Nous venons d’entendre
deux récits, différents, de la venue de l’Esprit. C’est qu’il
y a deux versants, inséparables, de cet événement et il est bon
pour nous d’essayer de les tenir ensemble.
Le
récit des Actes des apôtres commence par un grand bruit dans la
maison, puis ce sont des langues de feu sur chacun, et
enfin, dehors, cela devient une voix qui attire une foule.
Dans la maison, il y
avait des peurs et une attente, une crise profonde. Les conversations
tournaient là-dessus. Le grand bruit stoppe net ce qu’ils
pouvaient se dire. Il remplit la maison.
Les langues de feu,
nous ne savons pas ce que c’est. C’est bien du langage mais comme
du feu. Les disciples d’Emmaüs nous indiquent la voie : leur
cœur était brulant quand Jésus leur parlait. Cette parole de feu
se pose sur chacun de ceux qui sont dans la maison, sur leurs propres
craintes, leurs propres attentes, leurs propres désirs. Cela vient
d’ailleurs, cela envahit leur chair. Ils brulent ; ils parlent
autrement.
Dehors la foule entend
aussi. Mais ce n’est plus un bruit ; dans le texte grec des
évangiles, il est écrit que c’est une voix. Pas un
discours, pas un message, mais la présence de quelqu’un qui leur
parle. Une voix. Et cette voix les atteint à un endroit précis,
dans leur langue maternelle.
Pas
un d’entre nous ici n’ignore ce dont il s’agit. C’est là où
se maintient, oublié, déformé mais ineffaçable, la voix de notre
mère, puis celle notre père et de nos frères et sœurs. Ces voix
ont apaisé nos premiers cris, répondu à nos premières demandes ;
de nourriture, mais aussi de présence ; elles nous ont sortis
de nos premières angoisses, quand nous nous sommes trouvés perdus
et affolés à cause de tout ce qui se passait d’insolite et
d’inattendu dans notre corps et autour de nous. Au-dessus de ses
voix, sur les eaux de notre naissance, le souffle de Dieu planait,
comme un aigle qui couve ses petits, les protège, les nourrit, les
éveille. C’est le style de Dieu : il manifeste sa présence à
travers des médiations ; sa Parole passe à travers des femmes,
des hommes, des événements ; par eux, ils s’approchent de
nous ; ils deviennent les « prochains » que Dieu
nous donne. Ils sont sa Voix.
Le
jour de la Pentecôte, c’est cette voix, sortie de la maison où
les apôtres et leurs compagnons se sont mis à parler autrement, que
la foule a entendue. Elle s’est levée au plus profond de leur
chair ; elle est sortie de l’oubli où elle était enfouie.
Elle a réveillé la présence de Dieu, la mémoire de ses
merveilles. Elle a fait une percée à travers tout ce que nous avons
construit depuis ; elle s’est mise à réveiller le flot
puissant de l’action du Père, du Fils et de l’Esprit. Elle a
fait déborder la source dont parlent tous les récits de la Bible,
tous les témoignages des croyants, tous les indices épars dans
notre propre vie.
A ce moment, les
apôtres ne sont pas encore sortis de la maison ; ils ne sont
pas encore allés vers la foule ; ils n’ont pas encore fait de
déclarations. C’est en eux que l’Esprit a fait lever cette
voix ; c’est de leur chair qu’elle sort. Ainsi vient la
Parole de Dieu parmi les hommes : elle s’incarne d’abord,
elle rayonne ensuite.
Ecoutons maintenant le
récit de l’évangile de Jean. C’était après la mort de Jésus.
Il vient dans la cachette où s’étaient réfugié les apôtres,
et leur dit : « la paix soit avec vous ». Puis il
leur montre ses mains et son côté.
La paix, ils en ont
grand besoin, à cause de leur peur du dehors. Or ce que Jésus leur
montre est son corps meurtri, ce que son corps a subi, souffert,
pâtit de la main des hommes. Et c’est ce corps qui leur donne la
paix. Parce que ce corps du Fils de Dieu rayonne une énergie unique,
celle qui s’est manifestée tout au long de son parcours parmi
nous : Jésus a été livré aux mains des hommes et rien n’a
entamé le souffle d’amour qui l’unit à son Père.
Dans le monde tout est
possible : vivre libre, croire en une croissance infinie, mais
aussi mourir sans amour. Dans le royaume de Dieu, les hommes
dépendent totalement des liens d’amour avec Dieu et entre eux.
Leur unique liberté est de dire oui ou non à l’entrée dans ce
royaume. Leur véritable esclavage est la terreur que la mort fait
peser sur eux ; l’angoisse de ce qui passe, d’être oublié,
perdu.
Jésus-Christ a pris
sur lui le poids de cette souffrance humaine et par la puissance du
torrent d’amour qui coule entre lui et son Père, et qui irrigue
l’amour qu’il porte à tous les hommes, il enlève ce poids. Il
a donné sa vie pour ceux qu’il aime. Il est mort sans jamais
cessé d’aimer. Et il s’est levé d’entre les morts selon
la puissance de cette vie divine.
C’est ce souffle
saint qu’il donne maintenant à ses disciples, pour qu’ils en
deviennent les témoins. Non pas les adeptes d’un nouveau programme
qui nous permettraient de construire un monde plus juste et plus
humain, de le construire ensemble mais sans Lui. Mais des témoins
qui ont reçu ce souffle saint et qui se mettent à vivre et à
parler autrement : ils voient et ils entendent l’œuvre de
Dieu ; ils voient et entendent ce qui tremblent et se cherchent
chez les autres, leur demande, leur souffrance, leur soif.
Nous parlons souvent
d’effort à faire, de devoir, c’est juste. Mais le Christ nous
invite d’abord à avoir des yeux pour voir et des oreilles pour
entendre. Lorsque, chez nous, le temps passé en présence du Christ
s’est évaporé, lorsqu’il n’y a plus de place pour visiter
ceux que Jésus appelle les petits, les pécheurs, c’est que nous
sommes devenus aveugles et sourds à la vie que Dieu nous a donné, à
ce bien inestimable qui est l’héritage de ses fils. Lorsque, à
l’inverse, s’installe chez nous, sans trop savoir comment, le
goût de la rencontre du Seigneur et des autres, c’est que
l’Esprit fait du bon travail en nous. La souffrance et la peur sont
toujours là, mais elles ont perdu le pouvoir de nous paralyser. La
joie passe toujours de temps en temps, mais ce n’est plus seulement
un contentement, c’est une présence, une force, capable de
ralentir notre course à la jouissance. Le travail quotidien est
toujours là, mais la louange prend le pas sur la critique, la
tristesse. L’Esprit saint est en train de faire de nous des
témoins. C’est notre entourage qui s’en rend compte.
Ecoutez, regardez, il
vient.
Jean-Pierre Duplantier
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire