Occasion de chute / Mc 9 38-48 / Une homélie


Je travaille en ce moment sur un chantier dans la cathédrale de Bayonne. Dans ces cas-là, on se retrouve bien souvent dans les lieux aux heures où le public n’entre pas.
Ainsi, depuis plusieurs semaines, au petit matin, quand la cathédrale est encore fermée au public et plongée dans la pénombre, je vois un jeune prêtre célébrer seul la messe, en latin, de dos, revêtu de tous les ornements liturgiques du 18ème siècle, avec clochettes et dentelles.
Si je suis un peu honnête, je suis bien obligé d’entendre en moi une petite voix qui dirait « Seigneur nous en avons vu un… qui n’est pas de ceux qui nous suivent ». Et il me faut alors entendre cette réponse « laisse faire, qui n’est pas contre nous est pour nous »

Car le seul danger, la grande menace, c’est de faire chuter un petit qui croit.
Mais qui sont-ils ces petits dans la foi ?
« Si ta main est pour toi une occasion de chute’… « pour toi »
Nous sommes, chacun de nous, le petit dans la foi. Nous voilà à la fois ceux qui scandalisent et ceux qui tombent. Nous sommes pour nous-même occasion de chute parce que nous sommes petits.

« Si ta main, si ton pied, si ton œil »… Les voilà les occasions de chutes. La main, le pied et l’œil…. Et rien d’autre. Des membres, des organes qui marchent normalement par deux et qui se retrouvent ici au singulier. Comme si une main sur deux pouvait tout à coup devenir autonome et commettre un acte dangereux. Comme si un pied sur deux pouvait seul décider de prendre un chemin interdit. Comme si un œil sur les deux se mettait à avoir un regard mauvais. Cette main, ce pied et cet œil, mieux vaut alors s’en défaire.

On comprend bien que Jésus ne nous demande pas de nous mutiler pour résoudre nos penchants pervers en nous proposant d’aller au paradis manchots ou borgnes plutôt qu’en enfer avec nos deux mains et nos deux yeux. Un détail devrait nous alerter : Jésus ne nous invite pas à entrer dans la vie éternelle comme certaines traductions veulent nous le faire entendre. Le texte dit simplement « entrer dans la vie », dans la vie tout court.
Ce n’est pas un scénario pour après, c’est un enjeu pour maintenant, pour savoir si oui ou non nous sommes vivants.

Pour entrer dans la vie, il se pourrait que nous ayons besoin de nous délester de ce qui, en nous, fait chuter le petit qui croit.

Le grand, le grand croyant, sûr de son coup, sûr de sa foi, sûr d’avoir raison, sûr d’être du bon côté, celui qui juge les pratiques différentes comme des pratiques forcément fausses, celui qui se méfie du prêtre bayonnais qui célèbre en solitaire sa messe en latin dans la pénombre de la cathédrale, celui-là n’est pas concerné.
C’est le petit qui est en danger, le petit croyant en chacun de nous, celui qui hésite, qui s’interroge, qui se sent fragile. C’est celui-là que le Christ s’est choisi. C’est lui qu’il veut protéger de toute chute.

Pour entrer dans la vie, la petite part fragile de notre foi peut très bien avoir besoin que nous abandonnions la main qui saisit sans qu’on lui donne, la main qui prend au lieu de recevoir. Le pied qui retourne en arrière, le pied qui écrase au lieu de danser. L’œil qui juge et qui condamne, l’œil qui se ferme au lieu de pleurer avec son frère.

Pour faire entrer dans la vie le petit que nous sommes en vérité dans la foi, il ne faut pas avoir peur d’être incomplet, qu’importe s’il manque des morceaux. Il se pourrait même que nul n’entre dans la vie sans être boiteux, manchot ou borgne. Nul n’entre dans la vie, dans la vie véritable, sans avoir perdu des plumes, nul n’entre dans la vie sans blessures. Les complets, les intacts… ceux-là se dirigent dans un feu…

Je ne comprends rien à ce que fait chaque matin ce prêtre dans cette cathédrale. Ça ne correspond à rien de ce que j’ai compris de l’eucharistie, tout m’agace là-dedans. Mais au fond, qu’importe, qui suis-je pour juger s’il est à la suite du Christ ou non ? Ce qui doit me préoccuper, ce n’est pas l’autre qui ne pense pas comme moi, qui ne célèbre pas comme moi… c’est celui qui, en moi, bouscule le petit qui veut croire. C’est ce combat intérieur entre moi et moi-même.
Entre ce qui en moi s’attache à rester intact et sans perte et le minuscule qui porte ma foi et qu’une main, un pied ou un œil, suffit à faire tomber.

Seigneur garde-nous de cette main desséchée, de ce pied conquérant, de cet œil orgueilleux. Que mon âme soit en moi comme un enfant, un petit enfant près de sa mère (ps 130) Un petit enfant qui entre dans la vie.

╬ Amen
Sylvain diacre

    Note :
Certains ont été choqués par cette homélie, y entendant une critique ou un jugement d’une certaine « sensibilité », d'un mode de célébrer d’un certain clergé. On nous a reproché un esprit de division, une instrumentalisation de la prédication à des fins personnelles et idéologiques.

Pardon pour ceux qui ont pu être blessés.

Notre propos est exactement contraire à l’esprit de division : Cette homélie affirme avec force que nul ne peut juger de la pratique de l’autre et que ne pas comprendre telle ou telle position n’autorise en aucun cas l’exclusion « ne l’empêchez pas, qui n’est pas contre nous est pour nous ».
Il n’y a pas un mot dans cette homélie qui juge ou qui condamne ce prêtre rencontré au petit matin. Pas un mot qui laisse entendre qu’il se trompe ou qu’il devrait faire autrement…. Ce n’est pas ici la question.
Il y a un « je » qui est troublé par le spectacle qui lui est donné à voir (qu’il avoue ne pas comprendre), et qui entend, dans l’Evangile, que ce trouble importe peu, que la vraie question n’est pas extérieure mais que le combat est (toujours) intérieur.

1 commentaire:

  1. Merci à vous prêtres, diacres de la paroisse de Gradignan qui osaient dire , qui osaient par vos homélies nous amener à méditer ,réfléchir sur nos comportements d'êtres humains toujours bousculés ,choqués, effrayés par tout ce qui est différents de nous .
    MERCI, je me suis réjouie de cette homélie.
    Christine

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