terre étrangère. Tous ces témoins attestent qu’ils habitent la terre sous un ciel habité. Et nous sommes comme eux.  
 
Ces choses-là portent un nom dans la Bible : ce sont les restes. Ce qui reste de la force vive de Dieu dans le monde, que personne n’a pu effacer ; qu’aucune organisation humaine, aucune culture, aucune technique, aucune violence n’a jamais pu enterrer définitivement. 
 
Ces restes indestructibles de l’amour de Dieu, vous en avez été témoins, à un moment ou à un autre. C’est le geste, la parole ou le sourire, inattendu, inoubliable, d’un mari, par exemple, aujourd’hui décédé, qui vous a laissé ce cadeau un soir ou un matin, peut-être à un moment où la vie était devenu difficile entre vous, parce qu’il était dans ses souffrances ou sa violence, et puis soudain un mot, un regard et la lumière s’est levée. Vous vous souvenez surement aussi de cet enfant qui était parti loin et qui est revenu, l’espace d’une visite, trop courte pour que vous soyez rassuré, mais assez longue pour que l’espoir à nouveau habite votre coeur.  Cela nous vient même parfois de quelqu’un qui nous a fait du mal et dont on n’attendait plus rien, et puis, soudain, un détail revient et nous voilà bouleversé : lui aussi porte dans sa chair un reste de l’amour que Dieu a semé en lui ; et ce reste est toujours là. Comme disait un évêque célèbre du moyen-âge : ce n’est parce qu’il y a eu des rats dans la réserve à blé, qu’il faut jeter tout le blé.
 
Ces instants de lumière qui ont traversé nos liens, sont les semences de Dieu dans nos corps. Cela ne se voit pas tous les jours. Mais une seule fois suffit pour que nous en soyons marqués à vie. 
 
Notre foi en Jésus-Christ a à faire avec ces révélations dans la chair. La Parole de Dieu, sa présence, n’arrive jusqu’à nous que par et dans le corps d’un homme, en chair et en os, qui vous adresse directement cet amour que Dieu nous porte. C’est cela que nous avons en commun ici. C’est cela qui nous est offert à reconnaitre ce matin. La foi c’est toujours quelque chose qui vous est arrivé, à l’improviste, par quelqu’un, que Dieu vous a envoyé. C’est cela qui fait notre lien indissoluble entre les vivants et les morts. 
 
Pour l’officier romain qui a vu mourir Jésus, ce fut une révélation. La mort est toujours un cri, silencieux, douloureux ou lumineux. Un cri de celui ou celle qui nous est enlevé. Le cri de Jésus, c’est ce qui sort de son corps déchiré, son dernier souffle. Et ce souffle, c’est ce qu’il porte dans son corps depuis le commencement. Ce n’est pas un reste, c’est l’amour de son Père tout entier. Chez Lui, ce souffle n’a jamais cessé de le travailler, de le relever, de l’habiter, de mettre dans sa bouche des paroles inoubliables, de faire sortir de ses mains une force incroyable. Ceux qui ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre sont devenus des témoins et ce témoignage continue son chemin chez nous et rien ne peut l’éteindre
 
Tous les hommes sont façonnés avec cette chair-là, sensible à ce souffle, qui n’abandonne jamais, qui ne rejette jamais, même si çà passe par des pleurs et des grincements de dents. Tous ici nous en savons quelque chose. Nous l’avons vu passer dans les yeux de ceux qui nous ont quittés. A tel ou tel instant de joie inexpliquée, de colère terrible, de pardon inespéré, de larme silencieuse. Souvent nous n’osons pas le dire, mais cet homme ou cette femme que nous aimions et qui est décédée, il avait quelque chose du Fils de Dieu en lui.
 
C’est vrai aussi que nous résistons, à ce réel invisible qui se montre dans le visible. Etre rassemblés dans le Corps du Christ est une action de l’Esprit qui a du mal à prendre sa place dans notre désir. Le corps, pour nous, c’est nous d’abord, visible, personnel, mouvementé. Nous y tenons, parce que c’est notre ancrage concret, quotidien. Il mange, il boit, il souffre, il aime, il imagine, il rêve, il fait aussi n’importe quoi parfois, le meilleur et le pire. Et çà c’est à nous ; çà nous appartient.  Oui mais notre corps peut être aussi attiré, enlevé, au-delà de lui-même par une force d’attraction qui vient d’ailleurs. Toutes nos histoires d’amour en garde une trace, fragile, brisée ou durable, mais inoubliable. 
 
En vérité, les corps que nous connaissons sont en voyage. Comme le dit l’Apocalypse de saint Jean, chacun de nos corps appartiennent à la foule immense de ceux qui viennent de la grande épreuve. Devant, marche l’agneau de Dieu ; il porte à son côté une blessure ; de l’eau et du sang coule jusqu’à nous ; ils sont la source de la vie amoureuse de Dieu pour nous. Avec lui, une multitude est déjà arrivée devant notre Père des cieux ; ils chantent sa gloire et Dieu essuie toute larme de leurs yeux. Ils sont ce Corps du Christ qui a obéi enfin au désir du Père quand il a dit : « faisons l’homme à notre image ».

Derrière eux, il y a nous, comme le dit saint Paul : la création toute entière gémit dans les douleurs de l’enfantement. Cà grince ; çà souffre ; çà aime aussi; çà se révolte et çà pardonne. Cette immense foule n’est pas pour demain ; elle est en route. Nous en sommes, nous qui prions pour nos morts ce matin. Ils sont au-devant de nous dans la lumière. Ils en ont été les porteurs, en de toutes petites choses souvent, mais ces petit riens étaient pleins de la puissance d’amour de Dieu.
Jean-Pierre Duplantier

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