La fête de l’assomption de Marie nous offre des récits bibliques qui
réveillent et questionnent en nous des zones tumultueuses de notre
imaginaire : des forces extraterrestres envahissent notre espace. D’abord
il y a une femme, avec le soleil pour manteau, la lune sous ses pieds et une
couronne de douze étoiles sur la tête. Elle est enceinte et crie dans les
douleurs de l’enfantement. Une sorte de reine fantastique, à admirer, à
défendre. Devant elle, un dragon, rouge feu ; il a sept têtes et dix
cornes ; sur chacune un diadème, l’insigne de son pouvoir de
destruction ; il est posté devant la femme pour dévorer l’enfant dès sa
naissance.
Si la Bible utilise ce langage, c’est pour atteindre le fond de nos
âmes, de nos peurs, et de nos rêves, tout ce qui est secrètement en désir ou en
danger dans nos vies. Ce n’est pas de la superstition ou des terreurs
archaïques. Bien sûr en Europe, et en France particulièrement, nous refoulons
ces choses : notre raison ne supporte pas ce genre d’effraction dans la
zone de notre maitrise de la vie et du monde. Mais la foi en Dieu et en son
Christ, mort et ressuscité pour enlever le péché du monde, déborde, sature
notre raison. Et Marie, et son assomption avec son corps dans le ciel, tient
une place toute particulière dans cette irruption de la puissance de Dieu dans
notre espace terrestre. C’est bien pour cela que la religion populaire, dont
beaucoup chez nous se méfient, pousse des foules à aller toucher le rocher de
la vierge à Lourdes, ou que nous bénissons les bateaux sur nos côtes
aujourd’hui.
Précisons un
peu les choses : l’intervention de Dieu en Egypte pour en faire sortir le
peuple d’Israël, la venue du Verbe de Dieu dans notre chair, pour que la
puissance de sa vie engloutisse la mort, comme le dit saint Paul, sont bel et
bien dans notre mémoire l’irruption d’un champ de force venue d’ailleurs, pour
modifier et organiser autrement nos manières de voir, d’agir et de sentir.
Tous ceux
qui aiment regarder les films qui racontent des contacts entre notre planète et
des visiteurs de l’espace, savent ce qu’est un champ de force : là où ils
arrivent tout est troublé, en nous et entre-nous ; les envahisseurs
s’infiltrent partout ; ils brouillent nos communications et détruisent nos
centres de commandement. De même, ces jours-ci, les astronomes du monde entier
ont les yeux rivés sur ce coin du ciel où la comète Tchouri entre dans le champ
de force du soleil, pour en savoir plus sur ce genre d’événement. Oui, tout çà
est en partie de l’imaginaire : nous avons vite fait d’en rajouter
beaucoup. Mais notre foi en Dieu atteint cette partie de nous ; l’imaginaire
est même une zone majeure de son Incarnation. Si nous voulons célébrer Marie,
nous émerveiller d’elle et la prier vraiment, il vaudrait mieux de ne pas trop
se tenir à l’écart de ce que porte d’invasif, de dérangeant, la mémoire du
peuple de Dieu.
Quand Paul
écrit : « Tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir
royal à Dieu notre Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute
principauté, toute souveraineté et Puissance », de quoi parle-t-il sinon
de la domination du champ de forces de Dieu sur l’organisation de notre
monde ?
Et Marie nous en apprend beaucoup sur
ces choses-là. Le récit de la visitation nous en dévoile un moment majeur.
Voici ce qu’écrit Christian de
Chergé : « J’imagine
assez bien que nous sommes dans cette situation de Marie qui va voir sa cousine
Elisabeth et qui porte en elle un secret vivant qui est encore celui que nous
pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle vivante. Elle l’a reçue d’un
ange. C’est son secret et c’est aussi le secret de Dieu. Et elle ne doit pas
savoir comment s’y prendre pour livrer ce secret. Va-t-elle dire quelque chose
à Elisabeth ? Peut-elle le dire ? Comment le dire ? Comment s’y
prendre ? Faut-il le cacher ? Et pourtant, tout en elle déborde, mais
elle ne sait pas. D’abord, c’est le secret de Dieu. Et puis il se passe quelque
chose de semblable dans le sein d’Elisabeth. Elle aussi porte un enfant. Et ce
que Marie ne sait pas trop, c’est le lien, le rapport, entre cet enfant qu’elle
porte et l’enfant qu’Elisabeth porte. Et ça lui serait plus facile de
s’exprimer si elle savait ce lien. Mais sur ce point précis elle n’a pas eu de
révélation, sur la dépendance mutuelle entre les deux enfants. Elle sait
simplement qu’il y a un lien puisque c’est le signe qui lui a été donné :
sa cousine Elisabeth… »
Il en est ainsi de notre Eglise qui
porte en elle une Bonne Nouvelle ; il en est ainsi de chacun de nous. Nous
sommes assez souvent un peu comme Marie, nous sommes venus d’abord pour rendre
service, mais aussi, en portant cette Bonne Nouvelle, comment nous allons nous
y prendre pour la dire… ? Et nous savons que ceux que nous rencontrons,
ils sont un peu comme Elisabeth, ils sont porteurs d’un message qui vient de
Dieu. Notre Eglise ne nous dit pas et ne sait pas quel est le lien exact entre
la Bonne Nouvelle que nous portons et ce secret qui fait vivre l’autre.
Mon Eglise ne me dit pas quel est le lien entre le
Christ et cet adolescent que je ne comprends plus ; entre le Christ et ce
voisin, un peu fruste, qui n’a pas la même culture, le même statut
social ; entre le Christ et cet étranger qui cherche un logement ou qui
fait la manche, entre le Christ et ce malade que je visite. Entre le Christ et
ce musulman, ou ce juif, ou ce bouddhiste, ou cet incroyant. Et je vais vers ce
frère, comme Marie vers sa cousine, sans savoir quel est ce lien.
« Et voici que, quand Marie
arrive, c’est Elisabeth qui parle la première. Pas tout à fait exact car Elisabeth
a entendu la salutation de Marie. Et ça c’est une chose que nous pouvons
faire ! On peut dire la paix soit avec vous ! Et cette simple
salutation a fait vibrer quelque chose, quelqu’un en Elisabeth. Et dans sa
vibration, quelque chose s’est dit… qui était la Bonne Nouvelle, pas
toute la Bonne Nouvelle,
mais ce qu’on pouvait en percevoir dans le moment. D’où me vient-il que…
l’enfant qui est en moi a tressailli ? Et vraisemblablement, l’enfant qui
était en Marie a tressailli le premier. En fait, c’est entre les enfants que
cela s’est passé cette affaire-là… Et Elisabeth a libéré le Magnificat de
Marie. »
Finalement, si nous sommes attentifs et si nous situons
notre rencontre avec l’autre à ce niveau-là, dans une attention et une volonté
de le rejoindre, et aussi dans un besoin de ce qu’il est et de ce qu’il a à
nous dire, vraisemblablement, il va nous dire quelque chose qui va rejoindre ce
que nous portons, montrant qu’il est de connivence.
Là se découvre le champ de force de
Dieu intervenant dans le petit coin de la planète que nous habitons. Dans notre
rencontre avec notre frère, abordée comme Marie avec sa cousine, c’est le Verbe
de Dieu qui prend chair, et nous y prenons la grâce ; je ne dis pas rendre
grâce, mais prendre grâce. Ce qui veut dire le besoin où nous sommes de l’autre
pour faire Eucharistie : pour vous et pour la multitude.
Saint Marie, mère de Dieu, priez
pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.
Jean-Pierre Duplantier
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