Le monde / Jn 17 11-19/ Une homélie

Dans les premières lignes de l’Evangile de Jean, on entend déjà parler du monde :
« La lumière, la véritable, qui illumine tout homme venait dans le monde. Elle était dans le monde, et par elle le monde a paru, et le monde ne l’a pas connue. »
Aujourd’hui à nouveau, il est question du monde :
« Moi, je leur ai donné ta parole, et le monde les a pris en haine parce qu’ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi je n’appartiens pas au monde. »

Il y a semble-t-il un problème avec ce que Jean appelle le monde, un tiraillement. Le Christ nous y envoie, mais il nous précise bien que nous ne sommes pas du monde. Qu’il y a même une haine du monde envers nous.
Ailleurs, il nous révèle que « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils » « pour que le monde soit sauvé par lui » mais il désigne le mauvais comme le prince de ce monde.

Comment comprendre ?
A nouveau, nous allons devoir parler de Parole et de Filiation.

Le monde, ce n’est pas « les autres », ceux qui ne croiraient pas, par exemple, et qui nous haïraient… penser cela serait entrer dans un délire de persécution.
Le monde, ce n’est pas non plus simplement l’espace extérieur, le lieu où les humains vivraient en attendant « l’autre monde »… pour l’Evangile, cette distinction n’existe pas.
Pour Jean, « le monde » serait plutôt à comprendre comme une logique, une structure, une mécanique qui aurait ses propres rouages, son propre carburant, ses propres lois, : la grosse machine des hommes.
La machine qui tourne pour elle-même, qui remplit les vides, qui donne les réponses, qui croit aux héros et aux premiers de cordée, qui promet le bonheur et qui broie les faibles.

Le monde, semble se caractériser par sa résistance à la venue de la Parole.
Quand la parole de Dieu se fait chair en Jésus et qu’elle vient sur les chemins du monde, il ne la reconnaît pas… plus encore, elle lui est insupportable, il la refuse, il veut la faire taire, il travaille à sa mise à mort.
Le monde se dresse sans cesse contre la Parole…
La grosse machine des hommes préfère le discours vide, le baratin, la parole tordue…
Pour dire « licencier », le monde dira « remercier », pour dire « réduire les effectifs », il dira « mutualiser les ressources », pour dire « malades », il préférera « usagers de soins », et pour les compter, il comptera les lits. « discrimination positive »,« choc des savoirs » et « réarmement démographique »… etc etc, et chacun trouvera ses exemples, et il n’est pas impossible d’en trouver dans le langage de l’Église elle-même.
 
Comment voulez-vous que la Parole, la vraie, puisse se faire entendre ?
Celle qui brûle les cœurs, celle qui tranche et qui purifie, celle qui n’élève jamais la voix, celle qui choisit le fin silence de l’Esprit ?
Si nous avons des oreilles sensibles à la Parole, si par le baptême, nos oreilles se sont ouvertes, si nous persévérons à la scruter dans les écritures, alors, nous n’appartenons plus au monde.
Non seulement nous ne lui appartenons plus, mais nous n’en sommes pas, nous n’en venons pas, nous sommes tirés d’ailleurs, nous sommes fils du royaume et non plus fils du monde.

Il y a une figure qui traverse en creux les textes d’aujourd’hui : c’est celle de Judas. Judas est peut-être le type même du Fils du monde. C’est le « Fils de perdition » dit l’Evangile.
Sur lui, la Parole n’a pas d’effet, il colle désespérément au discours du monde. Plus que ça, il se met au service du silence. En livrant Jésus, il travaille à faire taire la Parole.

Réjouissons-nous de n’être plus fils du monde. C’est ce qui nous rend libres
C’est parce que nous ne sommes pas du monde que nous pouvons y être envoyés. On n’est pas envoyé là où l’on est déjà !
Libérés du monde et donc disponibles pour y agir, pour y porter la Parole
Libérés du monde pour peut-être pouvoir l’aimer comme le Père l’a aimé
Libérés du monde pour célébrer dans l’émerveillement l’Agneau de Dieu qui enlève le péché... du monde.

Amen Alléluia
Sylvain diacre

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