Nous sommes habitués à parler du corps et du sang du Christ, si bien que, peut-être cela ne nous étonne plus beaucoup. Mais quand même, il y a ici quelque chose de très étrange, non ? Imaginez un repas avec vos meilleurs amis, au cours duquel l’un d’entre vous prendrait du pain et le donnerait comme étant son corps, et du vin comme étant son sang. Que penseriez-vous ? Peut-être qu’il est temps qu’il prenne des vacances, ou bien que justement il a un peu abusé sur le vin ; ou encore qu’il dit n’importe quoi !
Et pourtant quand Jésus pose ce geste, ce n’est pas n’importe quoi, car ce n’est pas n’importe quand : cela se passe la veille de son arrestation et de sa mort, dans un climat donc lourd d’une menace qui pèse sur lui. C’est un geste testament, comme quand on veut redire l’essentiel à ceux qu’on aime, et dont on sait qu’on va être séparé définitivement.
Et ce que redit ainsi Jésus, non par des mots mais par un geste, c’est de se donner. Là se trouve la clé de toute sa vie : toute sa vie n’a été qu’un unique geste de don, le geste de se donner. Par ce geste il est venu renouer les liens de l’alliance entre Dieu et son peuple, et pour cela, il s’est engagé de tout son être, il s’est risqué lui-même, il a payé de sa personne. Et du coup, on comprend en quoi elle consiste, cette alliance que Dieu nous propose : ce n’est pas un accord qui nous engagerait de loin ; mais quelque chose qui passe par nous-mêmes, par notre être, et qui nous concerne corps et âme.
Comment s’y prend-il pour renouer les liens de l’alliance ? Ici, il y a quelque chose d’étonnant de la part de Jésus. Pour refaire alliance avec son peuple, il n’a pas commencé par le haut ; il n’est pas allé rencontrer les dignitaires ni les chefs du peuple. Au contraire, il commence par le bas : par tous ceux qui, justement, sont menacés de basculer en dehors de l’alliance, soit parce qu’ils n’en sont pas dignes, soit parce qu’on considère que s’ils entrent dans la maison, ils vont salir la moquette.
Il suffit de tourner les pages de nos évangiles : vous voyez sans cesse Jésus aux prises avec ces personnes en détresse : des lépreux, des paralytiques, des aveugles, des pécheurs publics, des étrangers, des possédés : toutes ces personnes ne sont plus admises dans le temple qu’elles risquent de souiller par leur présence. Elles se voient tenues à l’écart de la promesse que Dieu avait faite à son peuple : « tu seras mon peuple, je serai votre Dieu ». Cela ne vaut plus pour eux. Et toutes ces personnes dont la vie ne tient qu’à un fil supplient Jésus de faire quelque chose pour eux ou pour leurs proches. Et Jésus, toujours, répond à leur demande. Il accueille ces personnes, il les rétablit dans leur dignité de descendant d’Abraham, il les invite au festin du Royaume. Et il leur partage ce qu’il a, ce qu’il est : la vie qui l’anime et qui vient d’un autre, qui vient de son Père.
Voilà comment toute la vie de Jésus est marquée par le don, par cet appel à accueillir Dieu, et à se laisser accueillir par Dieu ; et lui-même, dans sa personne, a fait la navette pour cela, en commençant par ceux qu’on croyait indignes de Dieu. Quand le dernier soir de sa vie, il prend du pain et du vin et nous les donne comme son corps et son sang, c’est toute sa vie qu’il rassemble en ce geste, tout ce qu’il a essayé de nous partager, qu’il nous offre à nouveau. Et chaque fois que nous communion, c’est tout cela que nous recevons.
Est-ce que cette manière d’être et de faire qui est celle du Christ peut nous inspirer dans notre vie, et dans celle de nos communautés ? Oui, bien sûr ! Mais ce n’est pas à prendre sur le mode de l’obligation, du devoir. Plutôt, cela invite à se demander ce que ça nous fait d’être ainsi visités par le Christ, avec sa manière d’être à lui. Qu’est-ce que ça nous fait au plus profond de nous-mêmes ?
Et puis, à partir de là, vous pourrez chercher ensemble, comment faire réponse à cette manière de venir vers nous qui a été celle du Christ. Sur quels chemins cela pourrait nous mettre, en tant que communauté chrétienne ?
Très bon chemin à vous !
Etienne Grieu (2 juin 24)
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