Matthieu 15 21-28 / Des miettes / Une homélie

(...)
Jésus passe, la cananéenne crie vers lui, et il se tait.
Ce silence, il nous scandalise.
Comment peut-il se taire devant la détresse de cette femme ?!
Comme si ces cris ne le concernaient pas ?

Comme nous l'affirmons chaque dimanche dans la foi, l'Evangile est pour nous « Parole de Dieu ». Et si Dieu parle, c'est à nous qu'il s'adresse.
Jésus n'est pas un gentil héros de conte de fée, un personnage de roman dont on nous lirait un extrait des aventures chaque dimanche...
Nous oublions trop souvent, que jésus nous échappe, qu'il n'est pas ce que nous voulons qu'il soit, que ses pensées ne sont pas nos pensées et qu'il est plus grand que ce que nos sensibilités en font...
Ce silence, il est aussi et d'abord pour nous.
Pas pour que nous nous scandalisions à peu de frais pour la cananéenne, qui n'est qu'une femme de texte, mais pour scruter en nous l'effet qu'il produit.
Ce silence, Jésus a l'air de dire qu'il a à voir avec l'enjeu de sa mission, qu'il en va de l'accomplissement de la promesse, une histoire de brebis perdues...
Pour nous, comme pour cette femme, lire et interpréter ce silence est une affaire de foi.
Ce silence, si rude à nos oreilles, est le prélude nécessaire à ce qui va sauver cette femme : la révélation de sa foi à elle-même.
Après ce silence, quand elle revient, sa demande s'est déplacée : il n'est plus question de sa fille, il n'est plus question de David, il n'est même plus question de pitié, ce n'est plus qu'un appel au secours...
Le silence de Jésus a fait du tri, il a fait tomber le surplus, comme on purifie par le feu. 

« Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens » 
Mais qui sont ses enfants ? Quel est ce pain ? D'où sortent ces petits chiens ? Jésus, à son silence, semble ajouter de la rudesse... mais cette phrase reste une énigme.

Loin de se scandaliser comme nous, la femme se saisit de cette phrase, elle s'en saisit et elle l'interprète, et elle en donne sa lecture...
- les enfants deviennent les maîtres, mais qui est le maître de cette femme si ce n'est son enfant ? Son enfant en danger pour lequel elle est prête à tout ?
- Elle construit un espace en inventant une table avec un dessus et un dessous,
- Dessus, elle place les maîtres et leur pain.
Mais elle sait qu'il n'est pas possible de manger du pain sans faire des miettes.
- Dessous, elle glisse les petits chiens.
Ils ne retirent rien à personne, ils se saisissent de la part qui tombe inévitablement.
Comme les petits chiens dont elle assume la figure, elle ne mendie pas les miettes, les miettes, ça ne se donne pas, ça tombe tout seul, ce n'est la part de personne, c'est à peine une part.

La grande foi que Jésus lui révèle et qui fera que « tout se passera pour elle comme elle veut », c'est sa capacité à entendre... le silence comme les mots.(...)
Notre foi, elle est ce qu'elle est, ce n'est pas à nous de la mesurer, mais saisissons-nous de cette histoire de miettes : 
Quand dans nos vies nous avons l'impression que Jésus passe en silence, qu'il est sourd à nos appels, que notre détresse semble ne pas le concerner ~ réjouissons-nous des miettes... 
Quand nous avons l'impression d'être toujours « à côté », mis à part de la promesse, sous le poids des histoires de nos pères ~ réjouissons-nous des miettes...

La grande foi de cette femme, le cadeau qu'elle nous fait, à nous, c'est de nous rappeler qu'il ne peut pas y avoir de pain rompu sans qu'il y ait des miettes...
La part minuscule, la part insignifiante, la part perdue, celle qui tombe d'elle même, celle qui ne nourrit pas mais qui porte toute consolation,
c'est la part certaine, elle ne nous fera pas défaut, nul ne peut nous la refuser.
Jésus le sait qui se fait miette lui-même, pain rompu, pour nous et pour le salut du monde. 
Amen
Sylvain diacre

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