Ne vous faîtes pas appeler... / Matthieu 23 1-12 / Une homélie

Quelle est la cible de Jésus dans ce texte ?
On pourrait répondre assez vite : les scribes et les pharisiens, c'est à dire les religieux, les garants de la Loi divine... ceux qui se sont assis sur le fauteuil de Moïse comme dit le texte.
On a alors vite fait de faire de cet évangile une sorte de brûlot anti-clergé : « regardez-les, ils disent mais ne font pas, ils font tout pour faire les malins devant la galerie, pour se payer de titres et de privilèges, ils seront bien attrapés quand ils seront rabaissés ».

C'est une lecture. Elle n'est pas à négliger.
Si elle peut secouer un peu les clercs sur leurs pratiques et leurs motivations, elle n'est peut-être pas inutile (et je rappelle que les diacres font partie du clergé).

Mais c'est un peu court. Des détails dans le texte rendent cette affaire plus fine qu'une simple charge contre les élites religieuses.
Au début, on entend quelque chose comme « faites ce qu'ils disent, pas ce qu'ils font »

En effet, les scribes et les pharisiens sont porteurs d'une parole qui est juste et vraie, parce qu'elle ne vient pas d'eux. C'est le siège de Moïse qui dit la justesse de leur parole. C'est le lieu d'où ils parlent qui légitime leur parole.
C'est très beau cette histoire de siège, parce que ça dit qu'on peut asseoir n'importe qui sur le siège de Moïse, le siège est plus important que l'homme, la fonction dépasse l'homme.

Mais déjà quelque chose est perverti chez eux, quelque chose qui n'est pas réservé aux religieux : c'est l'usage qu'ils font de la loi.
Ils la transforment en lourd fardeau pour les autres. En appeler à la loi pour courber le dos de l'autre, notre monde ne cesse de le faire, nous-même ne cessons de le faire, parfois sans même nous en apercevoir, à coup de « il faut, il ne faut pas », « c'est permis, c'est interdit »...

Et voilà que Jésus s'adresse à nous directement :
- Ne vous faites pas appeler Rabbi
- N'appelez personne Père
- Ne vous faites pas appeler maître ou guide
 
La cible de Jésus dans ce texte, ce pourrait être alors l'usage que nous faisons tous de la parole... Il semble pointer un écart de vérité entre les mots et les choses... et sur ce terrain, nous sommes à nouveau tous convoqués, ce n'est pas seulement une affaire de religieux.
Méfions-nous de comment nous nous désignons, de comment nous nous appelons, ou nous nous faisons appeler. Méfions-nous de l'étiquette que nous collons sur le bocal...
Le bocal et ce qu'il contient importent peu, le danger pour nous, c'est ce que nous écrivons sur l'étiquette.
C'est le mot sur l'étiquette qui est empoisonné !
(...)
● Méfions-nous des mots... En multipliant des Rabbis à volonté, on remplace la fraternité par la mondanité...
L'Eglise aujourd'hui est malade d'un usage mondain de la parole.
Il est des lieux d'Eglise où l'on devrait plus souvent faire l'économie de se donner du « frère » sur tous les tons quand on a oublié l'enjeu d'un tel mot.
Peut-être devrions-nous être un peu plus prudents quand on fait de « disciple-missionnaire » un slogan ou un titre dont on voudrait à toute force se prévaloir... est-ce qu'on oublie que le Christ lui-même ne nous appelle plus « disciples » mais « amis » ? est-ce qu'on oublie que personne ne se donne une mission à soi-même, mais que nous avons toujours à la recevoir d'un autre ?

● Méfions-nous des mots... ne mélangeons pas les pères ! Nous sommes parfois un peu rapides pour nous créer des pères, pères biologiques, pères symboliques, pères spirituels...
Et si j'assoie un de ces pères dans les cieux, je suis en danger.
Si j'oublie que c'est de notre père qui est aux cieux que je reçois la vie, je suis aussi en danger.
Enfin si j'appelle un prêtre « Père », c'est parce que je lui reconnaît une vraie fécondité spirituelle... pas parce que c'est un titre honorifique.

● Méfions-nous des mots... si je multiplie les guides et que je me fais moi-même guide, je renie le Christ, le seul qui soit vraiment digne d'être guide, parce-que c'est le seul qui m'aime, en vérité.

- Le plus grand parmi nous qui devient notre serviteur, c'est lui
- Celui qui s'abaisse pour être élevé, c'est lui

Rendons grâce à Dieu qui nous fait « accueillir la parole pour ce qu'elle est réellement, non pas une parole d'homme mais la parole de Dieu qui est à l'œuvre en nous »(1Thé2 13)

╬ Amen
Sylvain, diacre
Photo : Rocher suspendu dans l'église des jésuites de Vienne. « to be in limbo » 2015 Steinbrener/Dempf & Huber

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