Si vous ne mangez pas la chair du fils de l'homme / Jn 6 51-58 / Une homélie de JP Duplantier

« Si vous ne mangez pas la chair du fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. » Ni les disciples, ni les responsables n’ont saisi ce qu’il voulait dire. Pour nous, dans l’ensemble, nous nous sommes habitués. A condition que nous n’insistions pas trop… Il doit y avoir quelques petites choses qui nous manquent, pour entrer sur ce chemin.
En voici une parmi d’autres : notre condition humaine est notre état premier, mais ce n’est pas le terme, la gare d’arrivée de notre route. C’est la faute à l’amour de Dieu pour les hommes : le désir de Dieu est de nous prendre par la main pour nous conduire à la condition de fils de Dieu. Et ce n’est pas le même niveau, la même échelle. Nous pouvons sacraliser l’humanité, au point de tout y sacrifier, Dieu veut pour nous nous l’au-delà de l’humanité, il veut que les fils des hommes portent sa ressemblance. C’est ce qui est écrit dès la première page de la Bible. Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image ». Et Dieu le fait, et il n’arrête pas de le faire. Pour nous, c’est au-delà de nous, mais cela demeure le réel de notre désir, de nos vraies joies et de nos souffrances. C’est inscrit en nous. Saint Paul l’a écrit clairement : « la création tout entière attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. » (Romains 8,19). Il y a donc tout ce qu’il faut chez les hommes pour prendre cette route.
La première référence selon les Ecritures, c’est la création de la relation « homme-femme ». Ils sont deux, en vue d’une seule chair. Comme une parabole de l’aventure humaine. Jean, l’évangéliste, en écrit le commencement, à propos de Jésus-Christ : « au principe est le logos, il est tourné vers Dieu, et Dieu est le logos. » Ils sont deux, le Père et le fils, et ils sont Un.

C’est cette relation entre la parole et Dieu qui manifeste la plus grande puissance. La puissance qui engendre des fils de Dieu. La principale différence entre la condition humaine et celle de fils de Dieu, c’est, pour l’humanité, la place des objets, des valeurs, des images. C’est de connaître le bien et le mal, et de nous persuader qu’avec ce principe nous allons tout dévorer, tout maitriser. Dans la condition des fils de Dieu, ce qui compte c’est la relation, l’interaction entre le fils et le père, entre Dieu et nous, entre nous, et le souffle d’amour qui maintient l’unité. C’est vivre sur la terre sous un ciel habité. C’est marcher à la lumière, comme Lui, le Christ Jésus.
Ce que dit Jésus, « manger la chair du fils de l’homme et boire son sang », désigne ce passage de la condition humaine à celle de fils de Dieu. Et ce passage est un acte de Dieu. Il ne concerne pas seulement un individu, une paroisse, il signale la véritable transformation en cours dans le monde, selon le désir de Dieu. Les sacrements, et tout particulièrement celui de l’eucharistie, réalise pour ceux qui accueillent cette action de Dieu, une substitution, encore voilée, mais réelle et décisive. Là où nous voyons du pain et du vin, là où nous ressentons l’expérience de le manger et de le boire, vient dans notre corps la présence du Christ. Sa chair et son sang habitent en nous. Et nous, nous demeurons en lui. Nous devenons les membres de son corps. Ce n’est pas pour après, c’est pour maintenant. C’est une action réelle de Dieu, qui modifie réellement la nature de nos liens entre nous, de nos liens avec Dieu, de notre perception des choses, de nos jugements, de nos désirs, de nos peurs…
Ce qui décide donc dans cette affaire, c’est notre accueil. C’est accueillir la chair et le sang du Christ dans nos corps comme un événement réel. C’est une expérience, pas une idée. Ce n’est pas d’abord un acte de culte, c’est dire « oui » à sa venue. Dieu trouve toujours le moyen de nous atteindre. C’est notre accueil qui peut faire défaut. Les façons dont nous l’accueillons peuvent être différentes, au cours du temps et selon les pays, les églises, les religions. Il y a des modèles pour la vie intérieure, pour la prière, la contemplation, l’engagement. On les critique ou on les préfère. Mais pour accueillir la chair et le sang du Christ, c’est dire oui, c’est tout. Ce n’est pas nous qui le faisons venir. C’est reconnaître qu’il est passé, et qu’il a agi, et qu’il demeure en nous maintenant, et que cette habitation du Christ en nous fait partie de notre histoire.
Nous avons tous dans notre mémoire ces moments où le Seigneur nous a consolé, pardonné, apaisé. Ces périodes où il a fini par changer, avec beaucoup de patience, certains de nos regards sur des personnes, sur nous-mêmes, sur notre société, sur notre église. Notre problème c’est d’oublier. C’est de ne pas en parler, jamais, à personne. Lorsque nous ne parlons plus jamais, à personne, ni à nos enfants ni dans les couples, ni entre amis, de nos rencontres heureuses, de nos souffrances, de nos amertumes et de nos désirs ; une partie de nos relations s’éteignent. C’est pareil avec le Christ. Nous risquons de devenir totalement insensibles au travail de Dieu chez les autres, et chez nous. Insensibles à l’aspiration de la création tout entière à la révélation des fils de Dieu. Nous avons des yeux mais nous ne voyons plus l’œuvre de Dieu. Nous avons des oreilles mais nous n’entendons plus la parole de Dieu, ses « appels » petits, simples, concrets, qui passent par notre corps, par les pleurs et les rires de ce qui nous entoure, par leur souffrance ou leur désir ou leur joie.
Il y a quelques semaines j’ai retrouvé un ami, perdu de vue. Il avait un cancer, les thérapies s’étaient succédé, et les choses avaient empiré. Il venait de décider de stopper ces traitements. Et voici ce que nous avons entendu de sa bouche, moi, sa femme et ses enfants : « Jésus Christ n’a cessé d’éveiller, de soigner, d’éclairer, d’inspirer mon cœur, mes pensées, mon corps, mes chemins, mes amours. Il nous a aimé, il nous aime, il nous aimera. Les graines de lumière, de confiance, de courage, ensemencent notre terre. C’est notre Dieu qui les sème, les arrose, les cultive. Ce ne sont souvent que de petites choses, mais çà illumine le sourire des enfants, les gestes des amoureux, les paroles des croyants, et çà donne la force de vivre au monde et de recommencer. Nous appelons cela l’incarnation : la venue dans la chair de la Parole de Dieu, de sa présence. »
« Mon espérance, maintenant, c’est sa promesse : Tout ce qui dans ma vie a porté la marque de cette présence de Dieu en moi, souvent à mon insu, tout ce que j’ai vu et entendu, tout ce qui en est resté caché, secret, et malmené parfois, tout cela va désormais être rassemblés entre les mains du Christ, sous le regard de notre Père des cieux. Rassemblés, unis, en un seul corps, dans la communion des saints, dans le corps du Fils bien aimé. Nous appelons cela la résurrection de la chair.
A nous autres, maintenant, d’écouter, de regarder ce que Jésus-Christ continue de nous faire voir et entendre, de sa force d’aimer, à travers les gestes et les paroles de ceux qui nous entourent, à travers les rencontres inattendues, certaines souffrances mêmes, certaines peurs aussi. Vivons sur cette terre, sous un ciel habité. Marchons à la lumière, comme Lui. La création toute entière attend avec impatience la révélation des fils de Dieu.

J.P.Duplantier

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