« Si vous ne mangez pas la chair du fils de l’homme, et si
vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. »
Ni les disciples, ni les responsables n’ont saisi ce qu’il
voulait dire. Pour nous, dans l’ensemble, nous nous sommes
habitués. A condition que nous n’insistions pas trop… Il doit y
avoir quelques petites choses qui nous manquent, pour entrer sur ce
chemin.
En voici une parmi d’autres : notre condition humaine est
notre état premier, mais ce n’est pas le terme, la gare d’arrivée
de notre route. C’est la faute à l’amour de Dieu pour les
hommes : le désir de Dieu est de nous prendre par la main pour
nous conduire à la condition de fils de Dieu. Et ce n’est pas le
même niveau, la même échelle. Nous pouvons sacraliser l’humanité,
au point de tout y sacrifier, Dieu veut pour nous nous l’au-delà
de l’humanité, il veut que les fils des hommes portent sa
ressemblance. C’est ce qui est écrit dès la première page de la
Bible. Dieu dit : « Faisons l’homme à notre
image ». Et Dieu le fait, et il n’arrête pas de le faire.
Pour nous, c’est au-delà de nous, mais cela demeure le réel de
notre désir, de nos vraies joies et de nos souffrances. C’est
inscrit en nous. Saint Paul l’a écrit clairement : « la
création tout entière attend avec impatience la révélation des
fils de Dieu. » (Romains 8,19). Il y a donc tout ce
qu’il faut chez les hommes pour prendre cette route.
La première référence selon les Ecritures, c’est la création de
la relation « homme-femme ». Ils sont deux, en vue d’une
seule chair. Comme une parabole de l’aventure humaine. Jean,
l’évangéliste, en écrit le commencement, à propos de
Jésus-Christ : « au principe est le logos, il est tourné
vers Dieu, et Dieu est le logos. » Ils sont deux, le Père et
le fils, et ils sont Un.
C’est cette relation entre la parole et Dieu qui manifeste la plus
grande puissance. La puissance qui engendre des fils de Dieu. La
principale différence entre la condition humaine et celle de fils de
Dieu, c’est, pour l’humanité, la place des objets, des valeurs,
des images. C’est de connaître le bien et le mal, et de nous
persuader qu’avec ce principe nous allons tout dévorer, tout
maitriser. Dans la condition des fils de Dieu, ce qui compte c’est
la relation, l’interaction entre le fils et le père, entre Dieu et
nous, entre nous, et le souffle d’amour qui maintient l’unité.
C’est vivre sur la terre sous un ciel habité. C’est marcher
à la lumière, comme Lui, le Christ Jésus.
Ce que dit Jésus, « manger la chair du fils de l’homme et
boire son sang », désigne ce passage de la condition humaine à
celle de fils de Dieu. Et ce passage est un acte de Dieu. Il ne
concerne pas seulement un individu, une paroisse, il signale la
véritable transformation en cours dans le monde, selon le désir de
Dieu. Les sacrements, et tout particulièrement celui de
l’eucharistie, réalise pour ceux qui accueillent cette
action de Dieu, une substitution, encore voilée, mais réelle et
décisive. Là où nous voyons du pain et du vin, là où nous
ressentons l’expérience de le manger et de le boire, vient dans
notre corps la présence du Christ. Sa chair et son sang habitent en
nous. Et nous, nous demeurons en lui. Nous devenons les membres de
son corps. Ce n’est pas pour après, c’est pour maintenant. C’est
une action réelle de Dieu, qui modifie réellement la nature de nos
liens entre nous, de nos liens avec Dieu, de notre perception des
choses, de nos jugements, de nos désirs, de nos peurs…
Ce qui décide donc dans cette affaire, c’est notre accueil. C’est
accueillir la chair et le sang du Christ dans nos corps comme un
événement réel. C’est une expérience, pas une idée. Ce n’est
pas d’abord un acte de culte, c’est dire « oui » à
sa venue. Dieu trouve toujours le moyen de nous atteindre.
C’est notre accueil qui peut faire défaut. Les façons dont nous
l’accueillons peuvent être différentes, au cours du temps et
selon les pays, les églises, les religions. Il y a des modèles pour
la vie intérieure, pour la prière, la contemplation, l’engagement.
On les critique ou on les préfère. Mais pour accueillir la chair et
le sang du Christ, c’est dire oui, c’est tout. Ce n’est pas
nous qui le faisons venir. C’est reconnaître qu’il est passé,
et qu’il a agi, et qu’il demeure en nous maintenant, et que
cette habitation du Christ en nous fait partie de notre histoire.
Nous avons tous dans notre mémoire ces moments où le Seigneur nous
a consolé, pardonné, apaisé. Ces périodes où il a fini par
changer, avec beaucoup de patience, certains de nos regards sur des
personnes, sur nous-mêmes, sur notre société, sur notre église.
Notre problème c’est d’oublier. C’est de ne pas en parler,
jamais, à personne. Lorsque nous ne parlons plus jamais, à
personne, ni à nos enfants ni dans les couples, ni entre amis, de
nos rencontres heureuses, de nos souffrances, de nos amertumes et de
nos désirs ; une partie de nos relations s’éteignent. C’est
pareil avec le Christ. Nous risquons de devenir totalement
insensibles au travail de Dieu chez les autres, et chez nous.
Insensibles à l’aspiration de la création tout entière à la
révélation des fils de Dieu. Nous avons des yeux mais nous ne
voyons plus l’œuvre de Dieu. Nous avons des oreilles mais nous
n’entendons plus la parole de Dieu, ses « appels »
petits, simples, concrets, qui passent par notre corps, par les
pleurs et les rires de ce qui nous entoure, par leur souffrance ou
leur désir ou leur joie.
Il y a quelques semaines j’ai retrouvé un ami, perdu de vue. Il
avait un cancer, les thérapies s’étaient succédé, et les choses
avaient empiré. Il venait de décider de stopper ces traitements. Et
voici ce que nous avons entendu de sa bouche, moi, sa femme et ses
enfants : « Jésus Christ n’a cessé d’éveiller, de
soigner, d’éclairer, d’inspirer mon cœur, mes pensées, mon
corps, mes chemins, mes amours. Il nous a aimé, il nous aime, il
nous aimera. Les graines de lumière, de confiance, de courage,
ensemencent notre terre. C’est notre Dieu qui les sème, les
arrose, les cultive. Ce ne sont souvent que de petites choses, mais
çà illumine le sourire des enfants, les gestes des amoureux, les
paroles des croyants, et çà donne la force de vivre au monde et de
recommencer. Nous appelons cela l’incarnation : la
venue dans la chair de la Parole de Dieu, de sa présence. »
« Mon espérance, maintenant, c’est sa promesse :
Tout ce qui dans ma vie a porté la marque de cette présence de Dieu
en moi, souvent à mon insu, tout ce que j’ai vu et entendu, tout
ce qui en est resté caché, secret, et malmené parfois, tout cela
va désormais être rassemblés entre les mains du Christ,
sous le regard de notre Père des cieux. Rassemblés, unis, en un
seul corps, dans la communion des saints, dans le corps du Fils bien
aimé. Nous appelons cela la résurrection de la chair.
A nous autres, maintenant, d’écouter, de regarder ce que
Jésus-Christ continue de nous faire voir et entendre, de sa force
d’aimer, à travers les gestes et les paroles de ceux qui nous
entourent, à travers les rencontres inattendues, certaines
souffrances mêmes, certaines peurs aussi. Vivons sur cette terre,
sous un ciel habité. Marchons à la lumière, comme Lui. La création
toute entière attend avec impatience la révélation des fils de
Dieu.
J.P.Duplantier
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