Pierre, m'aimes-tu ? / Jean 21, 1-19 / Une homélie de JP Duplantier

C’est pour nous que ce récit est écrit. Qu’est-ce que les apôtres ont fait au lendemain de sa mort et de sa résurrection ? Qu’est-ce que nous faisons au lendemain de la semaine sainte et du dimanche de Pâque ?
 
  • Pierre et ses collègues pécheurs reviennent à leur métier d’avant…
C’est Jésus qui reprend la main, sur le rivage, entre une nuit où ils n’ont rien pris et un matin où la pèche est quasi miraculeuse. Pierre et ses collègues ne le reconnaissent pas. Mais il n’y a pas que Jésus qui leur échappe. L’étonnant avec Jésus, et plus encore depuis qu’il est mort et ressuscité, c’est que le scénario qu’il propose et ceux que nous mettons en route, par nécessité ou habitude, sont à la fois très proches matériellement, et profondément divergents.
C’est au plus près de leur métier de pécheur que Jésus les interpelle : avez-vous quelque chose à manger ? C’est de fait l’objectif de leur pêche : ils sortent pour prendre du poisson, et ils en capturent pour se nourrir. Comme cette nuit-là ils n’ont rien pris, ils n’ont rien à donner. Jésus leur demande alors d’essayer à nouveau, mais cette fois-ci c’est lui qui fixe l’endroit ils doivent jeter leur filet : juste à côté de leur barque. Un patron de pêche, c’est celui qui sait où il a des chances de trouver du poisson. Cette fois-ci c’est Jésus qui commande la pêche, et, on ne sait comment, ils obéissent. Le résultat est totalement inattendu. Quand on s’en remet à Jésus, le filet déborde de visages à aimer, à écouter… Jusque-là ils n’ont pas reconnu Jésus. Maintenant, quelque chose leur revient de ce qu’ils ont vécu avec lui. C’est son style : la vie qu’il mène et qu’il offre est au premier abord tout à fait semblable à notre quotidien, puis soudain l’horizon s’élargit démesurément. 
 
  • Il y a une deuxième étrangeté dans cette histoire.
L’affaire commence avec une demande de Jésus : avez-vous quelque chose à manger ? A la fin, ce sont les pécheurs qui sont invités à un repas. Ils ont amené les gros poissons qu’ils viennent de prendre, mais ce sont les petits poissons que Jésus a amené qu’ils mangent ; et c’est Jésus qui les a cuisiné sur un feu de braise, sur son rivage a Lui. Quel est donc ce rivage où il nous invite ?

·        Nous avons souvent entendu parler de ce rivage, mais, mon Dieu, que c’est long de s’engager vraiment sur ce chemin.
C’est ainsi depuis le commencement ; depuis que Dieu a dit : faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ; depuis que Dieu a façonné l’homme avec la poussière du sol et a déposé en lui son haleine de vie et que l’homme est devenu une âme vivante ; depuis que le désir de Dieu nous tire vers cette condition de fils de Dieu, engendré par son souffle. Cela nous dépasse complètement, mais c’est là, d’avant, pour maintenant, et devant nous. C’est cette condition de fils que Jésus est venu vivre en chair et en os au milieu de nous. Tous ces gestes, toutes ces paroles jouent chaque jour la partition de Dieu, de son Père, dans les moindres détails et quoiqu’il arrive. Et cette vie est lumière pour les hommes. 
 
Or cette condition de fils de Dieu n’est pas à la portée de nos seules forces. Nous ne pouvons pas nous faire fils, seuls ou ensemble, mais sans le Père et sans le Christ Jésus, qui nous le raconte. Nous sommes équipés d’origine avec un cœur et une chair capables de voir et d’entendre cette présence du Christ, se souffle de vie pour lequel nous sommes nés. Mais, comme nous l’a montré l’histoire d’Abraham, il nous faut quitter père et mère, et notre pays et leurs dieux. Non pas parce qu’ils sont mauvais, mais parce que la vérité des fils d’homme est d’aller plus loin, d’être attirés par ce désir de Dieu de faire de nous des fils qui portent sa ressemblance. Là est notre port d’attache, le rivage du Christ Jésus. L’esprit saint est la force d’attraction qui nous y conduit.
 
Depuis Pâques ce que sous lisons ensemble dans les Ecritures, c’est que Jésus est vivant. Dans les évangiles, il marche, il agit, il parle sur les routes de Palestine, dans les maisons de Galilée et dans le temple de Jérusalem : mais maintenant son séjour, sa présence, son action, c’est « au milieu de nous ». Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. C’est physique, actuel, c’est la vérité de notre condition de fils de Dieu qui émerge dans la vie que nous menons.
 
Voilà pourquoi çà vaut la peine d’être attentifs, vigilants, aux moindres détails qui signalent sa présence en nous et autour de nous. Quand il passe, nous ne le reconnaissons pas tout de suite. Mais c’est toujours au plus près de notre barque. C’est toujours lui qui prend l’initiative. Nous avons toujours besoin d’un frère qui nous dise : c’est Lui. Vas y ! Et notre nourriture n’est pas seulement ce que nous capturons nous-mêmes ; ce n’est pas seulement celle des nuits où ne prenons rien, ni celles des matins où nous sommes enchantés par les gros poissons qui remplissent nos filets. Notre nourriture, pour ce voyage-là, ce sont les petits poissons que Jésus nous cuisine lui-même sur un feu de braise.
 
  • Il y a encore une petite chose dans cette histoire. C’est le dialogue entre Jésus et Pierre.
 Par trois fois, Jésus lui demande : « Pierre m’aimes-t-u ? ». Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que Jésus doute de l’amour de Pierre ? Juste à la fin du dialogue, Jésus ouvre une porte : « quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller où tu voulais. Quand tu seras vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui te mettra la ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. »
Aimer le Christ est un itinéraire. Aimer le Christ ne peut pas être évalué par un sondage qui permettrait de cocher la case oui ou la case non. Ni pour soi-même, ni pour les autres. Ni par les jeunes, ni par les vieux. 
 
Aimer le Christ est un parcours, où il nous fait passer de faire quelque chose pour lui à découvrir la place qu’il nous donne dans son travail d’engendrement des fils de Dieu.
Faire quelque chose pour Lui connait des enthousiasmes et des ratages. Il faut du temps pour y découvrir le rôle qui y tient secrètement notre propre sort, notre propre volonté de faire bien. Découvrir la place que Dieu nous donne dans le travail du Christ, est une naissance à son désir à Lui, à sa manière de faire.
Ceci n’est pas un jugement. C’est une ligne d’horizon pour les jeunes, dans le temps où ils mettent leur ceinture eux-mêmes pour aller là où ils veulent ; et un encouragement pour les vieux, au temps où ils voient bien qu’ils ne commandent plus grand ’chose, mais qu’ils découvrent comment c’est le Christ, qui depuis longtemps déjà, les conduit par la main, là où il veut.
 
Souvenons-nous des disciples d’Emmaüs : ils l’ont reconnu à la fraction du pain et leur cœur étaient brulants, comme un feu de braise, quand il leur ouvrait les Ecritures et qu’il leur partageait l’aventure du désir de Dieu au milieu de nous. 

Jean-Pierre Duplantier