Parole de diable / Luc 4 1-13 / une homélie

Invités au désert par l’Esprit. Invités au silence. Invités au vide
Invités à descendre dans notre désert intérieur. A quitter les paysages familiers où nous occupons nos vies, nous attachant à mille détails, à mille activités, cultivant tout ce qui n’est pas nous, attentifs aux bruits du monde pour ne pas entendre la voix, accrochés à nos écrans pour mieux faire écran.
 
Tout ceux qui connaissent le silence savent bien ce qui s’y passe : Toute tentative de trouver le silence se finit immanquablement dans un vacarme intérieur assourdissant. Toute tentative de faire le vide se résout dans l’encombrement maximum.
Au silence intérieur, ça parle. Ça se met aussitôt à parler, et ce qui parle d’abord, c’est le diable. C’est normal, c’est son boulot, c’est sa fonction. Le diable parle, depuis le serpent de la genèse.
Si Dieu est Parole, le diable est fausse-parole. C’est la voix qui se fait passer pour la Parole, la parole qui tord la Parole, qui la malmène, qui la trouble, qui la salit.
 
Jésus refuse l’usage de la fausse-parole.
Il ne dira pas aux pierres de devenir du pain. Parce que la Parole n’est pas faite pour parler aux pierres. On parle à l’autre, on parle à son frère, à son ennemi aussi parfois. Mais parler aux pierres, c’est parler pour rien, c’est parler pour soi. C’est se nourrir d’un faux-pain. C’est combler le vide de son désir par ce qui ne nourrit pas.

Jésus refuse de se courber sous la parole du pouvoir des royaumes de la terre.
Tous les pouvoirs et la gloire des royaumes de la terre appartiennent au diable. C’est lui qui le dit donc on peut en douter, mais si c’était vrai ?
A la tête des royaumes de la terre, combien de fous, d’ignorants, d’orgueilleux, de va-t-en guerre, d’irresponsables ? Combien d’ennemis de la vérité au sommet du pouvoir ? Combien d’adversaires de la Parole dans les palais présidentiels ? Pourquoi s’en étonner ? Tout cela lui appartient et il le donne à qui il veut.

Jésus se détourne d’une parole qui est autre chose que de l’amour.
En refusant le grand saut dans le vide, il refuse de vérifier si la Parole est bien une parole de vie, une parole d’amour « les anges empêcheront ton pied de heurter une pierre »… Cette parole n’est pas à vérifier, elle est à accueillir, elle est à accepter.
« La Parole est tout prés de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur. »

Invités au désert par l’Esprit. Invités au silence. Invités au vide
Si nous nous engageons sur cette route, si nous avons l’audace d’essayer le silence, le diable parlera. Il comblera le vide. Parce qu’il sera terrifié.
Il nous proposera de combler le vide par du faux pain, c’est-à-dire tous les faux-trucs que nous accumulons en nous pour éviter de nous ouvrir au désir : du savoir, de la morale, de la religion, de l’esthétique et la liste reste ouverte.
Il nous proposera de courber l’échine sous le poids du pouvoir. Aujourd’hui, dans l’état de notre monde, on pourrait facilement traduire ça par : courber l’échine sous le désespoir. Car les pouvoirs de ce monde semblent se liguer pour nous porter à l’abîme.
Il nous proposera enfin d’oublier la source de la Parole. C’est-à-dire oublier que la Parole véritable est Parole du Père, du Père tout-amour. Faire de la Parole un discours à vérifier, là où il faudrait consentir à être aimé.

Alors comment pourrons-nous lutter ? Que ferons-nous quand le diable parlera dans notre désert ? Comment le ferons-nous taire ?
En nous tournant vers la Parole, la vraie. En la faisant résonner. Elle seule écrase la tête du serpent pour lui fermer la bouche.
Alors n’ayons pas peur, car nous avons en nous tout ce qu’il faut, ne craignons pas d’être désarmés, n’attendons pas qu’un autre nous donne cette Parole. Souvenons-nous : « La parole est tout près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur. »
Pas dans ta tête, ni dans ta mémoire, dans ton cœur - c’est-à-dire au plus profond, enracinée - et dans ta bouche - c’est-à-dire au plus superficiel, prête à jaillir hors de toi, si tu la laisses aller.

Pendant ce carême, soyons un peu attentifs à notre usage de la Parole. Prêtons l’oreille à « comment on se parle ». Et, s’il nous vient l’envie de parler comme le diable, choisissons le silence.
Rendez-vous au petit matin de Pâque, quand la Parole fera toute chose nouvelle.

╬ Amen
Sylvain diacre

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