En
sortant de l’eau du baptême, Jésus vient d’entendre une voix le
désignant comme le Fils bien-aimé. Désormais, il porte en lui
l’écho de cette déclaration d’amour : quelqu’un lui a
dit qu’il était aimé. Et aussitôt, il est poussé au désert
pour être tenté quarante jours par Satan.
Nous
sommes toujours un peu déroutés par cette figure de Satan, parce
que notre imaginaire est tellement encombré de représentations
qu’on a du mal à se défaire du diable rouge avec ses cornes et sa
queue fourchue, et ça, ça n’existe pas. Or Satan est un nom, et
nommer une chose c’est la faire exister. Satan, c’est le nom de
l’adversaire. C’est le sens du mot.
Mais
de qui est-il l’adversaire ? Certainement pas de Dieu. Dieu
n’a pas d’adversaire. Qui pourrait combattre Dieu ?
Peut-être
que Satan est l’adversaire de la voix qui dit « tu es mon
fils bien-aimé ».
Pas
de celui qui parle, mais de ce qu’il dit.
Satan
est cette chose qui ne veut pas que nous entendions la voix qui ne
cesse de nous dire « tu es mon fils bien-aimé ».
Il se fait l’adversaire de la Parole, il se dresse contre la
déclaration d’amour, il s’oppose à l’alliance.
Jésus
ne va pas au désert pour méditer tranquillement sur la joie qu’il
a d’être aimé. Il ne va pas au désert, rempli d’Esprit Saint
pour jouir de son statut de Fils bien-aimé, en attendant de revenir
à la vie publique tout ragaillardi. Ce
n’est pas un lieu de paix, ce n’est pas une retraite spirituelle
pour se ressourcer, c’est le lieu du combat.
Jésus
est poussé au désert par l’Esprit. Le texte dit « jeté »
au désert, « chassé ». C’est le même verbe que
lorsqu’il expulsera les démons. Jésus est « expulsé »
au désert par l’Esprit.
Il
n’a aucune envie d’y aller. Pour y aller, il faut que l’Esprit
l’y jette.
Nous
pourrions faire l’hypothèse que le combat avec l’adversaire est
le passage obligé de tous ceux qui, un jour, entendent qu’ils sont
aimés.
Nous
voilà nous-même jetés en carême. Explusés en carême, avec la
sensation cette année qu’il arrive très vite, à peine sortis de
Noël. Si notre carême a à voir avec l’expérience de Jésus au
désert, ce sera donc un lieu de combat. Pas un lieu de mortification
ou de privation, remplis de nos fameux « efforts de carême »
que nous sommes bien souvent incapables de tenir tant ils sont
artificiels.
Si
chacun se donne à lui-même ses contraintes, c’est contre
nous-même que nous combattons !
Or
il y a un adversaire. Un adversaire qui n’est pas nous. Qui ouvre
un combat bien réel. Un adversaire en chacun de nous qui ne veut pas
que nous entendions « tu es mon fils bien-aimé ».
Une
voix qui se met à parler plus fort pour nous dire « tu es
nul »-« tu n’es pas assez performant, pas assez
croyant, pas assez pur »-« tu n’es pas digne »
« comment Dieu pourrait-il t’aimer, minable que tu
es ! »-« tu devrais avoir honte de tes péchés »-« tu n'as pas de péchés »-« Tu
ne peux pas être aimé ».
Le
voilà le vrai combat, le voilà le Satan à l’œuvre dans notre
désert.
Quarante
jours non pas pour faire de la gymnastique spirituelle, mais pour se
convertir et croire à l’Evangile. Se convertir c’est à dire
changer de regard, changer de manière de voir et d’entendre,
changer par choix. Et croire à l’Evangile, c’est à dire d’abord
se mettre à son écoute en arrêtant de parler à sa place, et
ensuite en le prenant au sérieux. Croire enfin à la bonne nouvelle
qui nous dit « Tu es mon fils bien-aimé ». Y
croire, c’est à dire non pas adhérer à l’idée, mais
accueillir la voix, faire confiance et obéir au don qui nous
est fait. Et faire taire enfin l’adversaire qui a le verbe haut.
Si
nous consentons à ce combat, nous serons à coup sûr soumis aux
anges et aux bêtes sauvages. Mais le matin de Pâques nous trouvera
disponibles, prêts à être relevés de nos tombeaux.
Poussés
en carême, jetés dehors par l’Esprit, ne craignons ni les anges
ni les bêtes sauvages, ne craignons pas non plus Satan,
l’adversaire, puisque la victoire est acquise.
╬ Amen
Sylvain
diacre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire