Être tenté par Satan / Mc 1 12-15 / une homélie

En sortant de l’eau du baptême, Jésus vient d’entendre une voix le désignant comme le Fils bien-aimé. Désormais, il porte en lui l’écho de cette déclaration d’amour : quelqu’un lui a dit qu’il était aimé. Et aussitôt, il est poussé au désert pour être tenté quarante jours par Satan.

Nous sommes toujours un peu déroutés par cette figure de Satan, parce que notre imaginaire est tellement encombré de représentations qu’on a du mal à se défaire du diable rouge avec ses cornes et sa queue fourchue, et ça, ça n’existe pas. Or Satan est un nom, et nommer une chose c’est la faire exister. Satan, c’est le nom de l’adversaire. C’est le sens du mot.

Mais de qui est-il l’adversaire ? Certainement pas de Dieu. Dieu n’a pas d’adversaire. Qui pourrait combattre Dieu ?
Peut-être que Satan est l’adversaire de la voix qui dit « tu es mon fils bien-aimé ».
Pas de celui qui parle, mais de ce qu’il dit.
Satan est cette chose qui ne veut pas que nous entendions la voix qui ne cesse de nous dire « tu es mon fils bien-aimé ». Il se fait l’adversaire de la Parole, il se dresse contre la déclaration d’amour, il s’oppose à l’alliance.

Jésus ne va pas au désert pour méditer tranquillement sur la joie qu’il a d’être aimé. Il ne va pas au désert, rempli d’Esprit Saint pour jouir de son statut de Fils bien-aimé, en attendant de revenir à la vie publique tout ragaillardi. Ce n’est pas un lieu de paix, ce n’est pas une retraite spirituelle pour se ressourcer, c’est le lieu du combat.
Jésus est poussé au désert par l’Esprit. Le texte dit « jeté » au désert, « chassé ». C’est le même verbe que lorsqu’il expulsera les démons. Jésus est « expulsé » au désert par l’Esprit.
Il n’a aucune envie d’y aller. Pour y aller, il faut que l’Esprit l’y jette.
Nous pourrions faire l’hypothèse que le combat avec l’adversaire est le passage obligé de tous ceux qui, un jour, entendent qu’ils sont aimés.

Nous voilà nous-même jetés en carême. Explusés en carême, avec la sensation cette année qu’il arrive très vite, à peine sortis de Noël. Si notre carême a à voir avec l’expérience de Jésus au désert, ce sera donc un lieu de combat. Pas un lieu de mortification ou de privation, remplis de nos fameux « efforts de carême » que nous sommes bien souvent incapables de tenir tant ils sont artificiels.
Si chacun se donne à lui-même ses contraintes, c’est contre nous-même que nous combattons !
Or il y a un adversaire. Un adversaire qui n’est pas nous. Qui ouvre un combat bien réel. Un adversaire en chacun de nous qui ne veut pas que nous entendions « tu es mon fils bien-aimé ».
Une voix qui se met à parler plus fort pour nous dire « tu es nul »-« tu n’es pas assez performant, pas assez croyant, pas assez pur »-« tu n’es pas digne » « comment Dieu pourrait-il t’aimer, minable que tu es ! »-« tu devrais avoir honte de tes péchés »-« tu n'as pas de péchés »-« Tu ne peux pas être aimé ».
Le voilà le vrai combat, le voilà le Satan à l’œuvre dans notre désert.

Quarante jours non pas pour faire de la gymnastique spirituelle, mais pour se convertir et croire à l’Evangile. Se convertir c’est à dire changer de regard, changer de manière de voir et d’entendre, changer par choix. Et croire à l’Evangile, c’est à dire d’abord se mettre à son écoute en arrêtant de parler à sa place, et ensuite en le prenant au sérieux. Croire enfin à la bonne nouvelle qui nous dit « Tu es mon fils bien-aimé ». Y croire, c’est à dire non pas adhérer à l’idée, mais accueillir la voix, faire confiance et obéir au don qui nous est fait. Et faire taire enfin l’adversaire qui a le verbe haut.

Si nous consentons à ce combat, nous serons à coup sûr soumis aux anges et aux bêtes sauvages. Mais le matin de Pâques nous trouvera disponibles, prêts à être relevés de nos tombeaux.
Poussés en carême, jetés dehors par l’Esprit, ne craignons ni les anges ni les bêtes sauvages, ne craignons pas non plus Satan, l’adversaire, puisque la victoire est acquise.

Amen
Sylvain diacre

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