Je n’ai pas
pu lire les textes de ce dimanche, sans que pèsent sur moi les images du
Népal ; les gens courant partout, affolés ; leurs visages terrifiés
et le nombre des victimes qui ne cesse de grimper. De quoi faire remonter de
vieilles peurs, physiques, qui réveillent la question lancinante : où est
votre Dieu ? que fait-il ?
« Je
suis la vraie vigne », déclare Jésus à ses disciples, lors de son repas
d’adieu, juste avant de souffrir et de mourir. Il y aurait donc une autre
vigne, une vigne qui n’est pas la vraie.
Je me
souviens de la manière dont mon père parlait parfois de cette autre vigne. La
vigne que nous connaissons, c’est un bois tordu, plein de vigueur. Comme tout
ce qui est vivant, les hommes, les animaux, les plantes, la terre. Notre
planète est tordue et vigoureuse, faite de continents qui dérivent et
s’entrechoquent. On cherche à mieux connaître ces choses, mais on ne sait pas
les empêcher. Les hommes sont faits du même bois: notre vitalité produit de
grandes et belles aventures. Mais nos relations n'en finissent pas de se tordre
et de s’envenimer. Comme la vigne, nous produisons du fruit qui réjouit le cœur
de l’homme. Mais malgré tout le soin que nous y apportons, ce qu’il nous faut
tailler et soigner en nous et entre nous, il arrive trop souvent que nous
produisions du verjus, de l’amertume, du sauvage.
Quelle est
donc cette vraie vigne dont parle Jésus ? S’agit-t-il de nous
rassurer : avec Jésus, il n’y a aura que du bon vin, sans ivresse,
seulement de la joie, et plus de dérapage terrible ? Mais nous savons tous
que ce n’est pas la vérité. Et quand çà tourne mal, nous avons raison de dire
comme Pilate : « qu’est-ce que la vérité ? ».
Comme Jésus devant Pilate, inutile de faire des discours. C’est sa
façon de vivre et de mourir qui nous ouvre un autre espace. Pour Jésus, la
vraie vigne, c’est celle dont son Père est propriétaire. Ce Père aime cette
vigne, au point que la sève qui coule en elle n’est pas seulement la sève, la
vitalité de l’espèce humaine, mais la puissance de son désir de faire de nous
des fils qui portent sa ressemblance.
Parmi les images venues de Katmandou, je garde précieusement celles de ces
jeunes gens jouant de la guitare au milieu des décombres. Ils jouaient et
chantaient pour les femmes et les enfants qui étaient derrière eux, pétrifiées
dans leurs peurs. J’ai rencontré dans ma vie quelques véritables artistes comme
ces jeunes népalais. Ces artistes s’appuient sur un passé qu’ils ne connaissent
pas, mais qu’ils laissent passer à travers eux, comme un souffle puissant capable
de d’éveiller ce qui vient quoi qu’il arrive. Nous chantions cela nous aussi à
la Paillère, sans trop savoir, il y a bien des années : « Terre
étrangère devient familière quand la mémoire des anciens y est planté, que les
enfants y sont heureux, parce qu’il y a de l’avenir pour eux. »
C’est cette chanson d’amour que Jésus a implanté définitivement chez
nous. Son passé à lui, lui a été donné sur les bords du Jourdain, lorsque les
cieux se sont ouverts et que le souffle s’est posé sur lui comme une colombe et
qu’il a entendu la voix : « Tu es mon fils bien-aimé, en toi tout mon
amour. » Là est la sève qui a coulé en lui toute sa vie, jusque dans sa
mort.
Et il a
passé parmi nous faisant le bien ; « annonçant la bonne nouvelle aux
pauvres, aux captifs la délivrance, aux aveugles la vue, aux opprimés la
liberté, aux affligés la joie », comme les prophètes l’avaient annoncé.
Il est la vraie vigne. Demeurer en Lui, c’est le suivre ;
consentir à ce qu’il nous tienne la main. Apprendre la louange comme Lui. Voir
et entendre l’impact du souffle de Dieu dans les gestes et les paroles de ceux
qui nous entourent. Et se laisser traverser par cette énergie, nous offrir à ce
souffle. Apprendre à nous aimer les uns les autres, comme Lui, sans autre
raison que celle de croire que la sève de l’amour de Dieu coule en tout homme,
inlassablement, même à leur insu.
Sans doute faut-il ajouter à ce lien entre la vigne et les sarments,
une expérience plus intime ; celle de reconnaître qu’il y a en chacun de
nous deux sortes de blessures.
La blessure de notre amour propre ; de n’être pas aimé comme nous
le méritons, de n’être pas reconnu à notre juste valeur. La blessure que nous
nous infligeons en cherchant sans cesse des responsables, de nous inventer des
boucs émissaires, de trembler de vengeance, … ou de nous effondrer sur
nous-mêmes. Cette blessure produit des fruits mauvais, jusqu’à la violence
meurtrière.
Et l’autre blessure, la blessure d’amour, celle de tenir notre vie de
Dieu, de n’exister que par Lui et en Lui, d’obéir à ce qu’il commande au fil
des jours, de mettre nos pas, un à un, humblement, dans le sillage de Jésus, le
Christ, le Fils de Dieu, l’agneau de Dieu, blessé à mort de cet amour, et qui
enlève le péché du monde.
Cette seconde blessure est difficile à vivre. Elle fait mal chaque fois
que la présence du Christ nous échappe. En nous et chez les autres. Toutes ces
nuits où il nous est impossible de mettre la main dessus. Tous ces cris sans
réponse, qui nous laissent sans repos. Le Christ est souvent notre tourment.
Fasse que cette blessure ne guérisse jamais.
« Si votre cœur vous accuse, ne vous troublez pas. Dieu est plus
grand que votre cœur. » Cela aussi, cela surtout, est le signe, dans notre
chair, que nous demeurons en Lui et qu’il demeure en nous.
Jean-Pierre Duplantier
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