On nous a dit, vous l’avez entendu comme moi :
« cette
année, Noël ne sera pas une fête normale »
Depuis
quand Noël est une fête normale ?
Qu’y
a-t-il de normal dans Noël ?
- Est-ce
que la venue du créateur de l’univers dans un enfant couché dans
une mangeoire c’est normal ?
- Est-ce
qu’un enfant né d’une Vierge c’est normal ?
- Est-ce
que l’incarnation du Verbe de Dieu dans la chair c’est normal ?
Noël
et la normalité, ça ne marche pas ensemble.
Noël
n’est jamais une fête normale. Et ça serait très mauvais signe
pour nous si ça le devenait, si pour nous, tout ça était devenu
normal, si plus rien dans cette histoire ne nous surprenait.
Ce
serait aussi grave que de venir communier en trouvant ça normal !
Aujourd’hui
nous avons à contempler un des sommets de l’anormalité :
Un
ange – sans ailes – entre chez une jeune fiancée, et les deux se
mettent à dialoguer.
Il
est question d’une conception sans homme, d’un trône et d’un
règne pour toujours, de l’Esprit-saint et de l’ombre de la
puissance de Dieu…
Pas
un mot de ce dialogue, pas une seule réaction de cette jeune fille
n’est normale !
Son
consentement à la parole de l’ange est une pure folie, absolument
incompréhensible pour nous. Personne de normal ne s’auto-proclame
Esclave. Personne de normal n’accepte de donner sa chair à
un contrat aussi fou et aussi flou…
Mais
Marie n’est pas normale.
Marie
est « comblée de grâce »
Je
ne sais pas ce que c’est être « comblé de grâce »,
être plein, rempli, comblé comme un œuf... saturé de grâce !
Alain
Dagron dit qu’être « comblé de grâce » c’est
« avoir l’élégance de ceux qui se savent aimés ».
Alors
si Marie n’est pas normale, c’est peut-être parce qu’elle n’a
pas oublié qu’elle est follement aimée de Dieu.
Elle
ne l’a pas oublié comme nous, ou du moins, elle, elle y croit.
Elle y croit en vérité ! Quand nous passons notre vie à
résister par orgueil à cet amour…
« Et
l’ange la quitta »
Précision
admirable de l’Evangile !
Pourquoi
faut-il que l’on entende « et l’ange la quitta » ?
Marie
est donc laissée seule.
Pas
d’ange autour d’elle pour la servir ou lui jouer de la harpe !
Non,
l’ange la quitte.
C’est
le seul ange de l’histoire de Marie. Elle n’aura plus jamais
affaire aux anges.
Marie
n’a pas besoin d’anges. Car les anges sont les mots, les messages
de Dieu, mais Marie a donné sa chair à la Parole toute entière.
Elle
n’a pas à accueillir les messages de Dieu puisqu’elle a
accueilli le Verbe lui-même !
Que
voulez-vous qu’un ange lui dise quand elle a porté
Dieu-qui-parle ?
L’ange
la quitta
Merveille
incomparable de l’Evangile
puissance
inégalable de ce texte
A-t-on
mesuré le cadeau qui nous est donné avec l’Evangile ? Oh
non, sinon, nous nous bousculerions aux groupes de lecture, sinon, il
y aurait des manifestations dans la rue pour réclamer des temps de
lecture !
Mais
non, l’Evangile est devenu pour nous un texte « normal »
Et
si ce Noël enfin anormal était l’occasion d’ouvrir les yeux ?
Etre
chrétien, c’est renoncer à la normalité !
- Il
n’est pas normal d’aimer ses ennemis, de proclamer heureux les
pauvres, de mettre sa foi dans l’enfant d’une Vierge qui un
beau matin déserte son tombeau !
- ni
de s’avancer vers une table pour manger un bout de pain qu’on
nous désigne « corps du Christ »
- ni
de verser de l’eau sur le front des enfants pour en faire les
membres de ce même corps !
Et
je pourrais continuer la liste… et elle n’en finirait pas
Quand
nous serons normaux, nous ne serons plus chrétiens.
La
normalité, c’est le désir du monde et c’est le désir du
diable : tous pareils, bien sages, bien muets, bien rangés sous
une sécurité globale.
C’est
ça qu’il faut dire aux jeunes, c’est ça qu’il faut affirmer
aux ados quand ils commencent à trouver louche ce qu’ils entendent
à la messe : vouloir leur expliquer, c’est voué à l’échec !
On
n’explique pas « qu’il me soit fait selon ta parole »,
on n’explique pas « ceci est mon corps », on s’y
plonge !
Expliquer,
c’est tuer*. C’est fermer l’espace de la Voix, c’est empêcher
justement que sa Parole fasse en nos entrailles ce qu’elle a à
faire : concevoir un Fils.
Marie
ne demande pas d’explications, l’ange ne lui en donne pas, et
elle n’a que faire de comprendre.
Aux
jeunes (et aux autres), il faudrait dire « vas-y ! n’aie
pas peur, viens te frotter à ces mots et à ces gestes !
Cherche tes propres mots, fait entendre ta voix, n’éteint pas ta
révolte mais travaille-la. Accepte cette folie qui est l’unique
Vérité, et ne te laisse pas troubler par les illusions de
normalité »
Dans
quelques jours nous allons fêter Noël, dans les conditions que l’on
connaît… et bien qu’importe ! Ne nous laissons pas voler la
folie de Noël !
Quoi
qu’il arrive, où que nous soyons, soyons brûlants, soyons fous
comme Marie, soyons des poètes de la Parole ; soyons comblés
de Grâce !
Accueillons
les anges qui ne manqueront pas de rentrer chez nous, cette année
plus encore que d’habitude, car les anges détestent les portes
closes.
Et
demandons au Seigneur avec ardeur, prions sans cesse avec fièvre :
« Ô
Seigneur, garde-nous de toute normalité ! »
Joyeux
Noël ! ╬ Amen
Sylvain,
diacre
*« a force de vouloir comprendre la logique qui régit l’opératoire du monde et des êtres, nous devenons sourds. Etre sourd, c’est comprendre sans entendre. Je connais des enfants qui meurent d’être compris (…) Je connais des adultes qui meurent et qui tuent de vouloir comprendre, tout comprendre. » Denis Vasse, L’arbre de la voix p83
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