la vraie vigne / Jn 15 / Une homélie de JP Duplantier

   Je n’ai pas pu lire les textes de ce dimanche, sans que pèsent sur moi les images du Népal ; les gens courant partout, affolés ; leurs visages terrifiés et le nombre des victimes qui ne cesse de grimper. De quoi faire remonter de vieilles peurs, physiques, qui réveillent la question lancinante : où est votre Dieu ? que fait-il ?
« Je suis la vraie vigne », déclare Jésus à ses disciples, lors de son repas d’adieu, juste avant de souffrir et de mourir. Il y aurait donc une autre vigne, une vigne qui n’est pas la vraie.
 
Je me souviens de la manière dont mon père parlait parfois de cette autre vigne. La vigne que nous connaissons, c’est un bois tordu, plein de vigueur. Comme tout ce qui est vivant, les hommes, les animaux, les plantes, la terre. Notre planète est tordue et vigoureuse, faite de continents qui dérivent et s’entrechoquent. On cherche à mieux connaître ces choses, mais on ne sait pas les empêcher. Les hommes sont faits du même bois: notre vitalité produit de grandes et belles aventures. Mais nos relations n'en finissent pas de se tordre et de s’envenimer. Comme la vigne, nous produisons du fruit qui réjouit le cœur de l’homme. Mais malgré tout le soin que nous y apportons, ce qu’il nous faut tailler et soigner en nous et entre nous, il arrive trop souvent que nous produisions du verjus, de l’amertume, du sauvage.
 
Quelle est donc cette vraie vigne dont parle Jésus ? S’agit-t-il de nous rassurer : avec Jésus, il n’y a aura que du bon vin, sans ivresse, seulement de la joie, et plus de dérapage terrible ? Mais nous savons tous que ce n’est pas la vérité. Et quand çà tourne mal, nous avons raison de dire comme Pilate : « qu’est-ce que la vérité ? ».
 
Comme Jésus devant Pilate, inutile de faire des discours. C’est sa façon de vivre et de mourir qui nous ouvre un autre espace. Pour Jésus, la vraie vigne, c’est celle dont son Père est propriétaire. Ce Père aime cette vigne, au point que la sève qui coule en elle n’est pas seulement la sève, la vitalité de l’espèce humaine, mais la puissance de son désir de faire de nous des fils qui portent sa ressemblance. 
 
Parmi les images venues de Katmandou, je garde précieusement celles de ces jeunes gens jouant de la guitare au milieu des décombres. Ils jouaient et chantaient pour les femmes et les enfants qui étaient derrière eux, pétrifiées dans leurs peurs. J’ai rencontré dans ma vie quelques véritables artistes comme ces jeunes népalais. Ces artistes s’appuient sur un passé qu’ils ne connaissent pas, mais qu’ils laissent passer à travers eux, comme un souffle puissant capable de d’éveiller ce qui vient quoi qu’il arrive. Nous chantions cela nous aussi à la Paillère, sans trop savoir, il y a bien des années : « Terre étrangère devient familière quand la mémoire des anciens y est planté, que les enfants y sont heureux, parce qu’il y a de l’avenir pour eux. »
 
C’est cette chanson d’amour que Jésus a implanté définitivement chez nous. Son passé à lui, lui a été donné sur les bords du Jourdain, lorsque les cieux se sont ouverts et que le souffle s’est posé sur lui comme une colombe et qu’il a entendu la voix : « Tu es mon fils bien-aimé, en toi tout mon amour. » Là est la sève qui a coulé en lui toute sa vie, jusque dans sa mort.
 
Et il a passé parmi nous faisant le bien ; « annonçant la bonne nouvelle aux pauvres, aux captifs la délivrance, aux aveugles la vue, aux opprimés la liberté, aux affligés la joie », comme les prophètes l’avaient annoncé. 
 
Il est la vraie vigne. Demeurer en Lui, c’est le suivre ; consentir à ce qu’il nous tienne la main. Apprendre la louange comme Lui. Voir et entendre l’impact du souffle de Dieu dans les gestes et les paroles de ceux qui nous entourent. Et se laisser traverser par cette énergie, nous offrir à ce souffle. Apprendre à nous aimer les uns les autres, comme Lui, sans autre raison que celle de croire que la sève de l’amour de Dieu coule en tout homme, inlassablement, même à leur insu.
 
Sans doute faut-il ajouter à ce lien entre la vigne et les sarments, une expérience plus intime ; celle de reconnaître qu’il y a en chacun de nous deux sortes de blessures. 
 
La blessure de notre amour propre ; de n’être pas aimé comme nous le méritons, de n’être pas reconnu à notre juste valeur. La blessure que nous nous infligeons en cherchant sans cesse des responsables, de nous inventer des boucs émissaires, de trembler de vengeance, … ou de nous effondrer sur nous-mêmes. Cette blessure produit des fruits mauvais, jusqu’à la violence meurtrière. 
 
Et l’autre blessure, la blessure d’amour, celle de tenir notre vie de Dieu, de n’exister que par Lui et en Lui, d’obéir à ce qu’il commande au fil des jours, de mettre nos pas, un à un, humblement, dans le sillage de Jésus, le Christ, le Fils de Dieu, l’agneau de Dieu, blessé à mort de cet amour, et qui enlève le péché du monde.
Cette seconde blessure est difficile à vivre. Elle fait mal chaque fois que la présence du Christ nous échappe. En nous et chez les autres. Toutes ces nuits où il nous est impossible de mettre la main dessus. Tous ces cris sans réponse, qui nous laissent sans repos. Le Christ est souvent notre tourment. Fasse que cette blessure ne guérisse jamais.

« Si votre cœur vous accuse, ne vous troublez pas. Dieu est plus grand que votre cœur. » Cela aussi, cela surtout, est le signe, dans notre chair, que nous demeurons en Lui et qu’il demeure en nous.

Jean-Pierre Duplantier 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire