Luc 14, 1.7-14 / Une homélie de JP Duplantier

J’ai bien entendu ce que nous disait Sylvain à propos de la porte étroite. Cette porte étroite n’est pas une façon de limiter le nombre de ceux qui entreront dans le Royaume. Elle désigne le type de passage par lequel tous les hommes sont invités à entrer dans ce royaume : il s’agit de désencombrer sa vie et son cœur pour faire de la place chez nous à la présence active de l’amour de Dieu dans le monde. En d’autres termes : se risquer à une vie commune avec Jésus-Christ ; lui laisser la possibilité de donner son avis sur nos sentiments, nos désirs, nos comportements, et tenir compte de l’amour qu’il a pour son Père, et du regard sur le monde que cela engage.
Mais qu’est-ce qu’on peut faire ?
Un exemple parmi d’autres. Le 27 juillet dernier, à Notre Dame de Paris, devant la foule rassemblée en hommage au Père Jacques, en présence du Président, et de plusieurs membres du gouvernement, et de nombreux ambassadeurs, dont quelques-uns de pays musulmans, Mgr.Lebrun disait : « Nous osons prier pour les assassins du Père Jacques. Si tu le veux, puisque tu le veux, sauve-les. »
Qui a pu pousser cet homme à oser dire une chose si difficile ? Une espérance aussi folle ? Si ce n’est ce Dieu inconnu, qui aime tous les hommes, et qui est toujours capable d’agir visiblement dans notre monde tel qu’il est.
Si je dis que ce Dieu nous est inconnu, c’est d’abord parce que personne ne l’a jamais vu. Ensuite, c’est à cause de son amour. C’est Jésus, le Christ, qui nous l’a raconté. Ils sont un, le Père, le Fils et l’Esprit saint. Ils s’aiment avant même qu’il y ait la moindre chose, la moindre raison de s’aimer. Leur amour est une « source ». Il y a la même différence entre cet amour et le nôtre que entre la source et les assoiffés. Nous ne connaissons ces choses que parce que nous l’avons vu et entendu du Christ ; nous ne pouvons que l’épouser, et nous risquer à vivre avec lui. Cet amour n’est pas d’invention humaine. Le désir de Dieu est que cet amour soit la lumière des hommes.
Oui, ce Dieu-là nous est inconnu. Mais Il vient. Inlassablement. Et il fait sa demeure, dans nos propres corps, quelque soient leur état, leur chemin, leur croyance. C’est donc dans notre monde, en nous et chez les autres, que nous pouvons le rencontrer et nous approcher de Lui. Il nous a tous créé avec l’équipement qui convient.
Aujourd’hui, nous venons d’entendre une phrase du Christ aussi folle que celle de Mgr Lebrun : « N’invite pas à ta table seulement tes amis, tes frères, tes parents, ni quelques voisins intéressants, invite des pauvres, des boiteux, des étrangers. » Et il ajoute : « heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont pas à te le rendre. Cela te sera rendu à la résurrection des justes. »
Il ne s’agit donc pas d’un échange entre nous, mais d’un investissement pour le Royaume. L’usage que nous faisons, de façon prioritaire, de nos énergies et de nos acquis est d’acquérir quelque chose en retour : des biens, du pouvoir, de la reconnaissance sociale, de l’argent ; ou une image de nous-mêmes, un bon chrétien, un bon citoyen.
Jésus ne dit pas : « heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te rendre ». Ce serait encore une valeur à acquérir : de la générosité, de la gratuité. Il dit : « heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont pas à te le rendre ». Il s’agit d’une autre perspective : les choses ne se passent pas de moi à toi, ou de toi à moi. L’enjeu est de boire à la Source : de perdre l’usage de l’amour que nous nous fabriquons, et que nous soit rendu l’amour que ce Dieu inconnu a semé en nous d’origine : un amour sans raison ; une soif d’aimer ; le réveil de la part de nous-mêmes qui vient de Dieu et va vers Lui. Seul cet amour rassemble.
Quand cet amour paraît, chez les uns ou les autres, il mérite le respect, infiniment, parce qu’il est la grâce de Dieu visible parmi les hommes, quels qu’ils soient.
Il y a, et va y avoir beaucoup de discours sur l’identité ; l’identité régionale, française et même l’identité chrétienne. Il y a déjà bien des comportements identitaires. « On est chez nous ». Et c’est vrai que nous en avons, une identité, et que nous y tenons. Mais personne n’ignore que la liste des caractéristiques de notre identité n’épuise jamais ce que nous sommes réellement. Il suffit d’une rencontre amoureuse véritable ou d’une grande détresse, pour que s’ouvre le champ de notre singularité unique, de notre mystère.
Nous aussi chrétiens, nous avons notre identité, avec des principes, des références, des institutions et des coutumes particulières. Mais nous ne sommes pas chrétiens parce que nous sommes d’Eglise, mais nous sommes d’Eglise parce que nous appartenons au Christ. Et le Corps du Christ n’est pas celui que nous connaissons. Il n’est pas d’invention humaine. Il est notre source et notre espérance. L’écouter et le suivre est notre manière de prendre part à la vie du monde.
Ceci est une chose difficile, assez folle même – une porte étroite-. J’en sais quelque chose, comme chacun de vous. C’est pourquoi nous avons besoin de nous réconforter les uns les autres. Nous avons rendez-vous le 18 septembre pour la fête de l’Eglise à Gradignan. Nous y ferons le tour des activités de la paroisse. Chacune d’entre elles peut être une façon concrète d’inscrire modestement, dans notre ville, des gestes et des paroles à travers lesquelles se manifeste la  présence active de Jésus-Christ. Cette rencontre ne dira pas tout de notre vie en Christ. Qu’elle soit un moment favorable pour inventer encore et nous réconforter. Le Seigneur attend cela de nous aujourd’hui.

Luc 14, 1.7 -14