Viens je t'emmenerai - Homélie de Pâques 2016 de JP Duplantier

Viens, je t’emmènerai !
             Personne n’est vraiment à l’abri du désir de Dieu. De sa volonté de faire de nous des fils, apaisés, éclairés, rassemblés, dans le corps de Jésus, le Christ. L’énergie, le flux de son désir, de sa parole, est la vie, et cette vie est la lumière des hommes. Il est là avant nous, avec nous et devant nous. A ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu. Personne n’est à l’abri de la puissance de ce désir de Dieu. Il ne passe pas, il ne faiblit jamais, il ne s’arrête pas d’être en travail d’engendrement. Voilà ce que je partage avec vous, en ce matin de Pâques. 
 
Oui, mais les temps sont durs. Le rythme de nos journées s’est accéléré. Beaucoup n’arrivent plus à suivre, à respirer, à se poser, pas plus dans la famille, que dans le travail, que dans notre relation à Dieu. Et puis, il y a la peur, celle du chômage, de l’avenir, et maintenant la violence aveugle, meurtrière, dans nos rues.
Cela fait très longtemps que nous avons voulu monter dans les étoiles. Ecrire notre histoire dans le commerce et la technique. Produire, vendre et acheter est devenu une passion dévorante. Mais aussi rêver de devenir des humains d’après l’homme que nous connaissons, maitrisant la nature, l’économie, la vie sociale. Encore un pas de plus et nous allons y arriver : un peu de biotechnologie pour améliorer notre ADN, quelques robots miniaturisés implantés dans notre corps, un ou deux drones au bout des doigts, pour voir, entendre et d’agir à grande distance. Encore un peu de temps et ils seront là, dans nos rues, les avatars, les post-humains, sans racine, vivant libres et mourant sans amour. 
 
Il y a toujours eu des fous pour promettre au genre humain des meilleurs lendemains. Mais il y a toujours aussi des barbares et des vandales aux portes de la ville. « Où est ton frère ? » demandait Dieu à Caïn. Juste après avoir massacré Abel, il a répondu « je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ?
N’allez pas croire que c’est un ratage de la création. Non ! Les forces vives données à l’homme dès le commencement, ne sont pas mauvaises. Son goût de vivre, sa quête d’amour et de justice, son intelligence, sa raison, ses valeurs, son esprit scientifique, c’est l’équipement que Dieu nous a donné pour être des fils qui portent son image. Et Dieu vit que cela était bon. Mais pour devenir fils, il faut apprendre à honorer son père et sa mère, apprendre à demander et à dire merci. Pour cela il nous a donné un corps qui parle, des yeux pour regarder les autres comme des frères, des oreilles pour écouter venir la parole qui nous est adressée, un cœur pour la confiance et l’amour. 
 
Notre aventure humaine n’est pas le ratage de l’acte créateur de Diu. Elle est l’histoire mouvementée de l’usage que nous faisons de ces biens reçus pour devenir des fils. Et il y a longtemps que nous fabriquons nos propres images et que nous les adorons. Comme le dit saint Augustin, le cours du monde est devenu une provocation. 
 
Mais le désir de Dieu ne faiblit pas. Il nous connait bien. Il nous aime, tous, les sages et les fous. Il continue, aujourd’hui comme hier, à nous apprendre à faire de nos vies un usage de fils, portant sa ressemblance. Et cet amour jamais ne passera. C’est pour cela qu’aujourd’hui est un jour d’espérance.
 
Quand le moment favorable est venu, Dieu a envoyé son fil, son bien aimé, Jésus, le Christ. Et quand il a planté sa tente parmi nous, son regard, ses mains et ses paroles se sont portés vers les blessés de la vie, les malades, les perdus, les doux, les petits, les assoiffés de la justice de Dieu. Et il les a aimé jusqu’au bout. Sur le bois de la croix, il y a désormais, depuis ce vendredi saint, toute la puissance amoureuse de Dieu pour les hommes. Elle sauve le monde. Par Lui, avec Lui et en lui, la vie qu’il donne est redevenue la lumière des hommes. Un innocent, crucifié par obéissance à l’amour, habite à jamais notre mémoire vive. 
 
Il faut être fou pour croire à ces choses. Même nos amis, même nos enfants, nous plaignent parfois de devoir vivre et annoncer cette folie. Mais c’est trop tard. Non pas à cause de nos convictions, de nos certitudes, de la défense de notre patrimoine religieux, d’une foi invincible qui se crispe en essayant encore de jouer les gros bras, mais à cause de ce qui nous est arrivé, de ces rencontres improbables où la présence du Christ a investi notre chair.
 
Chacun de nous, ici, connait ces moments où le Christ Jésus est passé chez nous physiquement. Quand une femme se voit stoppée net par une maladie réputée dangereuse, et qu’une amie vient auprès d’elle, et que, sans savoir comment, elles se mettent à parler de leur vie, qu’elles ont plus ou moins mal vécue, à force de la dépenser à faire les choses, à en faire toujours plus ; et quand soudain  leur viennent, de l’une à l’autre, des mots ordinaires, qu’elles n’oseraient pas se dire à elle-même, des mots que le Christ habille de sa présence, de sa tendresse, de sa force ; et que des larmes viennent dans leurs yeux fatigués ou inquiets ;  des larmes comme les écailles tombées des yeux de saint Paul sur le chemin de Damas, lavant leurs âmes et leurs peurs ; et qu’elles risquent un sourire venant du plus profond d’elle-même. Que croyez-vous qu’il leur arrive à ces femmes, sinon la lumière d’en-haut dans leur chair ? L’autre versant de l’aventure humaine, le temps présent, déjà là, de la résurrection.
 
Vous avez peut-être entendu l’histoire de cet homme, un anglais qui travaillait à Calais et qui avait fait connaissance, un peu par hasard, d’une famille irakienne, parquée dans la jungle. Un soir, dans le froid et sous la pluie, leur petite fille de quatre ans, s’est trouvée dans ses bras. C’était déjà trop tard pour lui. La frimousse de la gamine venait de frapper à la porte de son cœur. Il l’a emmené dans son camion en Angleterre, où une partie de sa famille vivait déjà. Peu importe que la police, quand elle l’a arrêté, ait considéré que son geste était un trafic d’être humain, pour cet homme, parmi les réalités de la terre venait de se lever, dans son cœur, une réalité d’en-haut, comme le dit Paul ; une réalité sensible, charnelle, qui habitait chez lui, qui était là, dans son corps, consciemment ou non, depuis le commencement. C’est à cette réalité d’en-haut qu’il a obéi. Où cette réalité d’en-haut l’a-t-elle emmené ? En Angleterre ? Non, beaucoup plus loin, beaucoup plus haut. Et ceci n’est pas une affaire de religion. C’est un acte de Dieu relevant notre humanité à la condition de fils de Dieu.
 
Heureux ceux qui ne baissent pas les bras. Ceux qui prennent soin des pieds, de la marche souvent chaotique, de tous ceux avec qui Dieu nous donne de vivre, quels qu’ils soient. Heureux ceux qui prennent le temps de se nourrir du corps du Christ, de sa parole, de sa présence active. Heureux ceux qui boivent à la source vive du Christ, à son sang, à sa façon de vivre parmi nous, tourné vers son Père ; les yeux, le cœur et les mains sans cesse en train de relever et de réveiller la petite flamme inquiète qui n’en finit pas de résister à la vie que nous menons. 
 
Ce témoignage-là ne se démontre pas. Il se montre dans les fruits de paix et de miséricorde qu’il implante dans le cours du monde. Heureux ceux qui investissent, jour après jour, sur ce Royaume de Dieu.

Jean-Pierre Duplantier