Il y a quelques
jours, après l’assassinat d’un prêtre dans une église, en plusieurs endroits
dans notre pays, des catholiques sont allés dans une mosquée pour la grande
prière du vendredi, et des musulmans et des juifs sont allés dans une église
pour la messe du dimanche. Quelle est donc la force qui a pu produire ce
sursaut ?
Je
reprends pas à pas les mots de l’évangile à propos de ce don du Royaume que notre
Père trouve bon de nous faire.
Jésus en parle comme
d’un investissement. D’un
investissement pour un trésor inépuisable dans les cieux. « Vendez ce que
vous possédez et donnez-le en aumône ; faites vous des bourses qui ne
s’usent pas ». Déjà, dans la 2° lecture, nous avons entendu: « la
foi est une façon de posséder ce que l’on espère ; un moyen de connaître
les réalités qu’on ne voit pas ».
C’est là justement que la foi
nous bouscule : lâcher ce que l’on tient et s’aventurer à la suite de
quelqu’un qui nous aime, mais qu’on ne voit pas, ce n’est pas très évident.
Jésus le sait. Il nous connait par
cœur. Il poursuit donc : « soyez comme des gens qui attendent
leur maître à son retour de noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et
frappera à la porte ».
Vous avez peut-être identifié quel est ce
maître et de quelles noces il revient. C’est de lui qu’il s’agit, du Christ, de
celui qui, sur la croix, a épousé la condition humaine. Il nous a aimé à en
mourir. Il a pris tout de nous sur Lui. Avec Lui nos péchés sont morts,
enlevés. Et il est ressuscité. Nous attendons qu’il vienne, qu’il frappe à
notre porte et qu’il entre.
Quel est donc le lien que nous avons
avec lui, le Christ, le « crucifié-ressuscité » ? Comment ce
lien est-il assez puissant pour changer
notre regard sur la vie, au quotidien ?
En vérité, nous en savons tous quelque chose. Mais cela s‘est enfoui, a
été malmené, comme une source vive qui se perd dans les sables. Et pourtant… Il y a, chez chacun de nous,
l’empreinte d’un moment, d’une rencontre, où l’amour, la joie, la paix sont
venus habiter chez nous. En ces jours-là, nous étions rayonnants. Notre
entourage le voyait et nous le disait. Rayonnant est le mot juste : la
lumière habillait nos gestes, nos regards, nos paroles.
Dès l’origine, il y a part de nous qui ne vit que de
« la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde ».
Mais, dans nos corps, une autre semence continue de pousser, comme une fleur
sauvage. Nous l’appelons l’ivraie, ou encore la zizanie. Ainsi se côtoient deux
sortes d’amour. Lorsque qu’un homme dit : « j’aime Sylvie, parce
qu’elle est belle, brune, tendre, intelligente, il est déjà sorti de l’amour
premier. Au moment où il se rend compte que celle qu’il aime possède telle
qualité ou telle autre, tel défaut ou tel autre, il est déjà sorti de l’amour,
même si, comme cela arrive malheureusement souvent, il continue à croire qu’il
l’aime, puisqu’il a désormais de bonnes raisons de le faire. Or l’amour premier n’a pas de raison. Il
est la présence d’un autre qui a frappé à ma porte, est entré et a installé la
lumière chez moi. Il est lumière d’en-haut inscrite dans notre corps dès le
commencement, par le Dieu qui nous connait et qui nous a parlé. Dieu nous aime
sans raison ; il vient, c’est tout.
Cet amour-là instaure chez nous la foi selon la grâce, et
pas seulement selon la Loi. Car il y a, comme pour l’amour, deux sortes de foi,
chez les catholiques comme chez tous les religieux du monde.
Chez les chrétiens, il y a la foi dans le Jésus de l’histoire :
cet homme qui est bon pour tous, fait des miracles et parle très bien. Ses
disciples ont été séduits et l’ont suivi, en raison de ses qualités et de ses
performances. C’est la foi dans un héros. Et des héros, il y en a eu toujours
dans le monde, dans la politique, la vie sociale et économique, dans la
culture, le sport, la mode et, en premier, dans la religion. Cette foi, de
production humaine, fabrique des réseaux, des communautés, qui protègent ses
principes et son patrimoine, construisent des murs et maintient à l’extérieur
ceux qui ne sont pas des nôtres. Toutes les religions, même les
« laïques », portent et transmettent cette forme native de la
confiance.
Et puis nous a été donné la foi en « Jésus-Christ, mort
et ressuscité, pour tous les hommes ». C’est à celle-là que se sont
convertis Pierre et les autres, après la mort et la résurrection du Christ
Jésus. Cette foi est la lumière, celle qui nous entraine hors de chez nous,
comme des migrants, de telle manière que « ce n’est plus moi qui vit,
c’est lui qui vit en moi. »
Cette foi, cette lumière, cet amour, cette paix, aurait pu
être une fleur sauvage ; une de ces fleurs des champs que nul ne sème ni
ne moissonne. Mais ce n’est pas le cas. Elle est semée par notre Père et son
fils Jésus-Christ, semé dans notre chair, pour y porter du fruit. Cette foi, cette lumière, cet amour devient
alors une tache, un travail, en nous et par nous : celui de rayonner la
lumière de Dieu, d’aimer sans raison, de croire sans voir, de construire la
paix à temps et à contre temps… de devenir ce que nous recevons : le corps
du Christ. La terre entière gémit dans l’attente de la révélation de ces fils
de lumière.
Sois sans crainte, petit troupeau, le Père a trouvé bon de
te donner ce royaume.