On pourrait répondre assez
vite : les scribes et les pharisiens, c'est à dire les
religieux, les garants de la Loi divine... ceux qui se sont assis
sur le fauteuil de Moïse comme dit le texte.
On a alors vite fait de faire de
cet évangile une sorte de brûlot anti-clergé :
« regardez-les, ils disent mais ne font pas, ils font tout pour
faire les malins devant la galerie, pour se payer de titres et de
privilèges, ils seront bien attrapés quand ils seront rabaissés ».
C'est une lecture. Elle n'est
pas à négliger.
Si elle peut secouer un peu les
clercs sur leurs pratiques et leurs motivations, elle n'est peut-être
pas inutile (et je rappelle que les diacres font partie du clergé).
Mais c'est un peu court. Des
détails dans le texte rendent cette affaire plus fine qu'une simple
charge contre les élites religieuses.
Au début, on entend quelque
chose comme « faites ce qu'ils disent, pas ce qu'ils font »
En effet, les scribes et les
pharisiens sont porteurs d'une parole qui est juste et vraie, parce
qu'elle ne vient pas d'eux. C'est le siège de Moïse qui dit la
justesse de leur parole. C'est le lieu d'où ils parlent qui légitime
leur parole.
C'est très beau cette histoire
de siège, parce que ça dit qu'on peut asseoir n'importe qui sur le
siège de Moïse, le siège est plus important que l'homme, la
fonction dépasse l'homme.
Mais déjà quelque chose est
perverti chez eux, quelque chose qui n'est pas réservé aux
religieux : c'est l'usage qu'ils font de la loi.
Ils la transforment en lourd
fardeau pour les autres. En appeler à la loi pour courber le dos de
l'autre, notre monde ne cesse de le faire, nous-même ne cessons de
le faire, parfois sans même nous en apercevoir, à coup de « il
faut, il ne faut pas », « c'est permis, c'est
interdit »...
Et voilà que Jésus s'adresse à
nous directement :
- Ne vous faites pas appeler
Rabbi
- N'appelez personne Père
- Ne vous faites pas appeler
maître ou guide
La cible de Jésus dans ce
texte, ce pourrait être alors l'usage que nous faisons tous de la
parole... Il semble pointer un écart de vérité entre les mots et
les choses... et sur ce terrain, nous sommes à nouveau tous
convoqués, ce n'est pas seulement une affaire de religieux.
Méfions-nous de comment nous
nous désignons, de comment nous nous appelons, ou nous nous faisons
appeler. Méfions-nous de l'étiquette que nous
collons sur le bocal...
Le bocal et ce qu'il contient
importent peu, le danger pour nous, c'est ce que nous écrivons sur
l'étiquette.
C'est le mot sur l'étiquette
qui est empoisonné !
(...)
● Méfions-nous des mots... En
multipliant des Rabbis à volonté, on remplace la fraternité par la
mondanité...
L'Eglise aujourd'hui est malade
d'un usage mondain de la parole.
Il est des lieux d'Eglise où
l'on devrait plus souvent faire l'économie de se donner du « frère »
sur tous les tons quand on a oublié l'enjeu d'un tel mot.
Peut-être devrions-nous être
un peu plus prudents quand on fait de « disciple-missionnaire »
un slogan ou un titre dont on voudrait à toute force se prévaloir...
est-ce qu'on oublie que le Christ lui-même ne nous appelle plus
« disciples » mais « amis » ? est-ce
qu'on oublie que personne ne se donne une mission à soi-même, mais
que nous avons toujours à la recevoir d'un autre ?
● Méfions-nous des mots... ne
mélangeons pas les pères ! Nous sommes parfois un peu rapides
pour nous créer des pères, pères biologiques, pères symboliques,
pères spirituels...
Et si j'assoie un de ces pères
dans les cieux, je suis en danger.
Si j'oublie que c'est de notre
père qui est aux cieux que je reçois la vie, je suis aussi en
danger.
Enfin si j'appelle un prêtre
« Père », c'est parce que je lui reconnaît une vraie
fécondité spirituelle... pas parce que c'est un titre honorifique.
● Méfions-nous des mots... si
je multiplie les guides et que je me fais moi-même guide, je renie
le Christ, le seul qui soit vraiment digne d'être guide, parce-que
c'est le seul qui m'aime, en vérité.
- Le plus grand parmi nous qui
devient notre serviteur, c'est lui
- Celui qui s'abaisse pour être
élevé, c'est lui
Rendons grâce à Dieu qui nous
fait « accueillir la parole pour ce qu'elle est réellement,
non pas une parole d'homme mais la parole de Dieu qui est à l'œuvre
en nous »(1Thé2 13)
╬ Amen
Sylvain, diacre
Sylvain, diacre
Photo : Rocher suspendu dans l'église des jésuites de Vienne. « to be in
limbo » 2015 Steinbrener/Dempf & Huber
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