Au milieu une femme. Autour un cordon sanitaire : il ne faut pas que
le peuple soit contaminé. La solution
est radicale : éliminer la femme. A croire qu’elle a fait l’adultère toute
seule. Les responsables de la santé publique, pharisiens et scribes, mettent en
scène Jésus. Il ne dit rien ; il écrit avec son doigt sur la terre. Ce
qu’il montre, c’est une écriture, mais pas ce qu’il y a dedans, ni ce qu’on
peut en tirer. Il montre celui qui est
en train de l’écrire.
Les accusateurs insistent. Vient alors la phrase célèbre de
Jésus : que celui qui n’a jamais péché lui lance la première pierre. Le
cercle se défait, à commencer par les plus vieux. Reste la femme. Elle est
toujours au milieu. Mais plus au milieu d’un cercle hostile. Elle est au milieu
du gué, à un moment de sa vie, de sa traversée, où une faille s’est ouverte, où
son désir s’est trompé, ou a été trompé. Et avec elle, celui qui écrit sur la
terre et qui, maintenant, s’est relevé, et lui parle.
Celui qui écrit, c’est Jésus l’envoyé de Dieu, son
fils bien aimé. Il écrit sur la terre le désir du Père d’en-haut pour tous les
hommes. Et, comme le dit saint Paul, la dernière lettre de l’écriture de Jésus,
c’est un tau, la dernière lettre de l’alphabet grec, un poteau surmonté d’une
barre, un T majuscule, une croix. Sur cette croix, Jésus porte tous les péchés
du monde, mais il ne juge pas, ne condamne pas. Il s’expose, pour que tous ceux
qui le regardent voient comment la puissance de l’amour de son Père le fait
traverser toutes les forces de mort qui menacent l’aventure des hommes, les
forces qui entrent à l’intérieur comme celles qui viennent de l’extérieur. Il
montre celui qui écrit sur la terre, avec le sang versé de son fils bien aimé,
le désir insubmersible de Dieu de faire de nous tous des fils qui portent sa
ressemblance.
Jésus montre à cette femme, et à nous tous, la vérité de notre chemin,
le réel de notre vie. Non pas : puisque tu as péché, je te condamne ;
mais, maintenant que tu as péché, relève la tête, ton Dieu a mis en toi, et
maintiens en toi, imperturbablement, le souffle heureux qui te fais vivre,
quoiqu’il arrive.
Nous avons tous besoin de
témoins, en chair et en os, qui inscrivent sur notre terre un regard, une
parole de cette force.
Comme le dit le prophète Isaïe, il y a sans cesse chez nous des
malheurs entrants. Des événements, des situations, des ratages dans nos relations
qui nous mettent par terre. Mais sur cette terre-là, Dieu continue d’écrire,
d’y jeter la semence, de la faire germer, pousser, grandir. Car il y a aussi
les bonheurs entrants, les joies inattendues, les sourires offerts, les retours
des enfants perdus, les moments de paix qui nous arrivent sans raison, sans
cause, donnés c’est tout.
Le vrai danger qui nous menace, ce ne sont pas ces dangers entrants.
Aujourd’hui comme hier, ils sont légion.
L’un d’eux, par exemple, dont on parle beaucoup, en Europe, c’est le
migrant, ou plutôt, en sous-main, le musulman entrant. Or le danger n’est pas
son entrée chez nous, mais ce qui sort de notre cœur quand il s’approche :
le jugement, la peur, le rejet, l’étranger comme une maladie contagieuse,
surtout, d’ailleurs, pour ceux qui n’en ont jamais vu de près.
Il en est de même pour tout ce qui pollue la jeunesse : l’invasion
des images de violence, de héros virtuels et de toutes sortes d’avatars d’une
humanité en train de se doper à l’intelligence artificielle. Or le danger n’est
pas l’invasion de ces images, mais la façon dont nos cœurs s’y soumettent. C’est
comme si nous avions baissé les bras, et déserté, une à une, toutes les fenêtres
à travers lesquelles nous pouvons nous parler de notre espérance, de notre foi.
Saint Paul ne cesse d’en rajouter là-dessus. Tout ce que j’avais avant,
je le laisse pour gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être
reconnu juste, non pas de la justice qui vient de la Loi, mais de la justice
venant de Dieu, par la foi en Christ. Eprouver la puissance de sa résurrection,
communier aux souffrances du Christ, avec l’espoir de parvenir à la résurrection
d’entre les morts. Certes je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore
atteint la perfection, mais je poursuis ma route pour tâcher de saisir, puisque
j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus.
C’est le moment, maintenant, de relever la tête, de laisser à nouveau
résonner dans nos cœurs la présence et la parole active du Seigneur, et
d’écrire sur notre terre les signes de la joie qu’il donne ; du pardon
qu’il instaure, en nous et entre nous ; de mettre la paix là où les
conflits viennent et reviennent, comme le disait François d’Assise ; de ne
rater aucune occasion de vivre l’hospitalité entre générations, et avec toutes
les sortes d’étrangers, et ceci pour unique raison : celle de la tendresse
de Dieu qui nous précède dans le cœur de tout homme. C’est à nous qu’il
revient de jouer la partition de Dieu dans la musique de notre vie quotidienne,
de jour comme de nuit ; de réveiller le printemps de l’amour de Dieu dans
le monde, quelle qu’en soit la saison.
Que le Christ nourrisse nos corps maintenant de sa présence… réelle.
Jean-Pierre Duplantier