L’acèse, un moyen pour aimer

Jadis l'ascèse des Pères du désert imposait des jeûnes extrêmes et des contraintes ; le combat aujourd'hui se déplace. L'homme n'a pas besoin d’un dolorisme supplémentaire ; cilice, chaînes, flagellations risqueraient de le briser inutilement. La « mortification » actuelle serait la libération de tout besoin de doping : vitesse, bruit, excitants, drogues, alcools de toutes sortes. L'ascèse serait plutôt le repos imposé, la discipline du calme et du silence où l’homme re-trouve la faculté de s’arrêter pour la prière et la contemplation, même au cœur de tous les bruits du monde, en métro, dans la foule, aux carrefours d'une ville ; mais surtout la faculté d'entendre la présence des autres, les amis de chaque rencontre.
Le jeûne, à l'opposé de la macération que l'on s'inflige, serait le renonce-ment joyeux au superflu, son partage avec les pauvres, un équilibre souriant, naturel, paisible. Par-dessus l’ascèse somatique et psychologique du Moyen Age, on chercherait l'ascèse eschatologique des premiers siècles, cet acte de foi qui faisait de l’être humain tout entier l'attente joyeuse de la Parousie, l’attente non pas chronologique, mais qualitative qui discerne l'intime et l'unique nécessaire car, selon l’Évangile, le temps est court et « l’Esprit et l’Épouse disent : Viens ! »

L’ascèse ainsi devient l’attention aux appels de l’Évangile, à la gamme des béatitudes ; elle cherchera l'humilité et la pureté du cœur, afin de délivrer son prochain et de le restituer à Dieu. Dans un monde fatigué, écrasé par les soucis, vivant dans des rythmes de plus en plus accélérés, la tâche est de trouver et de vivre « l'enfance spirituelle », la fraîcheur et la naïveté évangélique de la « petite voie » qui conduit à s'asseoir à la table des pécheurs, à bénir et à rompre le pain ensemble...
Aucune ascèse, privée d'amour, n'approche de Dieu : « Nous serons jugés pour le mal accompli, mais surtout pour le bien que nous avons négligé et pour ce que nous n'aimons pas notre prochain », dit saint Maxime.
L’ascèse dans la vie spirituelle aujourd'hui protège l'esprit de toute emprise venant du monde et préconise de vaincre le mal par la création du bien.

Paul EVDOKIMOV
Théologien Orthodoxe. (1901 – 1970)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire