Signe à Cana / Jn 2 1-11 / Une homélie


 
Jésus change l’eau en vin.
Tout le monde sait ça, c’est le miracle le plus connu, le plus populaire de Jésus. On en a fait des chansons, on l’a aussi beaucoup tourné en dérision.
Un miracle, ça devrait être quelque chose de spectaculaire, un évènement merveilleux et inexplicable, qui provoque l’admiration des témoins. « Miracle », « merveille », « admiration »… tout ça vient du même mot*.

Alors regardons un peu comment ça se passe à Cana : Une noce, pas de vin, une femme qui le signale à Jésus et Jésus qui propose un itinéraire : Il y a là de grandes jarres en pierre qu’il faut d’abord remplir d’eau.
Les serviteurs vont puiser de cette eau et la portent au maître du repas. Quand celui-ci va la boire, ce sera du vin, du bon vin.

S’il y a un miracle, où et quand a-t-il eu lieu ? S’il y a un miracle, qui en a été témoin ?
Dans les jarres, il y a de l’eau. Et de l’eau pour toujours. Jésus ne fait pas de 600 litres d’eau, 600 litres de vin. Dans le pichet du serviteur ? De l’eau puisée dans les jarres. Mais dans la bouche du maître du repas : du vin. C’est là et uniquement là que le vin nouveau se révèle.

Qui en est témoin ? Pas les invités qui ignorent même qu’il y a un problème de vin. Pas le marié qui semble spectateur à ses noces. La mariée ? Elle n’est pas là. Les disciples ? Marie ? On ne sait pas… ils disparaissent du texte. Le maître du repas ? Non plus, il ignore d’où vient ce vin et ça ne l’intéresse pas.
Les seuls qui peuvent s’étonner de quelque chose, se sont les serviteurs, car eux savent très bien qu’ils ont tirés de l’eau des jarres et ils entendent pourtant le maître parler de vin.

S’il s’agissait de faire un miracle, un coup d’éclat, c’est donc raté !
Rien de spectaculaire, rien pour épater l’assistance, rien qui fasse parler de lui. Le texte ne parle pas de miracle, il parle de « Signe ». Ce que Jésus fait à Cana, ce n’est pas un miracle, c’est un signe.
Le signe le plus discret, le plus silencieux, le plus modeste que l’on puisse imaginer.
Un signe qui ne fait signe que pour des serviteurs muets. Pour des serviteurs obéissants. Des serviteurs qui ne boiront pas de ce vin, mais qui auront des oreilles pour en entendre parler.

Je ne bois jamais de vin. Je n’aime pas ça. Je suis incapable de faire la différence entre du bon vin et du mauvais. Mais je sais bien la différence entre de l’eau et du vin. Je sens bien la différence entre ce qui n’a pas de goût et ce qui en a. Nous savons tous faire la différence entre ce qui n’a pas de goût et ce qui en a.

Nos vies parfois n’ont plus de goût. Les paroles que nous entendons perdent leur saveur. Nous avons l’impression d’être condamnés à ne nous abreuver qu’au robinet d’eau tiède du discours ininterrompu du monde.
Parfois, il nous semble que c’est notre foi qui n’a plus de goût, qu’avec le temps, nos prières sont devenues insipides, répétitives. Nous ne recevons plus de l’Evangile qu’une boisson banale et plate. Nous avions de belles jarres pourtant, grandes, solides, imposantes, mais elles se sont taries peu à peu, et elles ne contiennent qu’un peu d’eau, désormais inutile.

Il se pourrait alors que Jésus vienne faire signe. Qu’il remette du goût. Et que ce goût soit bon. Ce n’est pas du goût pour l’ivresse, c’est simplement du goût pour la Joie.
Mais ce n’est pas un miracle, il ne faut pas attendre de miracle de sa part, son truc à lui, c’est le signe. Un miracle, ça s’impose, ça éblouit, ça écrase tout sur son passage. Un signe, ça se cherche, ça s’interprète, ça se lit, ça nous laisse libres.

Un jour, sans qu’on s’y attende, un mot insipide entre dans nos oreilles, et voilà que dans notre oreille, il prend du goût, voilà qu’il nous réjouit sans qu’on sache pourquoi.
Un geste banal touche notre main, et voilà que, dans notre main, il a du goût, et du relief, et du corps.
Un verset de l’Evangile est partagé avec un frère, et ce que l’on croyait connaître par cœur et qui nous semblait plat et usé, dans notre cœur, devient savoureux, et redevient énigme, et retrouve du poids.
        Alors le Seigneur manifeste sa Gloire.

Peu d’entre nous seront miraculés, mais tous nous sommes sous le registre du signe.
A chaque fois que nous savons reconnaître l’irruption du goût dans les eaux plates de nos vies, alors c’est le signe que nous sommes aux noces.

Et l’époux, c’est le Christ, et l’épousée, c’est nous.
╬ Amen
Sylvain diacre
*du latin mirus "étonner"

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