Connaissez-vous
Joseph Fabisch ?
Joseph
Fabisch est un sculpteur lyonnais du XIXème siècle sans
grand intérêt, complètement tombé dans l’oubli aujourd’hui.
Si personne ne se souvient plus de lui, nous connaissons tous une de
ses œuvres : c’est lui qui a sculpté en 1863 la statue de la
Vierge Marie qui est posée dans la grotte de Lourdes.
Pour répondre à cette commande, il va rencontrer Bernadette longuement, pour qu’elle lui décrive avec précision ce qu’elle a vu. En la quittant, il lui aurait dit « Quand tu verras la statue, je veux que tu dises : c’est Elle. »
Quand
la statue terminée arrive à Lourdes, on la montre à Bernadette qui
s’exclame « non, ce n’est pas cela ! »
Mais
comme ce sont deux bonnes dames de Lourdes qui ont payé la statue,
et qu’elle a coûté assez cher, on va l’installer et c’est
encore devant elle que l’on prie aujourd’hui.
Marie
est probablement le sujet le plus représenté dans toute l’histoire.
Des océans d’images, de peintures, de sculptures, de vitraux. Des
siècles d’images reproduites à l’infinie… Marie, jeune femme
douce chaste et pure, toute enveloppée de voiles, les yeux baissés,
les mains jointes, ou levant vers le ciel les yeux pleins de larmes,
femme silencieuse et soumise, effondrée de douleur au pied de la
croix, ou auréolée de lumière, les pieds sur les nuages, portée
par des angelots…
Bernadette,
comme toujours, avec son franc-parler, avec son bon sens bigourdan*
nous secoue, nous réveille : Marie ?
« Non, ce n’est pas cela ! »
Pour
essayer d’apercevoir Marie sous les tonnes de marbres et les
kilomètres de peintures, Il va falloir suivre la voie que nous
propose Thérèse de Lisieux, Docteur de l’Église : « En
méditant ta vie dans le saint Evangile J’ose te regarder et
m’approcher de toi ». Retourner à la source, scruter
Marie dans ce que l’Evangile dit d’elle. L’Evangile débarrassé
de son épais vernis de discours et de piété. Tendre l’oreille à
la voix de Marie quand elle parle dans l’Evangile et cesser de
parler à sa place.
Alors
quelle surprise !
Après
le départ de l’ange, Marie n’a rien dit. On ne sait rien de son
état d’esprit. Pas une trace de joie. Elle prend la route et va
chez sa cousine, on ne sait pas pourquoi (on peut toujours inventer
mais l’Evangile ne dit rien). Et il faut la voix d’Elizabeth qui
l’accueille et la désigne comme la « mère de son
Seigneur » qui la déclare « bénie » et
« heureuse », pour que Marie parle enfin.
Jamais
elle ne parlera aussi longtemps de tout l’Evangile.
Marie
se tient là toute entière, dans ce grand cri de joie que l’on a
appelé le « Magnificat », si l’on veut la contempler,
c’est là qu’elle se dévoile, c’est là qu’elle se donne à
voir.
On
pourrait s’attendre à ce qu’elle se retourne sur elle-même,
toute éblouie par l’intimité de cette grossesse extraordinaire,
qu’elle se replie sur son histoire, sur la grâce que le Seigneur
lui fait…. Mais non ! Aussitôt, elle mesure que c’est un
événement aux dimensions du monde et de l’Histoire. Elle proclame
une joie inédite, inouïe, unique au monde et à l’histoire.
La
joie de Marie, c’est la joie du temps « tous les âges me
diront bienheureuse » « d’âge en âge ».
C’est la joie des humbles élevés, des affamés comblés.
C’est
aussi la joie de ceux qui aspirent à la chute des puissants, à la
ruine des riches…
Parole
déroutante, voix forte et assurée qui féconde en sa Joie une
révolution.
Marie
ne fait pas ici de la poésie, elle n’est pas en train de broder
sagement au milieu des anges : elle renverse le monde et
l’histoire, elle proclame que c’est fait, ce n’est plus à
attendre : le temps du riche, du puissant et du satisfait est
terminé. Parce qu’elle
porte en son sein la Parole, Dieu fait chair qui vient sauver le
monde. Parce que sa joie c’est la Joie
d’un monde à naître et déjà là,
un monde que nos yeux ne savent pas voir, que notre foi peine
à seulement imaginer.
Rien
de plus courageux que cette parole de Marie, rien de plus subversif,
provoquant, audacieux ! Marie n’est pas ici cette figure de
marbre ou de sucre, compassée et fade qui peuple nos imaginaires.
Comme disait Bernadette, « Non, ce n’est pas cela ! ».
C’est une jeune femme débordante d’énergie, pétrie
d’écriture, qui ne mâche pas ses mots, qui clame au monde entier
son espérance d’un monde différent.
La
prochaine fois que vous irez à Lourdes, en regardant la statue de la
grotte, ayez une petite pensée pour ce pauvre Joseph Fabisch, ce
sculpteur que Bernadette a un peu bousculé, et devant toutes les
images de Marie, entendez l’écho de la voix salutaire de
Bernadette :
« Non,
ce n’est pas cela ! »
Marie
est bien plus que ce que l’on en a fait.
╬ Amen
Sylvain
diacre
*Merci
aux paroissiens qui ont rectifiés mon erreurs : Bernadette
n’est pas « béarnaise » mais « bigourdane » !
disons « bon sens Gascon » et chacun s’y retrouve !
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