Nous venons de lire trois textes, un d’Isaïe, un second de saint Paul
et un troisième de saint Jean, l’épisode des noces de Cana. Il y a un lien à
trouver ; un chemin à suivre. Le prophète Isaïe pose un point de
départ : Dieu dit : « plus personne ne dira à ton pays,
c’est la désolation chez vous. Ta terre, je vais l’épouser… comme le jeune
homme qui épouse une jeune femme, ton bâtisseur, ton créateur va t’épouser.
Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton
Dieu. »
A Cana, lors
d’une noce, Jésus reprends au vol cette promesse de Dieu, et ouvre une nouvelle
phase de cette aventure pour nous. C’est Marie qui perçoit, la première,
la situation: quelque chose manque dans cette noce. Et ce qui manque c’est le
vin. Pas le vin dont on dit qu’il faut le boire avec modération, parce que l’alcool est
la cause de beaucoup d’accidents. Mais le vin qui réjouit le cœur de l’homme,
quelque chose qui donne un supplément de vitalité à notre vie ordinaire, qui la
bouscule un peu, l’enlève, là-bas comme chantait Jean-Jacques Goldmann.
A Cana, les
gens de la noce étaient équipés depuis longtemps par des rites qui les aidaient
à vivre ensemble. C’était des jarres de pierre que l’on remplissait d’eau pour
se purifier. Pour vivre ensemble, il faut en effet des moments où nous
acceptons de revenir les uns et les autres à une loi commune, à une alliance,
pour nettoyer la zizanie qui pousse entre nous et qui complique de plus en plus
nos relations. Mais à Cana, même ces rites de purifications, le système
d’éducation qui va avec, et toute les réglementations de la vie sociale, ne
fonctionnaient plus. Il y avait les jarres de pierre, mais elles étaient vides
et on ne s’en servait plus. Et le goût de vivre s’était éteint. Même dans une
noce, le vin s’était mis à manquer pour la fête.
C’est là que
Jésus intervient. C’est son premier signe selon l’évangile de Jean. D’abord il
demande qu’on remette en marche le système de purification. On remplit à
nouveau les jarres d’eau. On en revient à la loi qui unit un peuple, qui lui
donne une orientation, un horizon. Puis Jésus ordonne, non pas qu’on utilise
cette eau seulement pour nettoyer nos manières de vivre et de penser, mais
qu’on se risque à la boire, et qu’elle se mette à désaltérer la soif des gens
et pas seulement à réguler ses envies d’un moment.
Et soudain
la noce reprend des couleurs. Le maitre du repas constate que l’eau est devenue
du vin et du meilleur. Et il appelle le marié : « d’habitude on sert
le bon vin en premier et quand les gens ont bien bu, on sert le moins
bon. D’abord on émoustille les gens avec de bonnes choses ; après on
peut servir n’importe quoi. Mais toi c’est maintenant que tu sers le bon
vin ».
Qui donc est
en train de nous servir ce bon vin maintenant ?
Si c’est
Jésus-Christ qui nous le sert maintenant ce bon vin, que faut-il
entendre ? Qui est-il au juste ce Jésus?
Nous venons
de célébrer son baptême. Nous avons entendu que la vie de ce Fils d’homme était
entièrement commandée par le lien avec son Père. Qu’il était venu en ce monde
pour y vivre selon une seule Loi : l’énergie d’amour entre lui et son
Père ; l’énergie de l’Esprit saint. Et vivre pour lui, c’est habiter ce
monde en situation de transit vers son Père. C’est aller de ce monde à son
Père.
Son Père l’a
envoyé pour qu’il nous révèle cette manière de vivre dans le monde, et qu’il
l’épouse. C’est son désir, son amour, pour la terre et pour nous. Il offre à tous
les hommes de vivre avec Lui, par Lui, et en Lui. Tous ceux qui ont été envoyés
par Dieu sont désormais clairement les témoins de ce qu’est la vie
humaine : une migration vers le Père, habité par la force d’aimer de son
Fils.
Tel est le
bon vin qui nous est servi maintenant : chaque fois que vient en nous ou
chez l’une des personnes que nous côtoyons quelque chose qui nous éblouit, qui
nous déborde, qui nous entraine au-delà du champ clos de nos habitudes, de nos
points d’appui, de nos références, plus loin que la zone où tout est réglé
d’avance, maîtrisée, sécurisée, protégé, c’est le parole de Dieu qui visite
notre chair, qui y plante sa tente. Ne laissons pas passer ces impacts de la
présence du Christ en nous. Ne disons pas qu’ils sont trop rares pour rendre
compte de notre condition humaine, et pour tenir une importance véritable dans
le cours de nos vies et des relations. Rendons grâces pour ces impacts du
travail de Dieu chez nous. Gardons en la mémoire. C’est vital pour nous et
notre monde.
Aujourd’hui c’est la 102° journée mondiale du migrant et du réfugié. La
plupart d’entre eux n’ont pas de toit, pas de travail, pas d’accès aux soins ni
à l’éducation de leurs enfants. Quand ils arrivent chez nous, ils ne nous
montrent pas seulement les effets dévastateurs de la violence des uns et de
l’égoïsme des autres. Ils mettent sous nos yeux une part du mystère de
l’humanité, celle de notre migration vers notre Père qui est aux cieux. Ils
attendent de nous un geste de réconfort, de partage, qui soit le signe que le
Christ ne les a pas oubliés ou abandonnés. Ils attendent que nous leur donnions
à boire leur part du vin des noces de Cana.
Vu de chez
nous, ils ne sont pas forcément les bienvenus. Leur arrivée risque de modifier
certains aspects de notre culture, de diminuer nos chances pour une croissance
confortable. Ils sont alors pour nous l’autre versant du témoignage de
Jésus-Christ, celui des souffrances humaines, de notre résistance à sortir de
nos acquis, de notre crispation sur les choses qui passent, de notre peur
devant notre propre condition de migrant.
La paroisse est un vieux mot qui désignait dans la ville un quartier où
vivaient les gens de passage. Nous habitons symboliquement dans le monde des
endroits où les hommes ont appris du Christ que nous sommes en transit vers la
maison du Père. C’est dans cette perspective que les migrants et les réfugiés
peuvent devenir aussi une opportunité pour vivre une autre croissance humaine,
sociale et spirituelle.
De toute façon ils font partie du moment de l’histoire que nous avons à
vivre. A nous d’y voir un moment favorable pour notre trajectoire d’êtres
humains en route vers la condition commune d’enfants de Dieu. A chacun d’y
prendre la part qui lui paraît possible.
Il nous est proposé aujourd’hui de remplir des fiches sur lesquelles
figurent quelques-unes des façons concrètes de nous préparer à les accueillir.
L’année de la miséricorde est le temps qui nous est donné pour reprendre
conscience de la façon dont Dieu aime les hommes ; comment il insiste, et nous
prend par la main pour passer de notre condition terrestre à celle de fils de
Dieu. La miséricorde nous vient de Lui, sans qu’on en choisisse forcément les
circonstances et les conditions. A nous de décider la forme d’hospitalité que
nous allons lui offrir.
Jean-Pierre Duplantier