Je suis venu apporter un feu sur la terre / Luc 12 49-53 / Une homélie de JP Duplantier

         
  « Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur la terre ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division. » « Je suis venu apporter un feu sur la terre et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ». Vous vous doutez bien que Jésus ne parle pas du feu qui ravage actuellement le sud de la France ou le Portugal. Vous vous doutez aussi qu’il ne parle pas des divisions qui secouent nos familles. Ce feu et ces divisions existent déjà. Jésus n’a pas besoin de les apporter. Existe-t-il donc une autre division, un autre feu, un autre baptême que celui que nous connaissons ? Oui ! Et il tarde à Jésus que cela arrive et que nous en tenions compte dans nos vies.
 
Je ne vais pas tout dérouler de cette affaire, mais essayer d’accrocher votre attention sur deux ou trois choses, pour que chacun fasse son propre travail, celui que le Seigneur lui demande.
Ce que nous venons d’entendre dans l’évangile est la suite du récit de Luc que nous avons reçu le week-end dernier. Je reprends donc le même fil. Je vous ai parlé de deux sortes d’amour et de deux sortes de foi. 
 
En premier, il y a l’amour-lumière. Son effet est visible quand nous sommes rayonnants. C’est dans nos corps qu’il parait : dans le regard d’un enfant parfois, chez les amoureux dans leur lune de miel ; dans la paix de certaines réconciliations ; dans la joie de certains partages. « Au commencement, est la Parole, celle qui est tourné vers Dieu, qui est Dieu. C’est d’elle que toutes les choses viennent à l’existence. En elle est la vie et cette vie est la lumière des hommes. »
Mais cette parole n’est pas notre langage. Elle ne donne aucune définition de ce que nous sommes ; elle crée des corps vivants qui abritent cette lumière qui luit dans les ténèbres. Elle crée un lien : elle fait de nous déjà des « enfants de Dieu », mais ce que nous serons n’est pas encore manifesté. 
 
            Puis il y a sur la terre une autre façon de faire usage de l’amour et de la parole. Chaque peuple s’en construit des modèles, des traditions, des cadres juridiques, avec des critères mouvants du vivre ensemble. C’est encore une affaire de parole, ou plutôt de discours. Cette parole-là nomme les choses qui existent déjà ; elle ne les crée pas ; elle les organise et en détermine les valeurs. Elle institue les lois du mariage, du vivre ensemble, des religions et des politiques. Elle décide de ce qui est bon ou mauvais. Elle fixe des identités. Les individus jouent le jeu : ils calculent les raisons d’aimer, les qualités et les défauts, les performances et les échecs de ceux qu’ils aiment. Cet amour-là devient facilement un objet de marchandage. Si ça rapporte, on garde ; si ça déçoit on jette.
 
Jésus en donne un aperçu à propos de la famille, car c’est le lieu d’apprentissage de ces systèmes d’amours et de paroles humaines et cela influe directement sur l’ensemble de la vie en société. Dans une famille, l’amour et la lutte habitent ensemble. Chacun occupe sa propre place dans la génération. Il y a toujours une différence entre mon fils et le fils tel que j’aimerais le voir. Il y a toujours une différence entre le père ou la mère que je crois être et celui ou celle que je suis réellement. Personne n’est à la place qu’il imagine tenir dans les pensées de l’autre. 
 
Cela Jésus ne l’apporte pas. Il le voit, il le trouve déjà là chez nous. Mais il se refuse d’y lire une malédiction. Ce que Jésus apporte c’est la reconnaissance que l’amour-lumière qui vient d’en-haut et l’usage que nous faisons de l’amour et de la parole dans le monde forment ensemble notre condition humaine. Il affirme que cette division est l’état  réel de notre chemin. Il le dit, il vit cette condition humaine divisée, il la prend sur lui et la porte sur lui jusqu’à la croix.
Jésus nous a été envoyé pour cela : Il nous révèle que notre condition humaine est divisée, parce qu’elle est en chemin, en mouvement : nous venons du Père et nous allons vers le Père. Il nous appelle donc à consentir à cette division, à la reconnaitre et à faire avec, afin que nous tenions dans le monde, sans être du monde. 
 
Il refuse que notre chair soit foncièrement mauvaise, et, tout autant, que notre jouissance devienne notre seul objectif. Il refuse que notre croyance soit obsédée par une purification imaginaire qui méprise le corps, juge les autres et rejette le monde. Il refuse aussi que ce monde se suicide dans sa prétention à fabriquer une terre plus juste et plus humaine, ensemble, mais sans Dieu, sans l’acte créateur du Père.
 
La baptême d’eau nous purifie. Il est prise de conscience de notre division. Il appelle notre conversion. Mais comme le proclame Jean-Baptiste, « moi je vous baptise dans l’eau, mais il vient celui qui vous baptise dans l’esprit ». Seul ce baptême du feu, celui de l’Esprit saint, celui que nous apporte Jésus-Christ, nous donne la force de consentir à la division inscrite dans nos corps. Ce baptême du feu nous fait entrer dans notre aventure, dans l’affrontement entre nos désirs et notre mort. C’est parfois un trou profond et inquiétant, comme la citerne où Jérémie a été jeté. Mais c’est là que perce l’acte créateur de Dieu. Et pour chacun de nous l’expérience que sa Parole agit réellement dans notre corps. Lui seul instaure entre nous des liens qui ne s’usent pas.
 
Dans le temps qui reste, ce qui nous reste à faire est de moissonner sans relâche ce que nous n’avons pas semé, c’est-à-dire tout ce qui se lève, en nous et autour de nous, de ces fragiles instants de la lumière d’en-haut qui percent dans nos amours et nos paroles. 
 
Je nous souhaite d’avoir des yeux qui voient et des oreilles qui entendent ce travail de Dieu dans le monde tel qu’il est.
Jean-Pierre DUPLANTIER